UCL: “La fronde laïque, c’est un modèle dépassé”

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Les entreprises aiment les fusions, les universités aussi. Celle de l’UCL avec l’Université Saint-Louis à Bruxelles, crée des remous. Le recteur Vincent Blondel la justifie par le besoin de peser plus lourd face à la concurrence internationale.

L’UCL et l’Université Saint-Louis (Bruxelles) ont voté la fusion des deux institutions. Le projet, qui doit être validé par un décret, inquiète le monde universitaire laïque. L’UCL, qui deviendrait UCLouvain après la fusion en 2018, sera-t-elle trop grande, trop concurrentielle ? Elle confortera sa position de première université de Belgique francophone, passant de 30.000 à 34.000 étudiants, loin devant l’ULB, qui compte près de 27.000 étudiants. Mais elle restera derrière la KU Leuven et ses 55.000 étudiants.

VINCENT BLONDEL. Nous sommes légalistes, nous nous conformons aux dispositions décrétales. Je suis vice-président de l’Ares (Académie de recherche et d’enseignement supérieur), organe clé du décret Paysage, où je suis aussi président de la Chambre des universités. L’UCL est loyale au décret Paysage. La mise en oeuvre du décret a exigé des efforts, il a connu des évolutions, il y a déjà eu deux décrets apportant des aménagements et un troisième est annoncé par le ministre cet automne. Il y en aura encore.

Le rapprochement vise-t-il à mieux placer l’UCL dans les rankings internationaux ?

Il n’y a aucune motivation de cette nature-là.

ll y a des liens historiques entre l’Université Saint-Louis et l’UCL. Beaucoup d’étudiants suivent un baccalauréat à Bruxelles puis un master à l’UCL, il y a des enseignants communs. Pourquoi faudrait-il en plus fusionner ?

Actuellement, la majorité des bacheliers de Saint-Louis continuent à l’UCL. La fusion ne changera rien : les étudiants resteront bien sûr libres d’aller en master là où ils veulent : à l’UCL, l’ULB, Liège, Namur, Mons, à l’étranger. Ils choisissent le parcours qui leur convient le mieux. La fusion va créer une université plus forte et plus stable, dans un environnement où l’international est devenu très important. Le fait d’être dans un ensemble plus vaste donne une visibilité accrue.

Aujourd’hui, Oxford et Cambridge viennent présenter leur programme de baccalauréat dans des écoles secondaires en Belgique. Campus France, installé près de l’ambassade de France, veut attirer des étudiants dans les universités françaises. Tout cela dès le baccalauréat, et pas uniquement pour les masters !

La concurrence s’est-elle accrue à l’international ?

Elle s’est intensifiée. Des milliers d’étudiants veulent venir en Belgique, et, inversement, nos étudiants veulent plus que jamais aller à l’étranger. Au départ, on parlait de partir six mois en Erasmus après le grade de bachelier. Maintenant cela peut aussi être deux ans à l’Imperial College à Londres, à Maastricht ou ailleurs.

La fusion va créer une université plus forte et plus stable, dans un environnement où l’international est devenu très important.”

Espérez-vous aussi un effet sur la recherche ?

La fusion devrait aussi améliorer l’accès aux budgets européens de recherche. Sur ce terrain, la concurrence est moins entre les universités belges francophones qu’entre toutes celles de l’UE. Or il y a des disparités énormes. Quelques pays obtiennent des budgets plus importants par rapport au nombre d’habitants. Il y a aussi une disparité entre le nord et le sud du pays. La Flandre se défend mieux que le sud. Cela exige une organisation, du coaching pour les chercheurs, qui profitera à tout le monde dans les deux institutions avec la fusion.

Le projet de fusion crée quelques remous car l’UCL va ainsi prendre une place accrue à Bruxelles. Est-ce aussi un objectif ?

