“Un quatrième opérateur? Le consommateur en subira les conséquences”

© JASPER JACOBS (BELGAIMAGE)

Le gouvernement vient d’ouvrir la porte à l’arrivée d’un quatrième opérateur mobile, un choix qui ne ravit pas Guillaume Boutin. Le numéro 2 de Proximus a subi les ravages de Free lorsqu’il travaillait chez SFR. Il avertit: un quatrième opérateur provoque une diminution des investissements et une baisse de la qualité de l’offre télécoms.

Profil

1999. Diplômé en corporate finance à HEC Paris

2000-2003. VP marketing chez Instranet

2003-2015. SFR: directeur de cabinet du président, puis directeur financier (2008) et enfin, directeur marketing (2012)

2015-2017. Directeur marketing de Canal Plus

Août 2017.Chief consumer market officer et membre du comité de direction de Proximus

Guillaume Boutin est à la tête de la division consommateurs de Proximus depuis un an. L’occasion idéale pour faire un premier bilan de l’action de ce spécialiste français des télécoms et des médias, passé par SFR et Canal Plus. A l’heure où l’on évoque l’arrivée d’un quatrième opérateur mobile en Belgique, Guillaume Boutin lance une offensive vers le public jeune avec une nouvelle offre intégrant des applications de messagerie et de streaming musical en illimité. Trends-Tendances l’a rencontré sur la plaine de Werchter au début de l’été, entre deux concerts de rock.

TRENDS-TENDANCES. Pourquoi êtes-vous présent à un festival comme Werchter? Pour cibler les “millennials”?

GUILLAUME BOUTIN. C’est très important d’être là où sont les jeunes, surtout au moment où nous lançons notre offre Epic qui doit moderniser l’ensemble de la proposition de valeur de Proximus. Le coeur de cible, ce sont les moins de 35 ans. L’idée de rafraîchir notre marque est très importante pour moi.

Il faut rafraîchir la marque parce que Proximus a une image vieillotte?

Non, au contraire. Il faut se rappeler que la fusion entre les marques Proximus et Belgacom est très récente. Elle a tout juste deux ans. Maintenant, nous devons aller un cran plus loin et rendre encore plus moderne la perception de la marque Proximus auprès des plus jeunes. Il faut les surprendre.

Pourquoi lancer cette offre juste avant l’été?

Etre présent juste avant la période des festivals nous permet de faire résonner la marque pendant l’été, puis d’être présent pour le back to school, pour la rentrée. Il ne faut pas louper ce calendrier-là. Ce produit est en adéquation avec les attentes des millennials: pour l’usage illimité, nous avons choisi des applications qui répondent à la quasi-totalité des besoins en données de cette cible.

Comment avez-vous choisi ces applications?

Nous avons fait une analyse précise de l’utilisation sur notre réseau des applications de messagerie et de streaming. Si ces usages devaient changer, nous ferions évoluer la liste des applications, comme nous l’avons fait avec les applis favorites de notre offre Mobilus, où nous avons échangé l’application Pokemon GO, qui était le buzz de l’année dernière, par Snapchat, qui est devenu très populaire.

Cette offre ne constitue-t-elle pas une entorse à la neutralité du Net? Vous favorisez les “grosses” applications au détriment des petits acteurs, qui auront du mal à émerger.

Les petits acteurs peuvent aujourd’hui utiliser les 3 GB inclus dans l’offre pour tous les autres usages. C’est suffisant pour voir émerger de nouveaux entrants, que l’on pourrait à ce moment-là intégrer dans la proposition zero rating (usage illimité, Ndlr) d’Epic. Nous n’avons pas eu de remarque particulière de l’IBPT (le gendarme des télécoms, Ndlr) à ce sujet.

Quel bilan pouvez-vous tirer de votre première année chez Proximus?

C’était une année très dense. Nous nous sommes concentrés sur l’accélération d’une stratégie établie auparavant. Mon rôle s’est concentré sur trois axes. Tout d’abord, moderniser la proposition: nous avons intégré BeTV dans notre offre TV, lancé Epic et annoncé nos ambitions d’être l’acteur référent de l’e-sport en Belgique. Deuxièmement, assumer notre stratégie multi-marques, avec Scarlet qui atteint une taille critique et qui est – de loin – leader auprès des consommateurs intéressés avant tout par un bon rapport qualité-prix. Troisième axe: forcer l’adoption digitale. Tout ce que nous faisons doit être pensé mobile first et digital first.

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Qu’est-ce que cela signifie?

