Comment éviter que l’idéalisme ne devienne un handicap sur le lieu de travail ?
Ceux qui font un travail qui les passionne et qui est utile à la société en retirent de nombreux avantages professionnels et personnels. De nombreux travailleurs, s’efforçant d’avoir un impact social positif via leur travail, se heurtent pourtant à un mur. Explication.
On estime que plus d’un Belge sur quatre considère son travail comme inutile. Et quiconque a lu le livre “Bullshit jobs” de David Graeber sait que cette statistique n’est pas fortuite. “Les personnes qui ne trouvent pas d’intérêt dans leur travail, ou dont les valeurs personnelles sont en contradiction avec celles de leur employeur, présentent un risque beaucoup plus élevé de burn-out ou autres maladies de longue durée”, explique Elfi Baillien, maître de conférences et membre de “Work and Organisation Studies” à la KU Leuven. “En revanche, les personnes, qui considèrent que leur travail a un sens, en retirent clairement des avantages. Un travail qui a du sens n’est pas seulement un bon marqueur de performance du travailleur, mais peut aussi être un indicateur de son bien-être personnel.”
Selon Baillien, trois facteurs déterminent notre degré de satisfaction à l’égard de notre travail : “La façon, dont nous considérons que notre travail fait sens, est cruciale. Nous pouvons le faire, par exemple, en utilisant et en affinant nos compétences. Ou en contribuant à quelque chose que nous considérons comme important. Le deuxième facteur est celui des résultats visibles. Quant au troisième facteur, c’est la façon dont nous nous sentons responsables de ces résultats. Lequel de ces trois facteurs pèse le plus dans la balance ? Tout dépendra de l’individu.”
Trouver un sens à son travail peut être bénéfique non seulement pour le travailleur mais aussi pour la société. Aujourd’hui, que cela soit les déclarations politiques, les médias ou encore la publicité, tous font référence à la notion de durabilité. Il n’est donc pas improbable que cela se traduise également dans nos opinions et nos attentes en matière de travail. Pourtant aucun chiffre ne prouve actuellement que les gens souhaitent, plus qu’auparavant, apporter une contribution positive à la société via leur emploi. Il existe toutefois des signes indirects, tels que la montée en puissance des critères ESG (environnement, social, gouvernance) au sein des entreprises. Actuellement, vu que la demande de main-d’oeuvre est élevée, de nombreux employeurs tentent de mieux se positionner sur le marché, et il n’est pas rare que l’activité principale de l’entreprise soit présentée comme une solution au réchauffement climatique ou ayant un réel impact dans la lutte contre l’injustice sociale. Le terme “impact” a aujourd’hui une excellente connotation dans le monde des affaires.
Burn-out
Mais il y a un revers à toute médaille. De nombreuses personnes, qui veulent faire la différence par leur travail et lui donner un sens, se prennent parfois un mur. L’euphorie initiale est souvent suivie d’un sévère retour de bâton qui s’appelle la réalité. Selon le secteur choisi, les employés se heurtent à leurs propres attentes (trop) élevées, au surmenage, à la déception de leur employeur ou à la confrontation avec la (dure) réalité.
Ces critères font écho chez Catherine Le Clef, responsable de la formation et du soutien à l’ONG Teach for Belgium. Avec son équipe, Catherine Le Clef guide et forme des personnes qui souhaitent enseigner dans des écoles accueillant des enfants vulnérables sur le plan socio-économique en Belgique. “Tous ceux qui commencent à travailler comme enseignants dans le cadre de notre programme le font en partie par idéalisme. C’est un atout, pour autant que vous appreniez à regarder avec impartialité vos capacités et votre contribution à l’ensemble. Après tout, l’idéalisme peut rendre aveugle et créer des attentes irréalistes. Nous voyons parfois des enseignants se tuer à la tâche uniquement pour satisfaire leurs propres exigences”, déclare Catherine Le Clef.
“En définitif, ce sont les personnes, qui savent ce qu’elles valent et qui connaissent leurs qualités et leurs limites, qui persévèrent et tirent satisfaction de leur travail”, poursuit Mme Le Clef. “Nous invitons donc vivement les candidats à regarder au-delà de leur désir d’impact positif sur la société. A eux de vérifier s’ils correspondent vraiment au poste. Et de se poser les bonnes questions : Est-ce que je veux voir immédiatement les résultats de mon travail ? Puis-je supporter la confrontation quotidienne avec des enfants qui grandissent dans la pauvreté ou avec un passé de réfugié ? Pour les y aider, nous mettons en contact les nouveaux candidats avec d’autres enseignants de chez Teach for Belgium. Présenter les choses de manière trop positive peut s’avérer contre-productif à moyen terme.”
Bien que Teach for Belgium procède à une sélection rigoureuse des candidats, Catherine Le Clef sait que même les profils les plus résistants ont besoin d’un soutien à un moment donné ou à un autre de leur parcours professionnel. “Presque tout le monde doit passer par un processus d’apprentissage, avec des moments parfois difficiles. Tous nos enseignants bénéficient de deux années de coaching intensif. Cela demande du temps et de l’énergie, mais si notre organisation est là pour eux dans les moments difficiles, il est plus probable qu’ils pourront poursuivre leur boulot.”
Le déclic
Ainsi, une annonce d’emploi inspirante ne suffit pas à attirer des candidats à la recherche d’un travail valorisant, et encore moins à les retenir. “Les employeurs qui font appel aux attentes non financières des candidats doivent joindre l’acte à la parole. Sans soutien et sans objectif clair sur l’impact positif de l’emploi, les employés perdront rapidement leur motivation et abandonneront. Cela est vrai pour toutes les organisations, publiques et privées”, déclare Elfi Baillien.
Selon Mme Baillien, il appartient toutefois à chaque individu de décider si son engagement social sera un atout ou un handicap. “Dans toute profession, le déclic entre l’employé, son travail et son environnement de travail est crucial. La question la plus importante est de savoir si vous pouvez fonctionner correctement au quotidien. Vérifiez tout d’abord si vous pouvez utiliser vos compétences de manière optimale pour le job convoité et si votre caractère correspond à la manière de fonctionner de l’entreprise. Si ce puzzle ne s’emboîte pas, vous ne devez pas accepter, quel que soit votre degré d’adhésion à la mission et aux valeurs de l’employeur. Il est hors de question de choisir un emploi pour s’envoyer un signal, ou par forme de culpabilité sur ce qui ne va pas dans le monde.”
Pour que l’idéalisme ne soit pas un handicap
1. Faites une distinction claire entre le changement que vous souhaiteriez voir ou apporter pour la planète, et votre caractère et vos compétences. Le fait de soutenir la vision générale d’un employeur ne garantit pas pour autant que la culture de l’entreprise vous conviendra ou que vous êtes fait pour le poste.
2. Souvent, les emplois, qui comptent vraiment, impliquent un changement systémique ou une vision à long terme. N’attendez pas le résultat final, mais célébrez tous les succès, aussi petits soient-ils.
3. Dans les réussites comme dans les échecs, ne perdez pas de vue vos collègues et demander leur avis.
4. Ne prenez pas votre travail trop personnellement et ne soyez pas trop dur avec vous-même : une semaine plus légère en charge de travail n’est pas un échec personnel, mais quelque chose de tout à fait normal.
5. La principale cause de l’épuisement professionnel est le surmenage. Aucune société ne tire profit d’un collaborateur idéaliste en burn out : ne travaillez donc pas d’arrache-pied parce que vous voulez vous rendre indispensable mais fixez-vous des objectifs réalisables.
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