Solvay: “Nous ne cherchons pas le clone de Jean-Pierre Clamadieu”

© FRANKY VERDICKT

Nicolas Boël, le président de Solvay, supervise la recherche du nouveau CEO qui succédera au Français Jean-Pierre Clamadieu invité à assumer la présidence du géant énergétique Engie. Pour “Trends-Tendances”, Nicolas Boël évoque l’avenir de Solvay après le départ de l’homme qui a mené de main de maître la métamorphose du groupe de chimie.

Contrairement à son CEO extraverti et très loquace Jean-Pierre Clamadieu qui a marqué de son sceau et abondamment commenté la transformation de Solvay, Nicolas Boël n’a accordé que peu d’interviews depuis sa nomination au poste de président de Solvay en mai 2012. Nicolas Boël, 55 ans, ne prend la parole que lors des événements importants qui ponctuent la vie du groupe. Hormis son interview d’intronisation dans Trends- Tendances au printemps 2012, il s’était encore exprimé dans nos colonnes en 2015 à l’occasion de la première augmentation de capital depuis l’entrée en Bourse du groupe en 1967, opération destinée à financer l’acquisition du congénère sectoriel américain Cytec. Grâce à Cytec, Solvay a su s’imposer sur la scène mondiale de matériaux composites de haute valeur dans le secteur aéronautique et automobile.

Nous n’avons pas été pris de court quand Jean-Pierre Clamadieu m’a appelé il y a quelques semaines pour m’annoncer qu’Engie lui proposait le poste de président.

Nicolas Boël doit aujourd’hui faire face au départ annoncé de Jean-Pierre Clamadieu qui a supervisé la transformation radicale du groupe. Sous la tutelle de ce dernier, Solvay a conclu pas moins de 44 deals. Le mois prochain, le futur ex-CEO lance un plan visant à simplifier l’organisation du groupe et à adapter sa structure sérieusement chamboulée par les nombreuses acquisitions. Mais à la fin de cette année, voire quelques mois avant, Jean-Pierre Clamadieu fermera définitivement la porte de Solvay, dont le conseil d’administration ne tarit pas d’éloges sur son premier CEO non familial. Nicolas Boël est plutôt discret sur la question mais le départ imminent de Jean-Pierre Clamadieu n’est pas de nature à le réjouir. Le duo Clamadieu/Boël était aussi fusionnel qu’efficace, véritable fer de lance de l’actionnariat familial très discret de Solvay.

TRENDS-TENDANCES. Depuis quand êtes-vous au courant du départ de votre CEO ?

NICOLAS BOËL. Jean-Pierre a toujours été très clair sur ce point, dès notre première rencontre. A la soixantaine, il voulait évoluer vers d’autres cieux ( Clamadieu aura 60 ans en août, Ndlr). Nous avons fait le point régulièrement, y compris avec le conseil d’administration, sachant que la date finale dépendrait des opportunités qui se présenteraient. Nous n’avons donc pas été pris de court quand il m’a appelé il y a quelques semaines pour m’annoncer qu’Engie lui proposait le poste de président.

Profil

– Né à Bruxelles le 4 octobre 1962

– Marié, cinq enfants

1989 : stage chez Laminoirs de Longtain, sidérurgie familiale

1990 : stagiaire dans l’entreprise familiale Usines Gustave Boël

1991 : assistant directeur général d’UGB

1994 : co-directeur général d’UGB, avec son oncle Jacques et son neveu Harold

1998 : directeur marketing aux Etats-Unis de Hoogovens Aluminium Walzprodukte, une joint-venture d’UGB et Hoogovens

1998 : devient administrateur de Solvay

2000 : businessmanager automotive chez Corus Aluminium, Duffel

2004-2006 : directeur général de Myriad (France) appartenant à Corus

2007 : fonde BMF Participation avec son neveu Harold

Depuis mai 2012 : président de Solvay

– Administrateur de Sofina

Vous avez cheminé ensemble ces six dernières années. Vous êtes devenu président en mai 2012, alors que Jean-Pierre Clamadieu était nommé CEO.

Le chemin parcouru est exceptionnel. Nous avons transformé le portefeuille d’activités. Solvay compte de nouvelles activités, de nouveaux segments, de nouveaux matériaux, de nouveaux clients comme Boeing, Airbus et Apple. Pas moins de 50 % de nos collaborateurs ont été recrutés au cours des cinq dernières années. Une transformation qui a en outre permis de renforcer notre solidité financière.

Quel est le moment idéal pour son départ ?

Il n’y a pas de moment idéal. Chaque moment a ses avantages et ses inconvénients. En cinq ans, nous avons évolué du rôle d’acteur traditionnel du secteur chimique à celui de spécialiste de la chimie et des matériaux spéciaux. En 2013, nous avons trouvé une solution pour les activités PVC ( d’abord par le biais d’une joint-venture avec Ineos qui en est aujourd’hui l’unique propriétaire, Ndlr) et dont la vente annoncée du département polyamide à BASF l’an dernier était la conclusion. Nous en sommes aujourd’hui à la phase de consolidation. Le moment est venu d’optimiser nos ventes et nos achats, de consolider la synergie et la croissance organique dans nos nouveaux métiers, de promouvoir les innovations grâce au département matériaux qui s’est considérablement développé. Près de la moitié de notre chiffre d’affaires est réalisé grâce aux polymères spéciaux et aux matériaux composites. Notre organisation doit être adaptée avant d’envisager de nouvelles acquisitions. C’est une autre époque qui commence et pour Solvay et pour le prochain CEO.

