Si le bonheur existe, pourquoi ne pas le mettre au coeur de l’entreprise ?

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Depuis quelque temps, une nouvelle fonction est en train de fleurir : le “chief happiness officer”ou encore “happiness manager”. Sa fonction est d’emmener tous les collaborateurs sur le chemin du bonheur. Les défenseurs de ce nouveau courant sont convaincus qu’avec le plaisir au travail, la performance est plus facile à atteindre. Un élan humaniste qui arrive comme une réponse possible aux chiffres croissants du burn-out et autres absentéismes.

“Ce courant du bonheur au travail s’inspire notamment de celui de la psychologie positive et notamment des travaux de Martin Seligman “, indique Laurence Vanhée, la première chief happiness officer en Belgique, à l’origine de l’outil stratégique Happyformance. ” Le principe est de mettre l’accent sur les forces et les talents de l’individu plutôt que de voir toujours ce qui ne va pas. Pour ce qui est de la transposition de cette notion de bonheur au monde du travail, c’est important de rappeler quelques chiffres, et notamment ceux de la société de sondages Gallup selon laquelle le coût lié au désengagement au travail atteint entre 450 et 550 milliards de dollars par an aux Etats-Unis. D’autres études sérieuses montrent qu’on est deux fois moins malade, six fois moins absent et neuf fois plus loyal lorsque l’on est heureux sur notre lieu de travail. Je cite souvent aussi les travaux de Teresa Amabile, qui font un lien étroit entre l’épanouissement au travail et la créativité “.

Quand on calcule, en effet, le nombre d’heures que nous passons au bureau, autant s’y sentir heureux. ” Dans la vie hors du travail, le bonheur est perçu quasiment comme un droit. On ne remettra jamais en question les choix d’une personne qui souhaite être heureuse dans la vie. Sur le lieu de travail, ce n’est pas aussi simple. Les réticences sont encore nombreuses et on préfère parler de bien-être, d’engagement, de motivation plutôt que de bonheur. Mais moi, je tiens à ce mot “, sourit Laurence Vanhée.

Le modèle des six piliers

“Les réticences sont encore nombreuses et on préfère parler de bien-être, d’engagement, de motivation plutôt que de bonheur. Mais moi, je tiens à ce mot.” – Laurence Vanhée, “chief happiness officer” chez Happyformance © PG

Engagée depuis quelques années sur cette voie, cette chief happiness manager a du connaître la case du burn-out avant de se réorienter et de devenir une référence belge en la matière. “Un des modèles avec lequel nous travaillons est celui des six piliers pour être heureux au travail : l’autonomie, les connexions, la contribution, les résultats, la mission qui donne du sens et la confiance en soi.”

Et l’idée fait des émules : le premier Executive Master Class Programme au monde a en effet été lancé en septembre 2015 à HEC Liège. Celui-ci se concentre sur le bonheur au travail. ” On voit une évolution de ce métier vers deux tendances, poursuit Laurence Vanhée : les chief happiness officers, qui vont prendre en charge la culture globale de l’entreprise et puis les happiness managers, très nombreux en France notamment, qui vont se charger de façon plus pragmatique des choses qui peuvent contribuer à l’épanouissement, comme le matériel, l’ambiance au sein des équipes, les personnes qui se sentent isolées. On les appelle aussi les feel good managers. L’écosystème des start-up, par exemple, développe beaucoup ces fonctions. ”

” Nos formations portent sur la culture du leadership. Comment devenir un leader inspirant ? Et puis, nous travaillons également sur les dynamiques d’équipes. Comprendre que les équipes sont des organismes vivants. Nous essayons d’identifier les ressorts du fonctionnement d’un groupe. Pour insuffler cette notion de bonheur, il est sans doute plus facile que cela vienne d’un patron inspirant et inspiré mais il n’est pas rare de voir des initiatives spontanées soit d’un chef d’équipe ou bien des collaborateurs eux-mêmes. C’est le cas, par exemple, d’Amnesty International où les travailleurs se sont saisis eux-mêmes de cette notion pour faire une récolte d’idées. Cela peut aussi venir des syndicats, comme à la Banque européenne d’investissements. ”