Cela va nous permettre d’être un opérateur centré sur la connectivité, proposant à nos clients une véritable expérience d’usage des contenus, qui va au-delà du simple envoi de SMS ou de la réception d’appels téléphoniques. Les consommateurs ont aujourd’hui accès à des expériences digitales qui sont incarnées par les pure players du Web, le plus souvent américains. Nous devons devancer cette attente et ne pas agir en suiveurs. Depuis trois ans, Proximus est le seul opérateur en Belgique à proposer Netflix sur la télévision. Maintenant, nous devons pouvoir proposer avec les acteurs locaux des offres qui soient, en termes de qualité, du niveau de celle de Netflix.

Netflix est un modèle?

C’est un modèle en termes de qualité d’expérience. Nous n’allons pas nous en inspirer pour produire des contenus ou en acheter: ce n’est pas notre métier. Par contre, la capacité à faire de la “curation”, de la recommandation, à s’appuyer sur les données pour enrichir l’expérience, c’est quelque chose qui m’intéresse fortement. Il n’y a pas de raisons qu’avec la richesse du contenu disponible sur les plateformes Proximus, on ne soit pas capable d’intéresser les gens au contenu des chaînes locales.

Comment faire pour relancer l’attrait pour ce contenu local?

Nous devons repenser l’expérience produite aujourd’hui sur la télévision et sur nos applications. Nous avons laissé trop de place aux pure players. Avec l’ensemble de l’industrie, nous devons reprendre la main.

Le but est que le consommateur ait le réflexe d’ouvrir l’application Proximus TV plutôt que celle de Netflix?

Oui, que ce soit l’application Proximus ou la télévision. Derrière, nous devons être aussi bons sur l’éditorialisation et la mise en avant des programmes locaux que nous le sommes sur l’éditorialisation et la mise en avant des programmes de Netflix. Il faut créer un nouvel écosystème, en partenariat avec les chaînes locales.

Aujourd’hui, les chaînes créent chacune leur propre application de télévision de rattrapage. Cela donne une impression de dispersion des contenus.

C’est parfois trop compliqué. Nous voulons simplifier cela, en respectant les marques fortes que constituent les chaînes. Il y a toujours une prime à l’agrégation. Nous travaillons très bien avec Netflix. Nous devons faire de même avec les acteurs locaux. Pour la préservation des cultures européennes et de la culture belge en particulier, c’est important.

Est-ce une façon pour un opérateur télécoms comme Proximus d’éviter d’être un simple “tuyau de transmission de données”, un “dumb pipe”, comme disent certains?

C’est un des aspects. Il faut être pertinent dans le divertissement et proposer des services attractifs. La qualité des réseaux et de l’expérience utilisateur en font aussi partie.

Quelle importance revêt l’arrivée de BeTV dans l’offre de Proximus TV?

En termes de contenu payant, BeTV est une très belle proposition qui n’était pas disponible pour les clients Proximus, ce qui était pour moi quelque chose à réparer. Nous proposons l’écosystème TV traditionnel d’un côté et Netflix de l’autre. BeTV est un peu entre les deux : ce sont des films et des séries de première ou deuxième fenêtre et des programmes français. Cette offre nous permet d’élargir notre public cible.

Certains opérateurs investissent dans la production de contenu. Proximus s’y est toujours refusé. Cette stratégie pourrait-elle évoluer?

Non. Ce n’est pas notre rôle. Il y a suffisamment de création de qualité en Belgique, de gens dont c’est le métier. Nous sommes là pour agréger et magnifier le contenu créé par les chaînes qui existent aujourd’hui. La question n’est pas de produire du contenu, ni d’avoir des exclusivités à tout prix.

En quoi votre parcours chez Canal Plus et SFR vous a-t-il aidé chez Proximus?

Ce qui m’aide dans mon profil, c’est ma connaissance à la fois des télécoms et des médias, dans un monde qui va vers plus de convergence. Cette double approche est importante dans notre secteur. Avoir cette compréhension des deux métiers, qui autrefois étaient un peu séparés et qui aujourd’hui se rapprochent, est un atout pour mener à bien la mission que m’a confiée la CEO Dominique Leroy.

Tuttimus, votre offre combinant fixe et mobile lancée il y a un an et demi, est-elle un succès?

Nous ne sommes pas loin des 350.000 clients. Tuttimus, c’est notre capacité à faire de la convergence. Dans ce modèle, les consommateurs ont beaucoup moins tendance à quitter leur opérateur. C’est la première étape d’une proposition de valeur totale, qui intègre nos produits fixes et mobiles.

L’objectif est-il que tous les clients souscrivent à une offre “quadruple play” (TV, Internet, téléphonie fixe et mobile)?

Non, pas forcément. Nous voulons proposer la bonne offre au bon segment de marché. La cible marketing de Tuttimus, ce sont les foyers multi-équipés à usage avancé. Donc ce sont plutôt les familles qui cherchent de la data, du contenu, etc. La cible marketing d’Epic, ce sont les millennials qui cherchent du mobile d’abord, et peut-être plus tard une offre élargie.

