Retour au bureau: de nombreux défis pour les entreprises et les employés
Ce mois de septembre est, pour nombre d’employés, synonyme de retour au bureau. A des degrés divers en fonction de la culture de leur entreprise. Favorisé par la levée de l’obligation de télétravail en Flandre et en Wallonie, ce retour s’annonce périlleux pour les entreprises en termes de ressources humaines. Elles ont un besoin impérieux de recréer du lien tout en devant répondre aux aspirations et aux craintes de leur personnel. Une question d’équilibre.
La semaine dernière, la Fédération des entreprises de Belgique (FEB) a organisé dans ses locaux la première conférence nationale sur le télétravail, dont l’intitulé était: “Le télétravail va-t-il devenir la nouvelle norme?”. Si une cinquantaine de personnes, dont les orateurs, ont suivi cet événement in situ, ils étaient plus de 1.100 derrière leur PC! Preuve que le sujet suscite de nombreuses interrogations dans le monde de l’entreprise belge. Il ne fait aucun doute que le télétravail, grand acquis de la pandémie, est appelé à rester. Cadrons tout de même le débat: seuls 40% de tous les salariés belges exercent un métier compatible avec le travail à distance. Quasiment un an et demi après le premier confinement, où en est-on en Belgique? Selon une étude d’Acerta et de la KU Leuven citée par Pieter Timmermans, l’administrateur délégué de la FEB, 42% des entreprises belges vont autoriser le télétravail. Elles n’étaient que 27% avant la crise sanitaire. Selon cette même étude, six collaborateurs sur dix veulent continuer le travail à distance mais 16,5% ne veulent plus jamais en entendre parler. Rien que ces deux chiffres expriment la difficulté que rencontrent les entreprises à l’heure de construire le nouveau normal. Partout où c’est possible, elles se dirigent vers le travail hybride qui va associer digital et présentiel et plus ou moins d’autonomie et de liberté. Mais la sensibilité des salariés et les différentes cultures d’entreprise font qu’il n’y a pas de recette miracle. One size does not fit all! Un travail sur mesure est une nécessité pour que ce mode hybride devienne durable et implique une expérience qui soit positive pour l’employeur, la culture d’entreprise et le salarié.
Après tant de mois à distance, il est plus que temps de recréer du lien social, de raffermir l’esprit d’équipe et de consolider la culture d’entreprise.
Retour en septembre
Dans un premier temps, avant la mise en place de nouvelles méthodes de travail, les salariés vont retrouver le chemin du bureau en ce mois de septembre. Même à Bruxelles où le télétravail reste fortement conseillé. Les responsables des ressources humaines disent globalement tous la même chose: après tant de mois à distance, il est plus que temps de recréer du lien social, de raffermir l’esprit d’équipe et de consolider la culture d’entreprise. Cette obligation de retour ne s’exprime, par contre, pas partout de la même manière.
“Nous avons demandé au personnel de revenir trois jours par semaine au bureau, explique Caroline Aelvoet, directrice des ressources humaines chez Sodexo Belgique. Vu l’impact de la pandémie dans notre secteur, il est absolument crucial que nous ne rations pas la reprise du business en septembre. Le vrai défi pour moi, c’est la déconnexion avec la vie de l’entreprise. Je trouve que le lien s’effrite un peu. C’est dans ce sens-là qu’il faut comprendre la demande de présentéisme. A priori, elle va couvrir les mois de septembre et d’octobre.”
Chez Axa Belgium, un jour de présence par semaine va être demandé à partir du 6 septembre. “Aujourd’hui, nous sommes quasiment encore tous en télétravail, confie Els Jans, la directrice des ressources humaines. Jusqu’ici, le retour au bureau, sans dépasser les 50% de capacité du bâtiment, est purement volontaire. Cela monte doucement. Mais oui, revenir un jour par semaine est une nécessité. Cela devient long: il est essentiel de recréer les liens et de ressouder les équipes. Tout le monde a eu l’occasion de se faire vacciner, le bâtiment est adapté: ce retour va se faire dans une atmosphère sécurisée. Mais nous souhaitons évidemment que ce retour soit basé sur le concept de la valeur ajoutée: gestion ou début de projet, réunion d’équipe, voir les collègues, etc. Ce retour doit avoir du sens.”