Oui, mais la manière dont cet aspect est présenté est parfois une source d’irritation, comme si l’UCL était jusqu’à présent absente de Bruxelles. Or, elle est une université bruxelloise depuis un demi-siècle, avec près de 10.000 étudiants en médecine, pharmacie, dentisterie, les Cliniques universitaires Saint-Luc (un des premiers employeurs de la capitale, avec 6.000 employés), etc. Et, depuis moins longtemps, l’architecture à Saint-Gilles, où les étudiants font des maquettes de bâtiments bruxellois, où des chercheurs réfléchissent à un nouveau plan d’aménagement de la zone canal. Dire que l’UCL n’est pas bruxelloise, c’est nier leur travail. La fusion ne changera rien à notre implication dans le pôle académique bruxellois, où je suis administrateur. L’UCL fait partie de cet organisme et nous participons aux initiatives, comme une plateforme de logements mis en commun entre les différents établissements de la capitale.

Que répondez-vous à vos collègues de l’ULB, de l’ULg et de l’Université de Mons, qui s’inquiètent ?

J’ai vu effectivement avec intérêt leurs réactions dans Le Soir (” Fronde laïque contre la fusion UCL Saint-Louis “, Ndlr). Trois recteurs présentent la fusion comme un projet avant tout catholique, mais c’est le front du passé qui s’exprime. C’est une fusion ” pour “, pas une fusion ” contre ” le décret Paysage. J’espère que la rivalité qui apparaît ici ne va pas faire le jeu des universités étrangères. De même, il faut soutenir Liège, qui veut développer des liens avec les universités de l’Euregio (Allemagne, Luxembourg, France) et je salue aussi le rapprochement ULB-VUB en vue d’une modification décrétale pour pouvoir organiser des baccalauréats en langue anglaise. La fronde laïque, c’est un modèle dépassé.

Le décret Paysage ne mettait pas fin aux réseaux, mais il devait encourager les collaborations régionales. La fusion suit, elle, plutôt une logique de réseau, il s’agit de la fusion de deux institutions catholiques situées dans deux pôles géographiques différents.

C’est la fusion de deux institutions qui collaborent déjà beaucoup. Elle ne remet pas en cause les accords avec d’autres universités comme l’ULg ou d’autres ou avec des hautes écoles.

L’ULB avait pourtant fait une proposition à l’Université Saint-Louis. A-t-elle été refusée ?

Suite à l’annonce d’une possible fusion, l’ULB a fait une proposition non pas de fusion mais d’un adossement. Le choix qui a été fait a été différent. L’assemblée générale de l’Université Saint-Louis et le conseil d’administration de l’UCL ont voté à 90 % la fusion.

Pourquoi faut-il un décret pour entériner cette fusion ?

Parce que nous sommes dans le contexte du décret Paysage de 2013, qui a succédé au décret de Bologne. Ce dernier encourageait les fusions des écoles supérieures et des universités, y compris avec des incitants financiers. Le décret Paysage prévoit les fusions pour les hautes écoles, mais ne prévoit rien pour les universités, d’où la nécessité d’un décret. Ainsi deux écoles supérieures ont fusionné à Bruxelles et dans le Brabant wallon, HE2B. Trois autres hautes écoles, situées dans le Luxembourg, Namur et Liège, projettent de fusionner avec le soutien du ministre de l’Enseignement supérieur. Nous demandons à pouvoir faire la même chose. Sans demander d’incitant financier. Et sans modifier les enseignements, nous demandons juste que les habilitations actuelles soient maintenues pour l’entité fusionnée. Cela signifie, point important, qu’il n’y aura pas de concurrence supplémentaire.

Nous avons fait le choix de produire des Moocs de référence. Nous proposerons aux enseignants de Saint-Louis d’en produire à leur tour.”

Le ministre de l’Enseignement supérieur, Jean-Claude Marcourt, n’a pas l’air très chaud à ce propos : il craint un coup de canif dans la logique des pôles géographiques.

J’espère que les acteurs politiques pourront entendre cette volonté de l’utilisation la plus efficace possible des moyens publics. Aujourd’hui, en Europe et à travers le monde, les fusions sont encouragées. Regardez ce qui se passe en France actuellement, elles le sont chez nous pour les hautes écoles, nous demandons que les modalités soient clarifiées pour les universités.

Question sur le nom : après la fusion, l’UCL deviendra UCLouvain. Ce terme n’est-il pas déjà utilisé de temps à autre ?

