Sale temps pour la mode belge

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Walter van Beirendonck, Christophe Coppens, Olivier Strelli il y a peu, Luc.Duchene cette semaine : les dépôts de bilan se succèdent dans l’univers glamour de la mode “made in Belgium”. Touché par la crise, le secteur est-il menacé pour autant ? Enquête au pays de la création vestimentaire.

Pas évident d’être un jeune créateur de mode en Belgique aujourd’hui. Car sur la planète fashion, les nouvelles du front ne sont pas des plus réjouissantes. Ces derniers mois, pas moins de quatre grandes marques belges reconnues à l’international se sont en effet éteintes (ou presque), refroidissant de fait tous les stylistes en herbe. Ce lundi 10 septembre, c’est Luc Duchêne qui annonçait la cessation des activités de son label éponyme. Retour sur les dernières faillites dans le monde de mode belge.

En février, la société Kesar, propriétaire du label “Mais il est où le Soleil ?” (27 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010) ouvrait tristement le bal des faillites, laissant ainsi 2 millions de perte sur l’ardoise et 85 salariés sur le carreau. Si une quinzaine d’entre eux ont été réengagés depuis par le groupe textile Vegotex qui a décidé de relancer la marque, la confiance des distributeurs du “Soleil” a été, en revanche, méchamment ébranlée par cette mauvaise publicité. Pas sûr, donc, que la griffe continue encore à briller de mille feux…

En février toujours, c’est Walter van Beirendonck qui annonçait la mise en faillite pure et simple de ses deux sociétés auprès du tribunal de commerce d’Anvers, juste après avoir été obligé de fermer son concept-store dans la métropole. Brillant élément de la fameuse bande des “Six d’Anvers” qui dopa littéralement la mode belge à l’aube des années 1990, le barbu adulé au Japon, par ailleurs directeur de l’Académie de Mode d’Anvers n’a jamais réussi, en définitive, à faire rimer mode excentrique et succès économique.

Tout comme Christophe Coppens d’ailleurs, créateur bruxellois actif depuis 20 ans et dont les chapeaux ont été portés par les plus grandes stars telles que Rihanna et Lady Gaga : lui aussi a succombé à la tourmente financière et a déposé, le mois dernier, le bilan de sa société alourdie par 700.000 euros de dettes. En cause : “les banques qui ne jouent plus leur rôle de banques”, écrit-il dans une lettre ouverte (le créateur refuse toute interview) où il stipule en outre que “produire de la qualité en petites quantités est un défi impossible à relever”, vu les coûts élevés du travail en Belgique.

Etrange paradoxe
Ce lundi 10 septembre, c’était au tour de Luc Duchêne d’annoncer la cessation des activités de son label éponyme. La société Nissim SA, propriétaire de la célèbre marque Olivier Strelli a, elle aussi, déclenché en juin dernier un nouveau coup de tonnerre dans le ciel de la mode belge en annonçant ledépôt de bilan , tout en préservant malgré tout l’avenir des licences liées à sa griffe. Etrange paradoxe puisque, dans le même temps, les Belges continuent à forcer le respect et l’admiration sur les podiums de Paris, Milan et New York. Ainsi, en avril dernier, Bernard Arnault, patron de l’empire LVMH, décidait de confier la responsabilité des collections de haute couture, de prêt-à-porter et d’accessoires féminins de Dior à notre compatriote Raf Simons. Avant lui, Kris Van Assche, un autre créateur flamand, avait pris les rênes du vestiaire masculin de la prestigieuse marque française en 2008. Deux Belges à la tête stylistique d’un label, Christian Dior Couture, dont le chiffre d’affaires dépassait le milliard d’euros en 2011, c’est plutôt réjouissant.

L’exemple n’est pas isolé. Depuis longtemps, les créateurs “noir-jaune-rouge” séduisent l’étranger par leur talent et surtout leur modestie. Réputés sérieux et travailleurs, ils ont développé une nouvelle façon d’aborder le vêtement qui a fini par convaincre les plus grandes marques de mode. Après avoir été directeur artistique de Rochas puis de Nina Ricci dans les années 2000, le Bruxellois Olivier Theyskens est, depuis l’année dernière, le styliste attitré de Theory, la marque branchée du groupe japonais Fast Retailing qui possède en outre les marques Uniqlo, Comptoir des Cotonniers et Princesse Tam.Tam. Formée elle aussi à La Cambre, son amie proche Laetitia Crahay est, quant à elle, responsable du département accessoires et bijoux de la prestigieuse maison Chanel depuis 10 ans déjà. Sans parler des nombreux autres Belges, plus discrets, qui occupent des postes clés de management dans différentes sociétés de luxe comme par exemple Geoffroy Van Raemdonck, président de Louis Vuitton pour l’Europe du Sud, ou encore Luc Hennard qui vient d’être nommé directeur général pour l’Asie du Sud chez Hermès.

Climat morose

Le tableau n’est donc pas tout à fait noir. Pourtant, le malaise est bel et bien palpable dans le petit monde de la mode belge où la crise en a refroidi plus d’un. Indice révélateur : certains patrons refusent purement et simplement de commenter l’état du secteur. Difficile en effet se s’étendre sur les mauvaises nouvelles quand on est soi-même quelque peu secoué par les statistiques déprimantes du marché. Car si l’on en croit Comeos, la fédération du commerce et des services en Belgique, l’année 2012 n’a pas très bien commencé dans l’univers du vêtement et des accessoires de mode. Entre janvier et avril 2012, les volumes de ventes ont en effet diminué de 0,7 % par rapport à la même période en 2011, alors qu’ils étaient en croissance de 2,8 % l’année précédente. Et même si l’on enregistre, il est vrai, une très légère augmentation de 0,6 % en termes de valeur cette année, la hausse était de +3,8 % pour cette même période en 2011 par rapport à l’année 2010.

