Sardines : de la conserverie haute couture

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Comme le vin, les sardines bonifient avec l’âge. Elles se subliment, même. Il ne s’agit pas ici de la “bête” sardine de supermarché à moins de 2 euros la boîte, mais d’un produit haut de gamme aux poissons triés sur le volet, ultrafrais lors de la production. Des conserveries artisanales françaises en ont fait leur spécialité depuis des décennies, ajoutant à ce goût inimitable des boîtes colorées confiées à des artistes et des dessinateurs.

Il n’y a rien de plus banal qu’une boîte de sardines qui traîne dans un placard pour les jours de flemme. Il n’y a rien de banal, par contre, dans une boîte de sardines millésimées. Oui, oui, vous avez bien lu: il se vend, et déjà depuis des décennies en France, de telles boîtes qui bonifient avec l’âge comme le bon vin.

Une bouchée suffit à comprendre la différence. La sardine millésimée est confite, gorgée d’huile, fondante, moelleuse à souhait. Et son arête centrale s’est dissoute dans les chairs au fil du temps. C’est un produit premium et un véritable retour en grâce pour un poisson qui, au début du siècle dernier, était un produit de luxe qu’on ne trouvait que chez les nantis…

Dans les restaurants

Si les brasseries françaises mettent ces sardines millésimées à la carte de façon régulière depuis plus de 20 ans, chez nous, le phénomène est plus récent. Chez Clément à Rixensart, la boîte de sardines millésimées est proposée dans les entrées à partager avec du pain grillé et du citron (13 euros). Eric Fernez, le chef montois bi-étoilé pour son restaurant D’Eugénie à Emilie, fait de même au Faitout, sa deuxième adresse située à Saint-Ghislain. Il a opté lui pour la Saint-Georges millésimée de la Belle-Iloise (14,50 euros). Enfin, à Linkebeek, Jan Verhaert, le chef du Monsieur V, l’une des ouvertures bruxelloises les plus excitantes de ces derniers mois, a opté pour les boîtes de la Perle des Dieux (de 10 à 11,50 euros selon les millésimes).

C’est un produit premium et un véritable retour en grâce pour un poisson qui, au début du siècle dernier, était un produit de luxe.

“Je sers la boîte entière que j’ouvre par l’arrière, confie ce dernier. J’y ajoute un tour de moulin à poivre et je la retourne sur l’assiette pour que les clients puissent découvrir son design coloré. C’est une entrée à partager que j’ai choisie car elle reflète le sens du concept que j’ai voulu développer chez moi: la convivialité et le partage. C’est un produit que j’adore et les clients me le rendent bien. Pas plus tard qu’hier, une table m’a commandé deux millésimes différents, 2017 et 2020, pour pouvoir évaluer les différences.”

Des oeuvres d’art

Jan Verhaert a esquissé l’une des raisons du succès de ces boîtes millésimées. Les conserveries françaises qui les produisent selon un savoir-faire historique et de façon artisanale ( lire l’encadré “Un savoir-faire ancestral“) y ajoutent une forte dimension artistique et confient le recto de la boîte à un artiste reconnu, un dessinateur ou un peintre. Le design change chaque année. Pour le plus grand plaisir des clupéidophiles ou des puxisardinophiles, les deux termes acceptés qui désignent les collectionneurs de boîtes de sardine. Ainsi, La Perle des Dieux, la marque premium créée en 2005 par la conserverie Gendreau à Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée), a imaginé deux personnages.

La Quiberonnaise a fait appel à deux valeurs sûres de la BD française, Frank Margerin et Pic, pour décorer ses boîtes millésimées.
La Quiberonnaise a fait appel à deux valeurs sûres de la BD française, Frank Margerin et Pic, pour décorer ses boîtes millésimées.© PG

“Mademoiselle Perle est l’oeuvre de Delphine Cossais, une peintre nantaise, explique Julia Gillon, la responsable marketing de la Perle des Dieux. Delphine y raconte la vie en mer en s’inspirant de sa propre expérience de voyage avec son mari marin. Chaque année, les collectionneurs attendent avidement la suite de l’histoire. Mademoiselle Lulu est sortie de l’imagination de Coralie Joulin, une artiste de La Rochelle. Le personnage est un hommage à Lucienne, une sardinière qui a travaillé toute sa vie chez Gendreau. Elle est aujourd’hui une membre très active de la Confrérie de la Sardine. Cette confrérie a permis, entre autres, à Saint-Gilles-Croix-de-Vie d’être labellisé Site remarquable du goût pour la sardine, c’est le seul de France! Ce label atteste un lien exceptionnel entre le savoir-faire des hommes, la qualité du produit et la richesse du patrimoine maritime. Mademoiselle Lulu allie le monde de la mode et de la sardinerie. Elle exalte les qualités de grandes couturières de nos sardinières.”

Marque préférée des grands chefs français de Thierry Marx à Yannick Aleno, La Quiberonnaise, qui vient de fêter son centenaire, perpétue l’exigence de très haute qualité mise en place par Henriette Jourdan, la fondatrice. Ses enfants ont imaginé ajouter un côté artistique à la qualité de leurs produits au milieu des années 1960. C’est un peintre corse qui, le premier, a illustré les boîtes au départ d’une simple carte postale. Aujourd’hui, Thierry Jourdan, le petit-fils, fait appel à deux valeurs sûres de la BD française: Frank Margerin et Pic. A quelques mètres de là, toujours à Quiberon, la Belle-Iloise a fait le pari de la nostalgie en gardant le look Belle Epoque très coloré. Les boîtes font penser à ces vieilles affiches françaises qui vantaient les charmes des stations balnéaires d’avant-guerre et exaltaient les voyages en train.

