Spotify veut révolutionner l’usage du podcast

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Christophe Charlot
Christophe Charlot Journaliste

Leader mondial sur le marché de la musique en streaming, l’entreprise suédoise Spotify s’intéresse désormais aussi à d’autres domaines de l’audio, comme le podcast et le livre audio, que l’entreprise compte également révolutionner.

Entretien avec Antoine Monin, son directeur pour la France et le Benelux. L’interview a été réalisé fin décembre, avant l’annonce de la suppression de 6% de ses effectifs de l’entreprise.

Depuis quelque temps, Spotify s’est illustrée par une jolie série d’acquisitions: Podsights, Chartable, Megaphone, Anchor, Pods… Le fil rouge? Son ambition de prendre pied rapidement sur un nouveau marché audio: celui du podcast. Une stratégie qu’Antoine Monin, le managing director pour la France et le Benelux, nous décrypte dans un entretien exclusif.

TRENDS-TENDANCES. Comment se porte Spotify en Belgique?

ANTOINE MONIN. De manière générale, Spotify se porte très bien dans le monde. Et particulièrement en Europe parce que c’est son marché d’origine, étant une entreprise suédoise. Dans des pays comme la Suède, l’Angleterre, l’Allemagne, nous sommes très forts. Aux Pays-Bas, on est dans un marché hyper-mature en matière de streaming: on se rapproche des usages scandinaves où le marché est mature à 70 ou 80%. La France, par contre, est en retard. On y est plutôt sur une adoption de nouveaux usages de l’ordre de 30%. En matière de pénétration du marché, la Belgique est entre les deux. On a certains endroits où le taux d’adoption se rapproche de celui de la France, avec un marché physique important et un équilibre 50/50 avec le streaming. Mais une autre partie du marché se rapproche des usages adoptés aux Pays-Bas. On est sur une croissance à deux chiffres. Beaucoup de nouveaux utilisateurs peuvent encore être conquis.

Spotify a réussi à transformer l’usage et la manière dont on consomme la musique. Pourquoi ne pas proposer cette même révolution à d’autres secteurs de l’audio?

Qu’est-ce que cela donne en termes de parts de marché?

On ne communique pas nos chiffres par marchés mais Spotify est leader dans le monde, c’est une évidence.

Pour beaucoup de gens, le streaming, c’est Spotify. Un peu comme la recherche sur internet, c’est Google…

Ce n’est pas une comparaison que nous apprécions parce qu’elle n’est pas correcte. D’abord parce qu’on a un ADN européen, à l’inverse des grandes entreprises comme Google, Facebook, etc. Ensuite, parce que nous sommes dans un marché très concurrentiel. La répartition des parts de marché n’est pas du tout équivalente à la recherche en ligne que vous citez. Quand on observe le marché mondial, Spotify se situe autour de 30 à 35% du marché et les autres 65% se divisent entre Apple, YouTube, Amazon, Deezer, etc. Il s’agit donc d’un marché très fragmenté et c’est intéressant car cela nous pousse à innover et investir.

La concurrence vous occupe d’ailleurs pas mal, puisque vous vous opposez à certains…

C’est sain d’avoir un marché concurrentiel, mais on insiste beaucoup sur le fait d’avoir une saine concurrence. Dans certains cas, nous sommes aussi dépendants de nos concurrents. Nous considérons comme déloyales certaines pratiques de la part d’Apple, notamment la politique que le groupe mène avec l’App Store, la taxe sur les payements qu’ils prennent dans les applications, etc. Il y a peu, nous avons lancé l’achat de livres audios aux Etats-Unis, et l’expérience est désastreuse pour les utilisateurs d’iOS à cause des barrières mises en place par Apple! Un dossier a aussi été déposé devant la Commission européenne. Apple ne peut pas être juge et partie, être à la fois plateforme d’applications et lancer des applis concurrentes à celles qui se trouvent sur son store.