Bonheur et performance

“Nous sommes étonnés de voir à quel point les collaborateurs sont tous concernés par leurs missions. Nous avons atteint un degré d’engagement qui a augmenté considérablement.” – Gwenaëlle Leclair, “chief people officer” au Foyer Anderlechtois © PG

Parmi les patrons belges convaincus et gagnés par ce virus du bonheur au travail, il y a Salvatore Curaba, fondateur et CEO de Easi, qui compte aujourd’hui 170 travailleurs. ” Il y a une énorme confusion entre bien-être et bonheur au travail. On parle bien ici de bonheur, insiste-t-il. Dans le cas du bien-être, on est davantage dans la logistique, comme les infrastructures, par exemple. Dans le cas du bonheur, on est dans le champ des valeurs et c’est beaucoup plus profond. Nous avons fait de cette notion un des piliers de notre performance. Et une des clés pour que ce bonheur soit réel, c’est l’authenticité. On ne peut pas tricher avec ça ! C’est la première condition pour emprunter cette voie. Et donc, c’est essentiel aussi de lier bonheur et performance. ” Il ne s’agit donc pas ici de s’en tenir à un cahier de bonnes intentions mais de faire de cette notion un moteur de croissance.

Et chez Easi, cette recette du bonheur se décline selon cinq ingrédients. ” En commençant par la reconnaissance avec la culture du merci par exemple. Autres choix par rapport à ce premier ingrédient : nous ne recrutons pas de manager à l’extérieur. Nous donnons ce niveau de responsabilités à des personnes qui font partie de nos équipes. J’ai ouvert également l’actionnariat de la société aux employés. Une personne sur quatre est devenue actionnaire de l’entreprise. Il s’agit là d’une grande forme de reconnaissance. Nous organisons aussi chaque année en interne une cérémonie des Awards. L’autonomie des collaborateurs est un deuxième ingrédient. Il y a aussi la transparence, avec une communication directe sur tous les choix de l’entreprise. Et enfin, les deux derniers éléments sont d’une part, la culture des missions et du challenge, et de l’autre, l’amour et la bienveillance. Tous ces ingrédients font que nous sommes une tribu. Personne ne veut faire du télétravail. Je suis surpris tous les jours de voir l’enthousiasme qui règne chez nous. ”

Obtenir un degré d’engagement élevé

“Nous avons fait de cette notion un des piliers de notre performance. Et une des clés pour que ce bonheur soit réel, c’est l’authenticité. On ne peut pas tricher avec ça !” – Salvatore Curaba, fondateur et CEO de Easi © PG

Autre exemple de structure qui a fait du bonheur au travail un des piliers de sa stratégie de développement : le Foyer Anderlechtois, l’une des premières sociétés de logements sociaux en Région bruxelloise avec la gestion aujourd’hui du plus grand nombre de logements de ce type dans la capitale. ” J’avoue avoir été assez sceptique au début en craignant la réaction des collaborateurs. Allaient-ils devenir des acteurs de ce bonheur ou bien allait-on créer de la frustration ? “, commente Gwenaëlle Leclair, chief people officer.

” Aujourd’hui, un des grands acquis de cette nouvelle stratégie est notamment la qualité des services que nous offrons et le dévouement de tous les collaborateurs pour les bénéficiaires de notre action, poursuit-il. Nous sommes étonnés de voir à quel point les collaborateurs sont tous concernés par leurs missions. Nous avons atteint un degré d’engagement qui a augmenté considérablement la satisfaction liée à nos services. Nous sommes par ailleurs réellement passés aujourd’hui dans une culture de travail davantage participative et co-créative. Mais sans imposer quoi que ce soit. Chacun garde le choix du degré de son implication. Au final, nous avons aussi atteint un meilleur degré d’innovation et de créativité. Deux choses qui rendent heureux ! ”

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