Réunions virtuelles: plus productives mais pas plus efficaces!

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Alors qu’elles étaient majoritairement en face-à-face, les réunions ont subitement basculé en mode virtuel suite au coronavirus. Des chercheurs belges ont saisi l’occasion pour se questionner sur l’impact soudain de ces réunions virtuelles sur la performance et les relations au travail.

Avant le Covid-19, les réunions virtuelles restaient l’exception. Bien que l’usage des technologies soit fortement encouragé, que nous soyons tous en quête de temps et que les questions environnementales nous incitent à limiter nos déplacements. ” On en dénombrait 0,5 par semaine contre 4,6 en face-à-face, précise Sophie Thunus, professeure à l’UCLouvain et promoteure d’une étude interuniversitaire sur les réunions virtuelles (1). Avec le coronavirus, leur nombre a grimpé à 5,2 pour 0,9 en présentiel. ” La tendance s’est tout bonnement inversée. Tant en Wallonie qu’en Flandre. Une occasion inédite d’étudier leur impact inattendu dans les entreprises.

L’enquête a été lancée au début du confinement auprès du personnel de cinq universités (UCLouvain, UGent, UHasselt, ULiège, ULB). Et 719 personnes y ont répondu.

Utiles mais…

Premier constat ? Le nombre total des réunions hebdomadaires a légèrement augmenté, passant de cinq à six. La raison ? La gestion de la crise a nécessité davantage de communication. Elles sont aussi plus courtes. On s’écarte moins du sujet, on respecte davantage l’ordre du jour. Autre observation : les réunions virtuelles sont perçues comme utiles et nécessaires en période de confinement et une majorité des répondants ont souligné leur efficacité. Même s’il faut relativiser…

En effet, selon les répondants de l’étude, ” les réunions virtuelles sont plus efficaces lorsqu’il s’agit de prendre une décision formelle comme résoudre un problème, transmettre ou recevoir des informations, précise Sophie Thunus. Par contre, elles le sont beaucoup moins si le but est de faire émerger de nouvelles idées, de nouveaux projets qui demandent davantage de créativité. Essentiellement parce que les réunions virtuelles exigent plus de structuration, laissent moins de place au langage non verbal, à la socialisation “. En conséquence, les réunions virtuelles engendrent une cascade dans la communication. Ce n’est qu’en les multipliant qu’elles pourront devenir au fur et à mesure de plus en plus informelles, seront plus spontanées et donc davantage source de créativité. Pour retrouver les bénéfices des échanges informels en réunion, les enquêtés rapportent dès lors utiliser d’autres moyens de communication : WhatsApp, le téléphone ou des réunions virtuelles sous forme de pause-café ou de pause-déjeuner. Mais seuls 20 % affirment l’avoir fait souvent.

” Tout cela nous permet de conclure que les réunions virtuelles peuvent être plus productives mais pas plus efficaces que les réunions en face-à-face “, insiste Willem Standaert, chargé de cours à HEC-Liège et un des coauteurs de l’étude.

Le modérateur, l’élément clé

Parmi les autres résultats intéressants, on notera l’importance accordée au modérateur. Cinquante-trois pour cent des sondés disent qu’il est plus important qu’en réunion en face-à-face. Si dans ces dernières, il émerge souvent naturellement, cela s’avère plus compliqué lors d’une réunion virtuelle. A cause, une fois de plus, du manque de communication non verbale. Cette absence rendrait impossible les ajustements mutuels qui orchestrent la distribution de la parole lors des réunions physiques.

Ainsi, pendant les réunions virtuelles, le contrôle du modérateur est plus procédural. Il passe davantage par la qualité de l’ordre du jour et la volonté du modérateur de le respecter que par les regards ou les attitudes autour de la table. Se faire une opinion du groupe est plus ardu. Qui est d’accord ou pas, qui veut prendre la parole ? ” Il faudrait presque une personne supplémentaire pour gérer tout cela “, avoue Willem Standaert.