On vous connaît dans la musique mais vous diversifiez progressivement les contenus: podcasts et livres audios en tête. L’idée est-elle de proposer toujours plus de contenus pour rendre la plateforme plus addictive et justifier l’abonnement?

En partie. Nous nous sommes rendu compte que nous avons réussi à révolutionner le modèle de la musique. Il ne faut pas oublier que voici 15 ou 20 ans, l’ancien modèle se cherchait et allait se transformer fondamentalement. On se demandait quel allait être l’usage qui séduirait les utilisateurs. Spotify a réussi à transformer l’usage et la manière dont on consomme la musique. Alors, on s’est demandé pourquoi ne pas proposer cette même révolution et cette même amélioration de l’expérience utilisateur à d’autres secteurs de l’audio. Nous avons constaté que dans le domaine du podcast – un format émergent dans certains pays d’Europe mais ultra consommé aux Etats-Unis – nous n’avions pas la même qualité d’expérience que les plateformes existantes. Par ailleurs, un autre point de notre stratégie est d’investir dans les contenus, d’accompagner les créateurs pour se différencier des concurrents, avec des podcasts originaux et exclusifs. On travaille également avec les podcasts natifs (programmes audios digitaux spécifiquement créés pour une diffusion numérique, Ndlr) en leur apportant une plus large audience. On compte en effet pas moins de 456 millions d’utilisateurs dans le monde. Cela leur fait un bassin d’audience énorme, selon les différentes langues.

Comment votre intervention sur le contenu des podcasts se concrétise-t-elle?

On acquiert les droits d’exploitation et on investit dans les contenus pour les faire naître. En France, par exemple, L’Heure du Monde, le podcast du journal Le Monde, est financé intégralement par Spotify. L’idée est de proposer de nouveaux contenus mais aussi d’inciter le public francophone, qui n’a pas l’habitude d’écouter des news en podcast, à adopter progressivement ce nouvel usage. On investit pour créer l’usage. Parfois, on attire des créateurs qui ne sont pas des médias classiques, comme le basketteur Tony Parker. Là, on finance la production des podcasts, qui deviennent des exclusivités Spotify. L’autre partie de nos investissements va vers les outils de monétisation (essentiellement la publicité, Ndlr) qui rémunèrent les créateurs. On développe donc beaucoup d’outils, mis à la disposition des créateurs de podcasts.

Pas mal d’études montrent qu’il y a plus d’artistes aujourd’hui qui gagnent leur vie grâce à la musique qu’à l’époque du CD.

Dans le cas des podcasts, vous ne payez donc pas les créateurs selon le nombre d’écoutes, comme c’est le cas pour les musiciens?

Tout à fait. Depuis le début, les accords que l’on a avec les ayants droit de la musique font que 70% de nos revenus leur sont alloués. Pour le podcast, l’idée est de développer un nouveau marché de la publicité lié au podcast.

Ainsi, les revenus liés à un abonnement Spotify ne servent en rien les créateurs de podcasts?

Non, ils vont à la musique. L’usage des podcasts est très différent. Certaines fonctionnalités de l’abonnement premium de Spotify n’ont de sens qu’avec la musique: l’écoute en mode shuffle, les playlists, l’écoute off line, etc. Quand on écoute des podcasts, on ne fait pas de playlist, etc. Il sont donc accessibles sans paywall (payement, Ndlr) à tous les utilisateurs.

Et en ce qui concerne le livre audio?

Là, on est sur un modèle d’achat à la carte. C’est un test lancé uniquement sur les marchés anglophones pour l’instant (Etats-Unis, Canada, Royaume-Uni, etc.). On peut l’acheter sur notre plateforme web et l’écouter sur Spotify sur iOS, ou directement via notre application si l’on est sur Android.