Comme pour le vin, il y a clairement un effet millésime sur le goût des sardines.

L’effet millésime

Si les boîtes font le bonheur des collectionneurs et finissent parfois dans des endroits étonnants (“Nous avons eu un retour d’une cliente qui a carrelé sa salle de bains partiellement avec des boîtes de la Perle des Dieux”, sourit Julia Gillon), la qualité du produit est évidemment essentielle. Surtout vu le positionnement premium qui implique des prix oscillant, pour le dernier millésime en vente, entre 3,50 et 7 euros la boîte de 115 g. Cette qualité, outre le travail manuel des sardinières, démarre sur les bateaux de pêche.

“Tout tourne autour du pourcentage de matières grasses ( notamment des Omega 3, Ndlr) des sardines, poursuit Julia Gillon. Pêchée en avril, la sardine n’atteint que 2%. Nous attendons qu’elle monte à 6 ou 8% pour le coeur de gamme de la conserverie. Pour la millésimée, il faut, chez nous, environ 12% (on décroche le Label rouge à 8%, Ndlr). Cela correspond à une pêche entre août et octobre. Au départ, cette sardine-là est déjà très fondante. Son passage prolongé en boîte avec de l’huile d’olive ne va faire qu’accentuer ce côté moelleux.”

Mademoiselle LuluCe personnage, imaginé par Coralie Joulin, est un hommage à Lucienne, une sardinière qui a travaillé toute sa vie à la conserverie Gendreau.
Mademoiselle LuluCe personnage, imaginé par Coralie Joulin, est un hommage à Lucienne, une sardinière qui a travaillé toute sa vie à la conserverie Gendreau.© PG

Comme pour le vin, il y a clairement un effet millésime sur le goût des sardines. Un été chaud va accentuer le côté fondant. Un été pourri avec des tempêtes (comme 2021) aura tendance à gorger les sardines d’eau. Les grands spécialistes de la sardine sont capables de détecter les goûts dominants suivant les années: fruits secs en 2019 ou avocat mûr en 2020.

Dernière recommandation: si une bouteille de vin qui vieillit ne se touche pas, une boîte de sardines millésimées se retourne à intervalles réguliers pour maintenir une distribution uniforme de l’huile dans la boîte. Et pour un goût optimal, on attendra trois ou quatre ans avant d’ouvrir une première boîte. Durée de conservation? Dix ans.

Un savoir-faire ancestral

Tant à La Quiberonnaise, qu’à La Perle des Dieux ou à La Belle-Iloise, on se réclame, avec justesse, d’un savoir-faire centenaire et d’une production artisanale. A peu de choses près, le procédé est le même. C’est véritablement de la haute couture qui nécessite des gestes précis et minutieux. Il s’écoule 48 heures au grand maximum entre la pêche et la mise en boîte. Dès leur arrivée à la conserverie, les sardines sont triées, salées, étripées et étêtées avant d’être plongées dans la saumure. Elles sont ensuite placées sur des grilles, rincées à l’eau douce et séchées. Les grilles traversent alors un bain d’huile de tournesol bouillante. La durée de la friture dépend de la taille des sardines. C’est une étape cruciale qui se juge à l’expérience. S’ensuit une autre période essentielle pour la bonne digestion du produit: un égouttage d’une nuit (ou 12 heures) pour faire totalement disparaître l’huile de friture. Le lendemain se déroule l’emboîtage: la queue et le collet sont coupés au ciseau et la sardine est placée ventre en l’air dans la boîte. C’est ce qu’on appelle le parement en blanc. Dans une boîte bas de gamme, la sardine est souvent placée avec le dos apparent (parement en bleu) et c’est parfois un cache-misère. Suivant les conserveries, la sardine millésimée est alors nappée avec de l’huile d’olive extra vierge ou de l’huile d’arachide assez prisée par les Bretons.

Enfin, suivant les années, on trouve entre quatre et huit sardines tête-bêche dans une boîte millésimée. L’idéal, c’est six. Dans le milieu, six correspond au moule 28 pour 28 sardines par kilo.

Où en trouver?

A côté des restaurants qui vous les proposent en entrée à partager, les boîtes de sardines millésimées sont disponibles dans de très nombreuses épiceries fines en Belgique ainsi que chez des cavistes. Quelques exemples: L’Ami de Clairefontaine à Bruxelles, Thierry Balzarini à Mont-sur-Marchienne, le Quai des Vignerons à Mons, etc. La Belle-Iloise dispose de deux boutiques en Belgique: Nieuport (192 avenue Albert 1er) et Bruxelles (10 rue Marché aux Herbes). La Perle des Dieux a ouvert un joli point de vente au 256 de l’avenue Lippens à Knokke. Enfin, les deux sociétés précitées et la Quiberonnaise permettent un achat en ligne sécurisé et sans frais de livraison à partir d’un montant minimum.

Mademoiselle PerleChaque année, les collectionneurs attendent avidement la suite de l'histoire, dessinée par l'artiste nantaise Delphine Cossais.
Mademoiselle PerleChaque année, les collectionneurs attendent avidement la suite de l’histoire, dessinée par l’artiste nantaise Delphine Cossais.© PG

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