Le système “home-based”
Pas de transition prévue chez Belfius, par contre. Depuis le 9 juin (et ce sera toujours le cas en septembre), le retour au bureau se fait sur base volontaire. Les employés de la tour, place Rogier, sont encouragés à revenir progressivement. La salle de sport a été rouverte. Comme, partiellement, la cafétéria. On commence d’ailleurs à y faire la file à midi. L’effet d’entraînement joue clairement. En octobre, la banque espère basculer dans un mode plus structurel.
“Jusqu’ici, nous avions jusqu’à deux jours de télétravail, explique Camille Gillon, head of human resources management, building & facilities. Hors pandémie s’entend. Nous avons conclu une nouvelle CCT qui met en place le système home-based. Il implique un minimum de 100 jours de télétravail et un minimum de 50 jours au bureau. C’est plus lâche qu’avant donc. L’idée est de construire son horaire en fonction des besoins des services et du client. Par exemple, à la comptabilité, il faut régulièrement être présent à la clôture. On peut donc imaginer une présence plus intense en fin de mois qu’à d’autres périodes.”
Nous invitons les managers à refaire des réunions d’équipe en présentiel mais sans forcer la présence de tout le monde.” Camille Gillon (Belfius)
La CCT comporte évidemment d’autres aspects, dont un renforcement des frais forfaitaires remboursés. Elle doit entrer en vigueur le 1er janvier prochain mais les employés qui le désirent peuvent déjà opter pour ce système, sans bénéficier des autres aspects. “En octobre, si la situation sanitaire le permet, nous souhaiterions recommencer à travailler normalement, poursuit Camille Gillon. Soit dans le système home-based. Soit avec les deux jours de télétravail. Plus de 1.800 personnes ont déjà opté pour le nouveau système. Nous allons reposer la question aux autres cet automne. Le choix sera alors définitif et non réversible. Le monde évolue vers plus de flexibilité et il est normal pour un employeur de tenir compte des désirs différents des uns et des autres. Nous avons mis en place un système de management basé sur la confiance et l’autonomie et axé sur les résultats attendus. C’est ce qui nous a permis de très bien travailler durant la pandémie. D’ici là, nous encourageons vivement à revenir un ou deux jours par semaine mais sans stress. Nous invitons également les managers à refaire des réunions d’équipe en présentiel mais, là aussi, sans forcer à obtenir la présence de tout le monde. Nous allons par ailleurs remettre de la vie dans la tour avec des animations qui donnent envie de venir ainsi que des activités spécifiques pour les nouveaux arrivés qu’il faut intégrer.”
L’hybride et la liberté
Chez Sodexo Belgique, après la présence des deux premiers mois, l’entreprise basculera progressivement dans un cadre très flexible. “Nous n’avons pas eu envie de trop structurer, confie Caroline Aelvoet. Il n’y aura plus de limite au télétravail. L’idée est de permettre aux managers et aux employés d’être flexibles et de tenir compte des contextes individuels. On peut imaginer que des parents divorcés aient envie de télétravailler davantage la semaine où ils ont leurs enfants. Tout sera fait en fonction des besoins de l’équipe. Sur les sites, l’activité reprend bien, même si nous avons encore 600 personnes en chômage Corona. La plupart des cafétérias rouvrent comme avant mais dans le segment corporate, nous avons beaucoup de demandes pour une offre adaptée qui tienne compte du télétravail. Beaucoup aiment notre nouvelle formule Modern Recipe qui allie vending, offre take-away et présence d’un petit service sur place pour proposer du frais, du bio et de l’écologique.”
Il n’y aura plus de limite au télétravail. L’idée est de permettre aux managers et aux employés d’être flexibles et de tenir compte des contextes individuels.” Caroline Aelvoet (Sodexo Belgium)
Chez Axa Belgium, suivant en cela l’exemple d’Axa Banque, Els Jans espère arriver d’ici à la fin de l’année à des accords avec les syndicats qui intègreront, entre autres, un mode de travail très flexible. “Nous sommes toujours en discussion, je vais donc vous livrer ma vision, assure Els Jans. Nous avons toujours été des précurseurs et nous entendons le rester. Avant la pandémie, environ 90% du personnel bénéficiait de deux jours de télétravail. Nous l’avions instauré en 2017. Autant dire que les équipes, managers et employés, étaient matures quand le covid a frappé. Aujourd’hui, la façon dont nous avons traversé la crise sanitaire fait que nous sommes mûrs pour autre chose.