Cela fait des années que le terme ” UCLouvain ” est utilisé, notamment pour les adresses de courriels, mais ce n’était pas systématique. Le site web parle lui d’UCL. Nous passerons à UCLouvain, comme l’a fait la KUL pour devenir KU Leuven. L’Université Saint-Louis deviendra UCLouvain Saint-Louis Bruxelles. Le changement de nom se fera dès la fusion. Laquelle devrait intervenir à une rentrée académique. Il est trop tard pour envisager la rentrée 2017. Cela devrait donc avoir lieu à la rentrée 2018.

Dernière question : avant de devenir recteur, vous avez organisé le développement à l’UCL de Moocs, des massive online open courses (cours en ligne massifs), l’Université Saint-Louis y contribuera-t-elle ?

Sûrement ! Enfin je le souhaite. C’est une spécificité de l’UCL, nous avons une expertise, même un rôle de leadership en Belgique, en nouant un partenariat avec la plateforme edX, une des plus importantes, initiée par Harvard et le MIT. Nous touchons plus de 300.000 étudiants dans le monde, avec une vingtaine de cours. C’est une expertise que les universités n’ont pas, il faut l’acquérir. Il y a par exemple un cours de science politique, réalisée par les ex-FUCaM (UCL Mons), qui a été cité par le journal Le Monde dans une liste de 10 Moocs de référence. Certaines universités font des Moocs, d’autres pas. C’est un peu comme les manuels de références : recourez-vous à des manuels produits dans d’autres universités ou pas ? Nous avons fait le choix de produire des Moocs de référence. Nous proposerons aux enseignants de Saint-Louis d’en produire à leur tour, nous disposons d’une cellule qui se charge de les réaliser. J’espère bien que dès la première année de la fusion, il y aura un Mooc fait par des enseignants de Saint-Louis.

La résurrection d’une fusion

En lançant cette fusion, l’UCL et l’Université Saint-Louis ont ressuscité en partie un projet abandonné en 2010. L’UCL avait négocié une fusion avec les FUCaM à Mons, l’Université de Namur et l’Université Saint-Louis. Le prédécesseur de Vincent Blondel, Bruno Delvaux, n’avait pu obtenir l’accord de l’Université de Namur. Seules les FUCaM ont rejoint l’UCL, pour devenir UCL Mons. Saint-Louis, qui avait voté pour, s’était finalement retirée.

A l’époque, ce projet ne fâchait personne : les pouvoirs publics l’avaient d’ailleurs encouragé. Ils avaient créé en 2004 trois académies : Wallonie-Bruxelles avec l’ULB et l’Université de Mons, Wallonie-Europe avec l’ULg, et l’académie Louvain avec l’UCL, les FUCaM, la FUNP (Université de Namur) et les FUSL (Université Saint-Louis Bruxelles). Les fusions espérées ne s’étant pas toutes produites, le ministre de l’Enseignement supérieur, Jean-Claude Marcourt, a alors sorti un nouveau projet, celui du décret Paysage, qui réunit les universités et les hautes écoles. Il instaure une académie unique, l’Ares (Académie de recherche et d’enseignement supérieur), donnant des avis sur les demandes d’habilitations (de nouveaux diplômes). Les établissements sont regroupés en cinq pôles académiques géographiques, où sont discutées les collaborations à la fois sur l’enseignement et l’infrastructure : Bruxelles, Namur, Liège-Luxembourg, Hainaut, Louvain-la-Neuve.Notons que ce décret fort complexe ne remettait pas en cause la logique de réseau qui persiste en Belgique, avec l’enseignement catholique et le réseau laïque. Il cherchait, entre les lignes, à susciter des collaborations dépassant ces clivages. Il serait délicat de bloquer la fusion UCL-Saint-Louis au nom d’une logique géographique pure et dure. Elle est déjà démentie par la structure géographique actuelle de l’UCL, présente sur trois pôles géographiques (LLN, Bruxelles et Mons). L’UCL s’est du reste pliée à regret au décret Paysage car la logique géographique des pôles collait mal à sa présence fort étalée. La fusion projetée peut confirmer cette réticence, mais une bataille rangée paraît bien risquée. Elle ne fera que raviver un antagonisme historique et créer une crispation peu favorable aux collaborations tant souhaitées par le décret Paysage.

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