“Streaming Killed the Radio Song” *
Le “hook” est en quelque sorte le cousin du like: une piqûre pourvoyeuse de dopamine et un vecteur d’engagement pour l’écoute, et surtout la réécoute, d’une chanson.
Depuis l’avènement du streaming, on n’écoute plus la musique de la même manière. Exit les choix cornéliens de l’ère pré-numérique ; aujourd’hui avec le “buffet à volonté” offert par les plateformes comme Spotify, Deezer, Qobuz ou autres, nos choix musicaux s’en trouvent fatalement modifiés.
Mais, plus important peut-être, les plateformes de streaming ont aussi transformé la façon dont la musique elle-même est composée par les artistes. C’est le constat que dressent Nate Sloan et Charlie Harding, deux journalistes musicaux du New York Times. En analysant l’évolution des titres classés dans le top 40 du Billboard sur la dernière décennie, ils montrent que l’ADN de la chanson pop a muté: le contenant (les tuyaux du streaming) a transformé le contenu (la chanson).
Le “hook” est en quelque sorte le cousin du like: une piqûre pourvoyeuse de dopamine et un vecteur d’engagement pour l’écoute, et surtout la réécoute, d’une chanson.
La chanson pop d’avant le streaming répondait, sauf exceptions, à une structure éprouvée: la forme couplet/refrain qui faisait monter progressivement la tension dans la chanson où le refrain constituait une forme d’apothéose. Cette architecture (traduite par la formule cabalistique ABABCBB) s’est ainsi imposée à l’orée des années 1960 comme la forme canonique (et que l’on pensait immuable) de la chanson pop, celle qui avait vertu à s’imposer en radio. Or, l’arrivée du streaming et des réseaux sociaux a fait voler en éclat cette structure.
La nouvelle garde de la pop ne raisonne plus suivant cette grille préétablie. Elle ne réfléchit plus nécessairement en termes de refrain, n’envisage pas une chanson comme le développement organique d’une mélodie, avec sa préparation, sa montée et son climax. Ce qui l’intéresse, c’est le hook (littéralement le “crochet”), à savoir une capsule musicale incisive et entêtante. Un riff, une rythmique ou une phrase, c’est selon. Pour faire simple, écoutez Fever d’Angèle et Dua Lipa: impossible de louper le(s) hook( s).
Plus autonome que le refrain, le hook, c’est ce qui permet de capter l’attention dans cette économie sous tension. De fait, les artistes aujourd’hui ne sont plus seulement en concurrence entre eux – ah! les grands duels homériques Beatles/Rolling Stones ou Blur/Oasis! – mais doivent affronter, sur le champ de bataille qu’est devenu notre smartphone, la sollicitation permanente d’autres “contenus”: les réseaux sociaux, les applications diverses et variées, une série sur Netflix, un podcast, un jeu vidéo ou même des photos de chatons… Leur terrain de jeu, ce n’est plus la guerre des ondes mais la guérilla des réseaux sociaux, et notamment TikTok.
Le “hook” est en quelque sorte le cousin du like: une piqûre pourvoyeuse de dopamine et un vecteur d’engagement pour l’écoute, et surtout la réécoute, d’une chanson. Car le streaming impose un nouveau modèle économique aux artistes qui repose sur une double exigence: la nécessité d’accrocher immédiatement l’auditeur pour qu’il aille au-delà des 30 secondes (sinon l’écoute de la chanson ne sera pas comptabilisée) et ait l’envie de revenir ad libitum – voire ad nauseam – écouter le son (car la rémunération est fonction du nombre d’écoutes). Les artistes doivent aujourd’hui soigner leur hook : c’est leur bouée de sauvetage dans le grand bain de l’économie de l’attention.
Evidemment, certains esprit chagrins ne manqueront pas d’y voir l’annonce de nouveaux déclins: l’atomisation de la chanson à l’ancienne, la décomposition de l’art de la composition, le crépuscule de l’orfèvrerie mélodique. Bref, de voir dans le hook plus de chimie que d’alchimie. Qu’à cela ne tienne: ils n’auront qu’à changer de bain et plonger dans les vieux catalogues anciens qui ressuscitent sur les plateformes! Les avantages du buffet à volonté.
* Ou Comment le streaming a disrupté la chanson pop classique.
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