La vaccination sur le plan légal
Depuis l’annonce par Google, Facebook ou encore Netflix d’obliger leur personnel à se faire vacciner pour venir au bureau, la question agite les responsables de ressources humaines européens. En France, le passe sanitaire est imposé aux salariés d’entreprises qui accueillent du public. Rien de tout cela en Belgique à part pour le personnel de la santé. Et pour cause, la législation en la matière est très claire. Aucune entreprise n’a le droit d’obliger son personnel à se faire vacciner. Elles peuvent juste encourager cette vaccination à des degrés divers. Certains experts parlaient même du paiement d’une prime spécifique.
“Concernant cette prime, les avis sont partagés, assure Jérôme Aubertin, avocat associé droit au travail chez Stibbe. Unia va dire que les bonus liés à une donnée de santé sont discriminatoires. Elle propose plutôt des bonus collectifs. Mais comment l’employeur va-t-il avoir accès au taux de vaccination global de son entreprise? Il ne peut en tout état de cause pas poser la question directement. Rien que consigner la réception ou non d’une réponse est considéré comme le traitement d’une donnée de santé. En outre, la vaccination covid n’empêchant ni la contamination ni le fait de tomber quand même malade, l’employeur ne peut pas sortir l’argument qu’il doit être garant de la sécurité de son personnel.”
Seul le médecin-conseil peut demander si un employé est vacciné et serait donc à même d’anonymiser les données et de sortir un taux de vaccination pour l’entreprise. “Sont-ils seulement disposés à le faire? demande Jérôme Aubertin. En outre, le travailleur n’est pas obligé de répondre. Il peut juste y consentir.”
Nous pensons que les gens, au début, vont revenir fort au bureau mais qu’au bout d’un temps, les choses vont s’équilibrer. Nous avons fait une enquête: la plupart des collègues plaident pour deux ou trois jours de télétravail, soit un peu plus qu’avant. Mais surtout, ils aiment la flexibilité. Avant, les jours étaient souvent fixes, l’idée est désormais de changer cela. C’est l’activité qui déterminera l’endroit de travail. Nous cherchons un bon équilibre pour tout le monde. Les discussions que nous menons se désirent globales. Le package salarial en fait aussi partie, comme les frais liés au télétravail ou la mobilité. En 2025, les règles pour les flottes d’entreprise vont changer en termes de CO2. Autant déjà être prêts.”
A côté de la flexibilité, les uns et les autres penchent sur un autre défi de taille: la déconnexion digitale. Nous vous avons déjà abondamment parlé des burn-out digitaux et de la recrudescence des problèmes de santé mentale. Vu le travail hybride, afin d’éviter les abus dans un sens comme dans l’autre, il paraît urgent de mettre là aussi un cadre en place.
“Les gens ont beaucoup travaillé durant la pandémie, confirme Camille Gillon. Le personnel a droit à la déconnexion digitale. Il faut tenir compte aussi de la flexibilité et des horaires des uns qui ne sont pas forcément ceux des autres. Chez Belfius Banque, on est autorisé à travailler dans des plages horaires très larges, de 7 h ou 7h30 à 18 h ou 20 h, selon le régime choisi. En régime Flex Time+, une petite journée ne peut pas être inférieure à 5 heures, une grande supérieure à 9 heures. Tout cela se lisse avec le temps. Le bon usage de la flexibilité et de la (dé)connexion se travaille tous les jours. Je suis confiante dans le fait que nous pouvons encore faire mieux et c’est bien l’objectif. Ainsi, donner une vue sur le temps de connexion peut aider certains à éviter les excès.”