C’est étonnant de proposer un modèle à la carte pour une société qui a révolutionné l’écoute musicale sur base d’un abonnement…

Voilà pourquoi je précise que c’est un test. On ne s’interdit pas d’essayer d’autres modèles avec l’audio book. Mais pour l’instant, on analyse surtout la qualité de l’expérience utilisateur des lecteurs.

A propos de modèle business dans la musique, comment évoluent les revenus de la publicité et ceux de l’abonnement?

La dynamique évolue très vite, tant du côté de l’abonnement que du gratuit. Dans les marchés matures, comme en Europe ou aux Etats-Unis, on enregistre de fortes croissances du nombre d’abonnés. Mais voici deux ans, on a ouvert dans 100 pays supplémentaires. Et quand on passe de 80 à 180 marchés, on arrive dans des pays de l’Asie du Sud-Est ou d’Afrique, où les usages sont très différents en raison, notamment, d’un taux de pénétration différent du smartphone. On s’adapte, on y propose des expériences différentes, comme le Spotify Light qui consomme moins de datas. Dans ces pays, on n’est pas sur des marchés avec abonnement, mais plutôt avec du gratuit et de la pub.

Au niveau global, nos revenus publicitaires grandissent plus vite car on part de plus loin. Ils représentaient 10% voici deux ans, et 13% maintenant. Mais le marché de l’audio publicitaire dans le streaming est encore naissant, y compris en Europe. Le potentiel de croissance est énorme. Ce sont des marchés où les annonceurs achètent encore beaucoup auprès des médias audiovisuels traditionnels.

Beaucoup d’artistes s’interrogent encore aujourd’hui sur le modèle du streaming musical et estiment que cela ne leur rapporte pas assez. Certains, comme Pascal Obispo, quittent totalement le streaming pour lancer leur propre offre…

C’est un sujet très important et on n’oublie pas que Spotify est arrivé quand le marché de la musique connaissait une crise totale, qu’il n’y avait aucun business model qui se détachait et qu’on se demandait si la musique n’allait pas devenir gratuite. Nous sommes parvenus à résoudre en grande partie ce problème de valeur économique du marché.

Apple vendait quand même de la musique via iTunes…

ITunes n’a jamais vraiment décollé à hauteur de ce que le streaming permettait. ITunes a été une passerelle mais le téléchargement n’a jamais pris le relais. On n’était pas au niveau du chiffre d’affaires que générait, au départ, la musique enregistrée. Aujourd’hui, grâce au streaming, on commence à retrouver la valeur globale qu’avait la musique à ses plus grandes années. Donc, on a su recréer de la valeur pour la musique et les artistes. Comment cette valeur est partagée, c’est une autre question. Nous versons environ 70% de nos revenus aux ayants droit mais nous ne les versons pas directement aux artistes. Nous ne savons pas combien gagnent les artistes. Cela dépend s’ils ont un contrat avec un label ou pas et du type de contrat.

Aujourd’hui, les artistes ont le choix du modèle. Ce n’était pas le cas il y a 20 ans. Pas mal d’études montrent par ailleurs qu’il y a plus d’artistes qui gagnent leur vie aujourd’hui grâce à la musique qu’à l’époque du CD. Avant, on avait un marché dicté par l’offre. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas: c’est la demande qui est là. Et il n’y a plus de barrière à l’entrée. Donc, c’est à la fois fantastique et compliqué. Il y a plusieurs millions de créateurs sur Spotify. Soyons clairs: ils ne seront jamais plusieurs millions à gagner leur vie. Par contre, ils ont tous une chance de réussir.

Profil

· 1993: démarre sa carrière comme interne marketing chez Fnac, puis rejoint le label Polygram

· 1995: project manager chez Virgin

· 1999: directeur marketing chez Virgin

· 2005-2014: producteur exécutif, puis président events et directeur général adjoint du Morgane Groupe

· 2018: débute chez Spotify comme head of artist & label marketing + podcasts studios

· 2021: directeur de Spotify France et Benelux

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