En Belgique, les tarifs des télécoms fixes sont assez élevés. Proximus, comme d’autres opérateurs, pratique régulièrement des hausses de prix. Cela va-t-il continuer?

Il n’y aura pas d’augmentation de tarif cette année.

Il faudra attendre 2019?

On ne peut pas insulter l’avenir, mais cette année il n’y en aura pas chez Proximus.

Les régulateurs proposent de favoriser l’émergence d’opérateurs alternatifs capables de proposer des offres “Internet only”. Cela permettra-t-il de renforcer la concurrence et de faire baisser les prix?

Nous avons des produits single play, double play, triple play… Ce n’est pas comme si l’offre n’existait pas. Si je suis consommateur belge et que je souhaite avoir uniquement de l’Internet, c’est possible.

Mais peu de clients y souscrivent.

Parce que nous arrivons à leur démontrer qu’il y a un intérêt à…

…payer plus cher?

Non. A avoir plusieurs types d’expérience. Si vous êtes client fixe et mobile chez Proximus, je pense que vous étiez assez content pendant la Coupe du monde de voir le match des Diables Rouges sur votre application Proximus TV. Cela n’est pas possible si vous avez une offre internet only.

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Les régulateurs proposent aussi d’améliorer le processus d’installation quand on change d’opérateur. Cela signifie que ça se passe mal aujourd’hui?

Changer d’opérateur n’est pas si compliqué en Belgique. C’est un des rares pays où il n’y a pas d’engagement sur les offres fixes. En France, vous vous engagez sur un ou deux ans en fonction des offres. Le marché belge est très fluide.

Pourtant il y a peu de “churn”, de mouvement d’un opérateur à l’autre.

C’est vous qui le dites! Je me bats tous les jours pour faire baisser le churn!

Que pensez-vous de l’arrivée possible d’un quatrième opérateur mobile en Belgique?

S’il devait y avoir un quatrième opérateur mobile sur un marché restreint comme la Belgique, il y aurait forcément des baisses d’investissement et une diminution de la qualité d’usage.

C’est ce que vous avez vu en France quand vous travailliez chez SFR et que Free est arrivé?

De mon expérience personnelle, la qualité des réseaux télécoms belges est très supérieure à celle des télécoms français. Si Free ou un autre arrive, il y aura moins d’investissements, moins de qualité et donc, le consommateur en subira les conséquences.

L’impact du roaming est-il toujours aussi négatif? La hausse de la consommation de données a-t-elle enclenché un mouvement vers des forfaits mobiles plus costauds et plus chers?

L’impact financier est public (41 millions d’euros de pertes en 2017, Ndlr). Donc financièrement, ce n’est pas bon. Mais c’est vrai que cela a libéré les usages. Nous accompagnons ce phénomène en intégrant plus de données dans nos offres nationales et du coup aussi sur le roaming. Plus les usages se développeront, mieux l’industrie va se porter.

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Un nouveau tour de vis européen se prépare sur les appels internationaux, qui seront prochainement plafonnés.

Un marché ouvert et concurrentiel se régule automatiquement. Les opérateurs cherchent toujours des moyens pour se différencier et proposer de meilleures offres. Donc nous n’avons pas besoin de plus de réglementation. Mais nous nous adapterons.

Sur la 5G, êtes-vous prêts?

Nous ne sommes pas prêts pour une adoption massive. En Europe, les usages n’atteignent pas encore les besoins que l’on peut avoir dans certaines villes asiatiques où la densité de population est très élevée. Nous n’avons pas non plus de grandes zones non couvertes en haut débit, comme c’est le cas en Amérique du Nord.

Il y a quand même des zones blanches en Belgique, où la 5G pourrait jouer un rôle.

C’est vrai, mais elles sont très réduites. En tant qu’opérateur, nous nous intéressons à cette technologie et nous faisons des tests. Mais il n’y pas d’urgence à déployer massivement la 5G aujourd’hui parce qu’il n’y a pas de besoin du côté du consommateur.

Quand le ministre parle de 700 millions d’euros pour acheter de nouvelles licences, notamment pour la 5G, cela vous paraît donc disproportionné, voire inutile?

Les licences, c’est autre chose. Ce sont les ressources rares dans les télécoms. Si je n’ai pas de licence, je n’ai pas de spectre, je ne peux pas opérer. Je n’en ai pas besoin demain, mais dans cinq ou 10 ans peut-être. Si le spectre est mis aux enchères, nous devrons en prendre. C’est vital. Mais on aurait pu faire cela plus tard en Belgique.

Etes-vous chez Proximus pour le long terme? Où vous voyez-vous dans cinq ans?

Cinq ans aujourd’hui, c’est très long. On pourra juger de l’impact de mon rôle dans deux à trois ans. Donc oui, je me projette sur le long terme chez Proximus. Mais il faut un peu de temps pour rassembler toutes les pièces d’un puzzle.

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