“Ce droit à la déconnexion est l’un de nos principaux défis pour le futur, renchérit Els Jans. C’est complètement différent de travailler avec des jours de télétravail fixes qu’en mode hybride. Nous l’avons vu lors de ces derniers mois de télétravail obligatoire: il y avait une fatigue généralisée liée à la difficulté, parfois, de trouver un équilibre entre vie privée et vie professionnelle quand on travaille chez soi. Nous allons y veiller.”
La légalité de l’hybride
On le sait, le télétravail structurel est régi par deux CCT: la 85 établie en 2005 et la 149 sortie en janvier dernier pour cadrer le télétravail obligatoire en temps de covid. Puisque que le télétravail n’est plus la règle en Wallonie et en Flandre, la CCT 149 cesse d’y produire ses effets. C’est donc de nouveau la 85 qui doit devenir le cadre légal pour toute entreprise qui propose du télétravail à ses employés. Et c’est là que le bât risque de blesser.
“La CCT 149 disait que l’entreprise devait essayer de mettre ça en place, confie Jérôme Aubertin, avocat associé droit au travail chez Stibbe. Mais vu la situation, si elle n’y arrivait pas, ce n’était pas grave non plus, le télétravail serait quand même légal. La CCT 85, par contre, donne un cadre assez rigide et stipule qu’il faut un avenant au contrat de l’employé et s’il n’y a pas d’avenant, il ne peut y avoir de travail à distance. Il faut se rappeler que quand on a écrit cette CCT, le Blackberry était encore balbutiant. J’ai envie de dire qu’elle est devenue une voiture des années 1930 sur une autoroute. On va clairement se retrouver avec des situations non conformes. Faire des milliers d’avenants en si peu de temps? C’est quasi impossible.”
La CCT 85 impose un cadre rigide qui suppose que les jours de télétravail soient fixés. Le mode hybride et flexible ne sera donc pas dans les clous.
Mais ce n’est pas tout. La CCT 85 impose un cadre rigide qui suppose que les jours de télétravail soient fixés. Le mode hybride et flexible ne sera donc pas dans les clous. “Certaines entreprises vont clairement se retrouver dans un système qui ne correspond plus à rien, poursuit Jérôme Aubertin. C’est pour cela que certaines sont en train de conclure des conventions internes. Une nouvelle CCT est, à mes yeux, une nécessité absolue. Elle risque de mettre du temps à être négociée alors que le besoin est pressant. Nous avons besoin de quelque chose de souple et d’équilibré. Le modèle hybride va devenir la norme partout. Ne traînons pas. J’ai aussi envie d’ajouter – et je le vois chez des clients – qu’il n’est par contre pas simple à faire passer dans des entreprises où une partie des salariés doivent obligatoirement être présents, par exemple en production. J’ai été témoin de réactions du genre ‘j’ai un travail qui ne s’y prête pas, je refuse du coup que mes collègues y aient droit’. Ce serait quand même dommage d’en arriver là. Mais pendant les élections sociales, ce genre de petits jeux mesquins s’est produit. Dans certaines entreprises, on a volontairement interdit le vote à distance, obligeant les employés en télétravail obligatoire à se déplacer pour voter. Le télétravail, dans ces entreprises, devient clairement une décision de management et les DRH ont, dans cette optique, un rôle crucial à jouer.”
Et dans les PME?
En Wallonie, où le tissu économique est constitué ultra-majoritairement de PME, il paraissait utile de voir comment les uns et les autres appréhendaient ce nouveau normal. Une enquête de SD Worx parue le 18 août dernier indique que seule une petite moitié (48,3%) des PME belges autorisera le télétravail au moins un jour par semaine. Toutes les autres ne le proposeront pas, n’ont pas d’employés qui peuvent travailler à domicile ou n’ont pas encore décidé. Cette absence de décision est à l’oeuvre chez Climatech. Ce fabricant d’accessoires destinés au conditionnement d’air créé en 1985 par la famille Gohy et aujourd’hui aux mains de la deuxième génération, compte deux implantations en Wallonie: le siège administratif à Lasne et l’usine de production à Chaineux. Climatech exporte dans 75 pays mais fabrique en Belgique 60% de sa production. La PME occupe 48 personnes dont une majorité pour la fabrication. Elle travaille aussi avec une entreprise de travail adapté (ETA) pour l’assemblage des pièces. “Le retour au travail ne change pas grand-chose pour nous, explique Anne-Sophie Gohy, marketing and sales manager. Cinq personnes seulement ont été en télétravail. Deux sont revenues partiellement, à raison d’un ou deux jours par semaine, depuis le début juillet. Trois ne l’ont pas encore fait mais souhaitent revenir d’une façon ou d’une autre. Avant, nous ne faisions que peu de télétravail. Mais nous allons organiser le futur télétravail. On pourrait imaginer du moitié-moitié mais ce n’est pas encore décidé. Chez Climatech, nous travaillons en confiance. Nous avons bien géré les risques sanitaires et ce serait bien que tout le monde revienne.”