La crise, il est vrai, est passée par là. Tout comme la météo pas vraiment printanière que beaucoup pointent du doigt en ce début d’été 2012, parce qu’elle ne facilite simplement pas les envies de shopping. Mais c’est surtout le changement dans les habitudes de consommation qui est le plus souvent épinglé par les spécialistes. Désormais pressés par l’austérité, les consommateurs n’ont plus aucun scrupule à s’habiller fashion dans des enseignes qui compriment les coûts et qui s’inquiètent peu des conditions de travail partiquées par leurs fournisseurs. “C’est la dictature de H&M et de Zara !”, proteste cette commerçante qui remarque aussi que la clientèle est plus volatile et surtout plus réceptive qu’avant aux changements rapides de stocks tels que le pratiquent ces deux géants de l’habillement au rapport qualité-prix imbattable.

Dur dur pour le moyen de gamme
Dans ce décor modeux où seuls deux marchés semblent tirer aujourd’hui leur épingle du jeu (le luxe et ces fameuses enseignes dites “démocratiques”) les acteurs intermédiaires se cherchent désespérément. Surtout lorsqu’ils sont confrontés à la problématique de produire de la qualité en petites quantités. “Tout a changé en l’espace d’une dizaine d’années, commente Sonja Noël, propriétaire de la boutique de mode pointue Stijl et qui a véritablement lancé le quartier branché de la rue Antoine Dansaert, à Bruxelles, dans les années 1980. Aujourd’hui, il est très difficile pour une marque dite ?moyen de gamme? de s’imposer, d’autant que la middle class chez nous dispose de moins de moyens et préfère se tourner vers des enseignes bon marché”. Jouant la carte d’une mode belge et haut de gamme avec des créateurs tels que Dries Van Noten, Ann Demeulemeester ou encore AF Vandevorst, Sonja Noël avoue avoir perdu des clients, même si le volume de ses ventes reste plus ou moins le même. Car aujourd’hui, ce sont heureusement les touristes fortunés qui comblent le manque à gagner, à savoir des Russes, des Japonais, mais aussi des Suisses en quête d’exotisme vestimentaire.

Ecrasés par le rouleau compresseur du low cost international et boudés par des banques devenues plus réticentes à l’idée de soutenir un secteur jugé trop vulnérable, les créateurs de mode belges tirent la langue, au point de refroidir quelque peu les étudiants des écoles de stylisme. Car aujourd’hui, tout créateur diplômé dispose de deux scénarios à la sortie de l’école : ou il se fait débaucher par une marque pour oeuvrer comme salarié, ou il tente de fonder sa propre griffe en espérant émerger un jour sur les podiums internationaux.

Dans le deuxième cas de figure, le nerf de la guerre reste bien sûr l’argent. “A moins d’être soutenu dès le départ par un financier ou de gagner un important prix de mode, il est quasi impossible de se lancer dans l’aventure car les banques sont devenues beaucoup plus frileuses avec la crise”, constate Sandrina Fasoli qui a fondé sa marque éponyme avec son comparse Michael Marson il y a huit ans. Disposant aujourd’hui d’une quarantaine de points de vente en Europe et en Asie, le jeune duo belge issu de La Cambre a surtout pu compter sur le premier prix du concours Mango en 2007 (300.000 euros de récompense) pour passer à la vitesse supérieure et tenter de s’imposer dans un paysage hyper-concurrentiel.

Même ballon d’oxygène providentiel pour le jeune créateur Anthony Vaccarello, récent lauréat belge du prestigieux prix français de l’Association nationale pour le développement des Arts de la Mode (ANDAM) (300.000 euros de gains également) et pour son collègue Jean-Paul Lespagnard qui peut compter sur le soutien financier de la mécène Anne Chapelle qui lança jadis les créateurs Ann Demeulemeester et Haider Ackermann : sans ces précieux coups de pouce, difficile d’émerger à l’heure où les organismes de crédit ne prennent quasi plus de risque.

Soutien bienvenu Bien sûr, des incitants existent pour doper la créativité “made in Belgium” comme les aides financières déployées par l’Awex ou Brussels Invest & Export afin d’aider les entrepreneurs à gagner de nouveaux marchés. Ou encore l’initiative “Boost Up / Industries Créatives” lancée dans le cadre du programme Creative Wallonia, qui vient d’accorder, ce mercredi 20 juin, quelques bourses de 40.000 euros à de jeunes designers dont l’une précisément axée “mode” pour la créatrice de lingerie Anne Lelong.

Ce que réclament avant tout plusieurs acteurs du marché “pour souffler un peu” et “repartir à l’attaque” est, ni plus ni moins, l’abaissement de la TVA à 6 % pour les produits issus de la jeune création de mode et de design. Et la mise en place d’un vrai projet ambitieux censé relancer la machine modeuse. Car, faut-il le rappeler, c’est en 1981 que le gouvernement Martens vota le Plan Textile quinquennal destiné à financer une industrie déjà en souffrance pour sauver quelque 100.00 emplois menacés. A l’époque, l’Institut du Textile et de la Confection en Belgique (ITCB) fut massivement soutenu et aida à son tour les fameux “Six d’Anvers” qui donnèrent, en cascade, un sacré coup de fouet au secteur. Certes, la matière textile a été régionalisée depuis et l’austérité a frappé les finances publiques, mais les créateurs “noir-jaune-rouge” se plaisent à rêver d’un nouvel organisme de poids qui prendrait à coeur l’idée de rebooster financièrement et spectaculairement le savoir-faire made in Belgium…

Frédéric Brébant

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