Quoi qu’il en soit, il est donc préférable d’identifier le meneur à l’avance. Véritable chef d’orchestre, il est crucial pour distribuer la parole de façon équitable et éviter la cacophonie. Le modérateur remplacerait-il la communication non verbale ? ” Je dirais qu’il est le garant de l’avancement des discussions, celui qui montre cet avancement “, répond Sophie Thunus. Et cela en dépit des ajustements techniques des plateformes au fur et à mesure de l’expérience des utilisateurs comme on l’a vu, entre autres, avec l’apparition de l’icône de la petite main qui se lève, à activer pour prendre la parole.

Les réunions virtuelles gomment la hiérarchie

Trente pour cent des répondants ont remarqué que les réunions virtuelles avaient changé leurs relations avec les membres de leur équipe et autres collègues directs. Notamment en termes de pouvoir. Elles seraient ainsi plus égalitaires hiérarchiquement. Elles rendraient le pouvoir plus transparent, au moins en apparence. Les petits apartés sont rendus invisibles, les haussements de voix ont peu de portée, de même que la position stratégique autour de la table. Tout cela se dilue.

” Par contre, nous avons constaté l’émergence d’une nouvelle forme de pouvoir avec les réunions virtuelles, modère Sophie Thunus. Un pouvoir lié à la technologie. Pour qu’un argument ou une opinion soit entendu, encore faut-il avoir une bonne connexion. De même, les réunions virtuelles impliquent de savoir jongler avec différents moyens de communication. Or, ce n’est pas donné à tout le monde. En ce sens, les réunions virtuelles peuvent faire ressortir certaines inégalités, y compris sociales. ”

Réunions virtuelles: plus productives mais pas plus efficaces!

Quid dans la vie d’après ?

Les réunions virtuelles survivront-elles au coronavirus ? ” Leur nombre diminuera probablement dans les prochains mois, concède la professeure. Mais elles seront plus fréquentes qu’avant le Covid-19. Elle se poursuivront sûrement lorsqu’il s’agira de se réunir à deux ou quatre personnes et lorsque l’objectif sera formel. Mais cela dépendra aussi des gens… Ceux qui accordent de l’importance à la dimension sociale des réunions reviendront aux réunions en présentiel. Tout comme ceux ceux qui attachent une importance au pouvoir symbolique et personnel que leur confère leur place dans la hiérarchie. Certains managers acceptent mal d’avoir perdu, du moins en partie, la maîtrise sur leurs équipes avec ce type de réunion et avec le confinement. Ils ont moins de certitudes sur leur travail. Ce qui est certain c’est que l’on choisira davantage le mode de réunion en fonction des objectifs que l’on souhaite atteindre. ”

” On se dirige vers un monde plus hybride, confirme Willem Standaert. Cela nous obligera encore à quelques adaptations pour bien gérer l’alternance entre réunions virtuelles et en face-à-face. L’alignement des objectifs en fait partie. Je rêve aussi d’une norme unique pour les communications vidéo tout comme elle existe pour le téléphone ou pour l’e-mail. Aujourd’hui, que nous utilisions Gmail, Outlook ou tout autre système de messagerie, il existe une compatibilité qui nous permet d’utiliser la plateforme que l’on souhaite tout en étant certain que notre interlocuteur recevra notre message. Un tel système intégré devrait pouvoir exister pour les réunions virtuelles. ” Avis aux start-upeurs…

Par Nathalie Duelz.

(1) ” Que penser des réunions virtuelles ? Et que disent-elles des organisations ? Enquête réalisée dans les secteurs des universités et des soins de santé belges pendant la période de confinement décidée suite à la crise du Covid-19 “, S. Thunus, UCLouvain ; F. Schoenaers, ULiège ; C. Mahieu, ULB ; W. Standaert, ULiège.

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