Puisque je me suis rendu compte que tout était aussi bien fait à la maison qu’au bureau, je serai moi-même flexible en fonction des sensibilités des uns et des autres.” François Bersez (Quatrième Dimension)
A Namur, François Bersez emploie 45 personnes dans son entreprise Quatrième Dimension, spécialisée dans la production de textile publicitaire. L’entreprise qui sert autant les clubs de sport que les sociétés a développé en interne son propre ERP, une plateforme digitale qui lui permet de gérer le commercial, les stocks et la production. Cet “Odoo maison” permet aussi à Quatrième Dimension d’être aussi plate qu’agile. “Il nous a permis aussi d’être assez vite opérationnel pendant la pandémie, assure François Bersez. Même si tout n’a pas été simple, évidemment, puisqu’il a fallu attendre le mois de juin dernier pour que tout le monde sorte du chômage Corona. La pandémie a eu l’heur de nous rendre meilleurs en ce sens qu’elle nous a permis d’identifier les faiblesses de nos processus. Nous avons gagné en efficacité et introduit encore plus de flexibilité dans le travail. Cette flexibilité, nous allons évidemment la cultiver. Et puisque je me suis rendu compte que tout était aussi bien fait à la maison qu’au bureau, je serai moi-même flexible en fonction des sensibilités des uns et des autres. Bureau ou maison, ce sera clairement à la carte.”
Laurence Soetens, l’administratrice déléguée de Burogest, aussi à Namur, ne dit pas autre chose. “J’ai repris l’entreprise il y a quatre ans. J’ai tout de suite voulu emmener les équipes vers plus de liberté et d’autonomie. C’est mon style de management et la culture d’entreprise basée sur la confiance que je désire. Nous avons entamé un chantier en ce sens. En co-construction parce que je ne l’imagine pas autrement. La pandémie, qui a envoyé tout le personnel éligible en télétravail du jour au lendemain, a servi d’accélérateur. Elle a permis une évolution naturelle et douce. Le retour au bureau, c’est deux jours par semaine depuis le début du mois. Nous allons mettre en place une nouvelle plateforme digitale pour gérer tout ça. Comme tout le monde n’est pas toujours confortable à la maison et que nous avons diminué le nombre de postes disponibles, je vais aussi louer des espaces ailleurs.”
Avantage coworking?
Louer des espaces ailleurs, c’est assez cocasse pour une entreprise qui, entre autres, gère un centre d’affaires de 4.000 m2 avec un restaurant d’entreprise, des bureaux privatifs ou partagés et des salles de réunion. Burogest est aussi spécialisée dans les services aux entreprises. Elle fournit un télésecrétariat trilingue ainsi que des assistantes, expertes dans l’administratif, la comptabilité ou la communication.
“Nous permettons aux PME d’avoir aussi accès à ce genre de services même si elles n’en ont pas besoin à temps plein, poursuit Laurence Soetens. Nous servons ainsi 150 clients dans le médical, certaines de mes assistantes se rendent d’ailleurs à l’hôpital ou dans les cabinets. Des TPE, PME et indépendants dans le secteur de la construction, de la tech ou de la pharma font aussi appel à nous. Dans le centre d’affaires, les activités reprennent. Les PME sont déjà de retour. Les grandes entreprises, pas encore. Leurs espaces sont vides depuis mars 2020…”
Il ne faut pas oublier que légalement, le télétravail, ce n’est pas que du travail à la maison. Les centres d’affaires et les espaces de coworking seront-ils les grands gagnants de l’après-pandémie? C’est en tout cas l’avis de William Willems, le general manager d’IWG Belgium (Regus et Spaces), qui nous a reçu dans les espaces flambant neuf du nouveau Spaces installé dans la gare maritime de Tour & Taxis à Bruxelles.
