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“Un génie ne fait pas toujours un bon CEO”

Etait-ce vraiment une bonne idée d’appeler sa firme Tesla ? Elon Musk doit se poser la question. Né en 1856, mort en 1943, Nicolas Tesla était certes un inventeur de génie, qui déposa 300 brevets, prouva à Thomas Edison que le courant alternatif était bien plus adapté pour distribuer les bienfaits de la fée électricité dans les chaumières, inventa dans la foulée l’alternateur, le haut-parleur et (presque) la télégraphie sans fil (il s’est fait coiffer au poteau par Marconi). Mais il était incapable de gérer une société.

Tesla termina tristement sa vie dans sa chambre d’hôtel à New York, pauvre et isolé. On ne souhaite évidemment pas à Elon Musk le même destin. Mais cette histoire prouve que l’on peut être un brillant créateur, déborder d’idées géniales, sans être pour autant un bon chef d’entreprise.

Elon Musk a fait énormément pour la voiture électrique. Cependant, sa volonté de la hisser au rang de véhicule populaire se heurte à de graves problèmes de production et Tesla affiche toujours de gigantesques pertes alors que les constructeurs allemands et français agrandissent leurs parts de marché. Dans ce contexte, l’entrepreneur sud-africain vient d’être condamné par la SEC, le gendarme boursier américain, pour avoir tweeté qu’il avait un accord ” financièrement sécurisé ” pour sortir Tesla de la Bourse alors qu’il n’en était rien (il abandonnait le projet 10 jours plus tard). Pour être allé trop loin, Elon Musk devra payer 20 millions de dollars d’amende et abandonner pendant trois ans son poste de président du conseil d’administration.

La vie d’une entreprise ne se résume pas à celle de son fondateur, ni le business à une idée révolutionnaire.

Elon Musk n’est pas le seul à avoir franchi la ligne rouge. En 2017, Travis Kalanick, le fondateur de Uber, a été éjecté par son conseil d’administration après avoir poussé le bouchon très loin, en piratant un de ses compétiteurs (Lyft) et en s’octroyant le droit de continuer à suivre ses clients, même lorsque l’application Uber était fermée. Mark Zuckerberg est sur la sellette depuis un an après avoir commercialisé de manière secrète les données des utilisateurs de Facebook. Voici quelques jours, Linus Torvalds, le génial mais caractériel inventeur de Linux, a lui aussi décidé, tout seul, de faire un pas de côté afin d’essayer de modifier un comportement qui a heurté les développeurs informatiques avec lesquels il travaillait. Quant à Elizabeth Holmes, la fondatrice de la société biotech Theranos qui se proposait de révolutionner les analyses sanguines, elle a été condamnée pour fraude. L’idée de Holmes ne fonctionnait tout simplement pas. Elle avait cependant caché ses échecs au corps médical et aux investisseurs.

La vie des inventeurs a toujours été remplie d’aléas et supporter financièrement leurs rêves a toujours été risqué. Toutefois, il y a quelque chose de neuf aujourd’hui, explique dans la Harvard Business Review le professeur américain Steve Blank qui enseigne à Stanford, Columbia et Berkeley : c’est le rôle de superstars qu’endossent ces patrons. Aujourd’hui, tout entrepreneur qui se respecte doit avoir des idées ” disruptives ” (adjectif à utiliser au moins une fois toutes les 10 minutes si l’on désire ne pas apparaître comme un vieux croûton) et présenter des projets qui cassent un marché ou un métier. L’objectif : bâtir en un minimum de temps un monopole monstrueux qui sera valorisé tout aussi monstrueusement par le marché. Et pour atteindre ce résultat sans devoir attendre l’arrivée de réels bénéfices, il faut avoir un fondateur qui, du haut de sa tour d’ivoire, ” fasse le show “. Il sera dès lors poussé à aller de plus en plus loin, parfois au détriment de la relation de long terme qu’il devrait entretenir avec ses clients, ses fournisseurs et son marché, tandis que les conseils d’administration sont parfois réduits à jouer un rôle de potiche ou de faire-valoir.

Pourtant, la vie d’une entreprise ne se résume pas à celle de son fondateur, ni le business à une idée révolutionnaire. Ne serait-il pas temps, pour le bien de ces sociétés et de leurs clients, de rééquilibrer un peu les pouvoirs, de faire descendre ces stars de leur piédestal et d’instaurer une gouvernance un peu plus solide ?

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