Jean-Pierre Clamadieu lance au mois de mars un plan visant à simplifier la structure du groupe. Mais il ne pourra pas en assurer le suivi.

Le projet a été préparé de longue date. Il est primordial que le CEO fixe la barre à bonne hauteur et que l’organisation reprenne les choses en main. Jean-Pierre incarne la stratégie et la vision mais cette stratégie et cette vision cachent une solide organisation. Je suis parfaitement serein car le groupe peut compter sur toutes les compétences nécessaires. Nous avons renforcé le comité exécutif de trois nouveaux membres chargés de mener le projet à bien.

Le renforcement du comité exécutif est-il directement lié au départ de votre CEO ?

Solvay:
© FRANKY VERDICKT

Pas du tout. Il était prévu depuis longtemps et répond aux besoins de transformation.

Le renforcement du comité exécutif est une bonne chose, d’autant que vous perdez aussi Roger Kearns, un membre chevronné, responsable notamment de la très importante division des polymères hautes performances, ce qui risque d’affaiblir le comité.

Il n’est pas question d’affaiblissement. C’est une décision personnelle de Roger. Il a travaillé et habité 16 ans en dehors des Etats-Unis, son pays d’origine. Il est arrivé à un âge où on réfléchit à son avenir. Il a décidé de rentrer aux Etats-Unis où il a accepté un job important.

Etait-il candidat à la succession de Jean-Pierre Clamadieu ?

Oui, mais il n’était pas le seul.

Peut-être faudra-t-il bientôt vous féliciter pour le cumul des postes de président et CEO de Solvay ?

( rires) Non, la gouvernance dissociée a prouvé son efficacité.

Lors de notre précédent entretien en 2015, nous vous demandions si le départ de Jean-Pierre Clamadieu était votre principale préoccupation. Vous avez répondu que le conseil d’administration ne ferait pas bien son travail s’il ne réfléchissait pas à la succession. Vous avez donc eu amplement le temps de tout bien préparer ?

Nous ne pourrons appuyer sur le bouton qu’une fois la date exacte arrêtée. Nous devrons alors identifier le leader chargé d’écrire le chapitre suivant de la saga Solvay. Nous ne cherchons pas le clone de Jean-Pierre. L’entreprise actuelle n’a rien à voir avec celle de 2011. Le prochain CEO aura pour mission d’en tenir compte. Nous cherchons un industriel, un leader capable de motiver les troupes, visionnaire, capable de se remettre en question, quelqu’un qui porte haut les valeurs sociales et à long terme de Solvay, avec un sens inné de la science et de l’innovation. Mais bon, le processus doit se dérouler en toute sérénité, ce qui implique une certaine confidentialité. La décision sera prise collégialement autour de la table du conseil d’administration.

Jean-Pierre Clamadieu était le CEO de Rhodia, racheté par Solvay en 2011, avant d’être nommé CEO du groupe. Pourquoi ne pas reproduire le même scénario et offrir le poste de CEO du groupe à Shane Fleming, CEO de Cytec racheté en 2015 ?

( évasif) Solvay a toujours eu des dirigeants exceptionnels à sa tête, comme Jean-Pierre. Il appartient au conseil d’administration de trouver le meilleur successeur possible.

Nous cherchons un industriel, un leader capable de motiver les troupes, visionnaire, capable de se remettre en question.

De nombreuses entreprises, dont AB InBev, possèdent un véritable vivier de jeunes talents capables d’assurer la succession au trône. Est-ce le cas de Solvay ?

Il existe évidemment des programmes de promotion des jeunes talents, y compris pour les membres des business units et du comité exécutif.

Le conseil d’administration préfère-t-il un candidat interne ou externe ?

Notre but est de dénicher le meilleur CEO tout simplement, que ce soit en interne ou à l’extérieur.

En attendant, votre CEO partage son temps entre Solvay et Engie. Compliqué, non ?

Je connais Jean-Pierre, je l’ai vu fonctionner pendant six ans, à toute heure du jour et de la nuit, où qu’il soit. Il honore toujours ses engagements.

Qu’avez-vous appris de lui ?

La confiance, je pense. Jean-Pierre et moi sommes complémentaires. Nous avons toujours été sur la même longueur d’onde dans tous les projets stratégiques. Nous avons toujours eu une relation ouverte franche, formelle et informelle. Le conseil d’administration veillera à ce que je forme un tandem fonctionnel avec son successeur.

Comment allez-vous fêter son départ ?

Nous avons encore tout le temps d’y penser.

Vous manquera-t-il ?

Assurément. J’ai eu la chance de côtoyer un homme d’une extraordinaire capacité de travail, loyal et engagé, pour qui j’ai énormément de respect et une admiration sans borne. Le rôle de CEO est particulièrement complexe. Les business units se taillent tout le mérite des bonnes nouvelles mais les mauvaises nouvelles, voire les décisions difficiles, sont toujours pour le CEO. On ne retient que la gloire mais on oublie parfois la solitude, la pression extrême, les décisions extrêmement difficiles inhérentes à la fonction.

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