La famille et le sommeil
A l’heure du retour au bureau, il était intéressant de savoir ce que les salariés francophones avaient fait du temps gagné par l’absence des trajets domicile-travail. Protime, le leader belge du marché de l’enregistrement du temps, en a interrogé mille d’entre eux et vient d’en livrer les résultats. En moyenne, le télétravail leur a fait gagner une heure et seize minutes par jour. Le matin, ce temps précieux a été principalement consacré à commencer la journée de façon plus relax (48,7%), par exemple en prenant un vrai petit-déjeuner, et à dormir plus tard (47,7%). Le soir, c’est la famille (47,2%) qui a bénéficié du temps dégagé. Ainsi que, moins drôle on l’avoue, l’accomplissement des tâches ménagères (40,9%).
“Dans la restructuration actuelle, trouver des gens de qualité est compliqué et cela ne va faire que s’aggraver. Il va falloir les attirer et, d’une certaine manière, leur donner ce qu’ils veulent. Les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas les mêmes aspirations que nous: ils désirent travailler de façon flexible et, de préférence, pas trop loin de chez eux. Avec nos 43 centres belges et 3.500 dans le monde, nous sommes une belle solution. Si une entreprise décentralise ou passe en mode flexible, nous offrons des bureaux agréables, à la pointe en matière de technologie et proches des transports en commun. C’est plus facile de prendre des espaces chez nous que de gérer des mètres carrés soi-même avec de multiples baux et des loyers différents. Le marché belge s’agite d’ailleurs en ce sens. Nombreuses sont les entreprises qui prennent contact avec nous car elles veulent passer au mode flexible, convertir leurs sites, sous-louer, les regrouper ou les vendre. Swift discute avec nous dans ce contexte. Berlitz a choisi de venir chez nous pour ça. Indeed qui devait aller dans l’immeuble PwC à Diegem veut rester chez nous et ne plus déménager. Je n’ai jamais autant vendu de mètres carrés que depuis le mois de juin.”
Les centres d’affaires et les espaces de coworking seront-ils les grands gagnants de l’après-pandémie?
Réorganiser les bureaux
A côté de la décentralisation et du passage, pour certains, en mode immobilier flexible, il est indéniable que les entreprises sont occupées avec la gestion de leurs bureaux. Le télétravail diminue fortement l’espace nécessaire. Deux courants sont à l’oeuvre: une diminution effective de l’espace quand c’est possible (sous-location d’étages, vente d’une partie du bâti, etc.) et/ou une réorganisation des bureaux. Ainsi, chez Belfius, on s’attend à libérer petit à petit des étages. Certains deviendront entièrement collaboratifs. D’autres seront sous-loués. Dans cette optique, la banque a acté, il y a peu, la venue place Rogier de l’assureur Corona Direct dans lequel elle a des participations. A Gand et Namur, des bâtiments vont être rassemblés à un seul.
Plus que jamais donc, venir en entreprise doit être une valeur ajoutée. C’est la spécialité de la division Workspace chez CBRE. Créée il y a une dizaine d’années, elle est devenue experte en réaménagement ou création d’espaces de travail. Sur trois piliers: stratégie, design et construction. Depuis quelques mois, elle ne sait plus où donner de la tête.
“Pas une semaine ne s’écoule sans qu’un client ne me demande de l’aider pour réorganiser, assure Lionel Andries, head of workspace Belux chez CBRE. Je sens une véritable urgence à disposer d’un espace attractif qui soit adapté à la nouvelle façon de travailler. Mes clients veulent donner le désir au personnel de revenir au bureau. Cela comporte plusieurs aspects. D’une part, offrir des services supplémentaires comme des vélos quand on est en ville ou offrir un café de top niveau. Ça a l’air ridicule mais le café est, avec l’acoustique et la technologie, au sommet des souhaits. D’autre part, la qualité du bureau avec une informatique de top niveau: la technologie proposée doit être plus que user-friendly, notamment pour les réunions hybrides. Deux clics et ça doit fonctionner. Enfin, le bien-être. Se sentir comme à la maison. Sans oublier la ventilation, devenue totalement incontournable.”
Pas une semaine ne s’écoule sans qu’un client ne me demande de l’aider pour réorganiser.” Lionel Andries (CBRE)
Cette réorganisation, CBRE se l’est appliquée à elle-même en déménageant l’an dernier dans ses nouveaux bureaux du boulevard de Waterloo à Bruxelles. Des espaces de travail dévoués aux équipes avec des îlots restreints, une multitude de salles de réunion de toutes tailles (même juste pour deux personnes), des box insonorisés pour les appels téléphoniques (tout le bruyant est sorti de l’espace d’équipe), quelques bureaux privatifs et un sixième étage entièrement dédié au collaboratif avec des espaces lounges, une cafétéria, un grand bar et une gigantesque terrasse avec vue imprenable sur Bruxelles. Le tout dans une ambiance très cosy.
“Le café ne se sert qu’au sixième, précise Lionel Andries. Cela nous oblige à nous déplacer mais cela induit aussi des contacts informels entre personnes des autres services. Beaucoup de clients veulent la même chose mais je ne fais jamais de copier-coller. Evidemment, il y a des tendances transversales que l’on peut répéter. Par exemple, la multiplication des salles de réunion. Je ne commence pas à concevoir un design avec mes équipes sans avoir eu d’abord des sessions de stratégie avec le client. Il faut définir avec lui comment il veut travailler. C’était anecdotique il y a cinq-six ans, c’est fondamental aujourd’hui. Sans oublier qu’ils ne savent pas ce qu’ils devraient avoir. Il y a aussi, de notre part, un gros travail d’éducation. Il faut aussi prévoir de l’accompagnement. On ne change pas radicalement les espaces de travail sans associer les employés.”
Autre tendance transversale: la transformation de la cafétéria en espace multimodal. C’est à l’oeuvre chez Sodexo où elle doit désormais pouvoir servir toute la journée pour des rencontres conviviales et informelles mais aussi pour des réunions dans les nouveaux espaces lounges et dans les alcôves. Pareil chez Belfius qui, en outre, va inaugurer bientôt un nouvel espace collaboratif au rez-de-chaussée.
“Le relationnel plus important que le résultat”
En trois générations, le groupe Sita, établi à Courcelles, est devenu le référent belge en matière de distribution de produits italiens à destination des professionnels et des particuliers. La famille emploie aujourd’hui 130 personnes dans ses magasins, ses centres logistiques et au siège social de Courcelles. La pandémie, après une peur initiale, Sita l’a bien traversée grâce à la poussée du commerce retail face à la fermeture de l’horeca, mais aussi grâce au gros succès dans la vente à emporter de plats italiens comme les pâtes et les pizzas. Qui dit groupe familial suppose une culture d’entreprise particulière.
“Chez nous, le relationnel est plus important que le résultat, confie Bruno Sita, le CEO actuel. Même si ce dernier n’est pas négligeable évidemment. Une relation construite en toute confiance aboutit de toute manière à de meilleures performances. Chez nous, nous avons besoin de présentiel. Nous travaillons en intelligence collective et, dans cette optique, le digital, c’est quand même moins bien. Du coup, sans qu’on ait eu à exiger quoi que ce soit, les employés en télétravail jusqu’ici veulent tous revenir. Nous laisserons libre à choix à l’avenir s’ils veulent rester certains jours chez eux.”
Cette culture d’entreprise basée sur la proximité et la confiance fait aussi que la question de la vaccination ne s’est jamais posée. “Evidemment, nous savons tous qui est vacciné et qui ne l’est pas, conclut Bruno Sita. Nous n’avons aucun tabou envers les uns et les autres et nous respectons les choix. A chacun de se sentir responsable. Nous avons des non vaccinés, certains pour des raisons médicales. Ils mettent d’ailleurs plus le masque que les autres. Moi-même, quand je conduis une réunion où certains sont présents, je suis masqué. Pour le reste, vu notre proximité, le port du masque est plus lâche qu’ailleurs sans doute.”
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