Rail en Belgique: “Non, on ne va pas ouvrir le marché”

Le gouvernement de la Vivaldi a fait le choix de ne pas ouvrir le marché du transport ferroviaire intérieur à la concurrence. © pg
Robert Van Apeldoorn
Robert Van Apeldoorn Journaliste Trends-Tendances

L’approche du gouvernement pour organiser le rail en Belgique est contestée par Allrail, une association d’opérateurs de trains privés. Elle reproche à la Belgique de ne pas respecter les règles européennes d’ouverture du rail “passagers”.

La période est tendue pour le ministre fédéral de la Mobilité, Georges Gilkinet. Une grève de la SNCB était organisée cette semaine pour demander des moyens supplémentaires. Son cabinet et le SPF Mobilité négocient avec la SNCB un contrat de service public de 10 ans, contesté par une association européenne de transporteurs privés, Allrail (*). Elle a envoyé un courrier au Parlement fédéral accusant le gouvernement de ne pas respecter les réglementations européennes et le menaçant d’un recours. “Nous avons des pressions de tous les côtés, reconnaît le ministre. C’est de bonne guerre”.

Le gouvernement de la Vivaldi a fait le choix de ne pas ouvrir le marché du transport ferroviaire intérieur aux acteurs d’autres pays, de le réserver à la SNCB. Les réglementations européennes l’y autorisent, bien que le quatrième paquet ferroviaire européen soit censé ouvrir le rail à la concurrence. D’autres pays ont fait d’autres choix. L’Espagne a ouvert ses grandes lignes, l’Allemagne et la France également.

Au fil des ans, des réglementations européennes ont ouvert le rail aux acteurs concurrents: le fret en 2003, le trafic passager international en 2010. A présent, c’est le tour du trafic passager intérieur. Le principe de base du quatrième paquet est l’appel d’offres pour les lignes d’intérêt public, qui doivent recevoir une aide publique, attribuée au mieux disant sur base d’un cahier des charges, comme le font déjà les Pays-Bas ou l’Allemagne pour les réseaux de provinces ou des länder, afin d’obtenir le meilleur service à subside égal. Pour les grandes lignes dont le trafic est rentable sans subsides, les pays peuvent les ouvrir à la concurrence, en open access, avec liberté tarifaire. Ainsi, en Espagne, la ligne Madrid- Barcelone compte un troisième concurrent, Iryo (Trenitalia), à côté de Renfe et de la SNCF Ouigo. Même chose en Allemagne et en France.

Arthur Kamminga (Allrail)
Arthur Kamminga (Allrail) “La concession de service public ne porte que sur les lignes qui ne peuvent pas être desservies sans aide publique. Mais est-ce le cas d’Anvers-Bruxelles?”© pg

Deux expériences pilotes

“Non, on ne va pas ouvrir le marché en Belgique, dit le ministre Georges Gilkinet. Nous allons donner pour 10 ans un contrat de service à la SNCB pour les voyageurs intérieurs, fixer dans le contrat les compensations à la SNCB, le niveau de service attendu, et espérons signer le contrat pour la fin de l’année pour une entrée en vigueur en janvier 2023.” Les Etats qui choisissent l’option d’une attribution directe à un opérateur public historique, sans appel d’offre, ont jusqu’à décembre 2023 pour lancer ce type de contrat.

A partir de janvier 2033, la Belgique devra passer par un appel d’offres pour attribuer le contrat de service public. “On verra d’ici 2033. Les règles européennes peuvent évoluer, tempère le ministre, mais en principe, il faudra alors un appel d’offre pour le service public ferroviaire.”

La porte à la concurrence n’est cependant pas totalement fermée. “L’accord de gouvernement prévoit deux expériences pilotes, une en Flandre, une en Wallonie, poursuit Georges Gilkinet. Ce seront des lignes en quasi open access. Nous en sommes aux études préliminaires.”

“Cette attribution directe n’est pas conforme”

A la mi-novembre, l’association Allrail a envoyé sa lettre au Parlement belge. Elle s’étonne qu’aucune étude de marché ne soit fournie pour justifier cette formule, définir les lignes qui ont vraiment besoin d’un subside et celles qui sont rentables. “Cette attribution directe n’est pas conforme aux réglementations européennes car il n’y a pas d’étude de marché. C’est obligatoire, avance Arthur Kamminga, représentant Benelux d’Allrail. La concession de service public ne porte que sur les lignes qui ne peuvent pas être desservies sans aide publique. Mais est-ce le cas d’Anvers-Bruxelles? Je ne le pense pas.”

Il incrimine l’annonce publiée par le gouvernement belge dans le journal officiel de l’Union européenne annonçant le choix d’une attribution directe, qui lui paraît très incomplète.

A l’appui de l’argumentation, il ajoute copie d’une lettre de la Commission au gouvernement néerlandais, qui reproche au gouvernement de La Haye de ne pas fournir d’analyse de marché pour identifier les lignes pouvant fonctionner commercialement (sans subsides). Les Pays-Bas souhaitent attribuer directement un contrat de service public à NS, l’opérateur public national.

“Nous ne ferons pas n’importe quoi”

Certains membres d’Alltrain aimeraient bien que la Belgique définisse et ouvre les lignes qui n’ont pas besoin de subsides pour y développer une offre concurrente, comme Anvers-Bruxelles, Bruxelles-Charleroi, les lignes à grande fréquentation.

Le ministre Georges Gilkinet n’est pas d’accord. “Ce que nous allons produire comme contrat de service public doit répondre au cadre européen. Nous ne ferons pas n’importe quoi. Nous devrons nous justifier, la SNCB aussi.” Il estime qu’il y a un peu d’intimidation dans la lettre, peut-être même la pré-annonce d’un recours: “Ce qui veut dire que ce que nous ferons doit être irréprochable en regard des règles européennes”. Il n’entre pas dans la discussion sur l’analyse de marché. “Le cas néerlandais mis en avant n’est pas comparable, continue le ministre. Si j’ai bien compris, l’objectif là-bas est de mettre en vigueur le contrat de service public en 2025. Ici, ce sera en 2023.” NS n’est pas la SNCB: elle n’assure que les grandes lignes, dont beaucoup sont rentables sans aide. Les réseaux en province sont déjà soumis à des appels d’offres de service public, pas forcément attribués à NS mais à Abellio, Arriva, Connexxion, etc.

Prudence de la Commission

Allrail pourrait d’abord introduire une plainte contre la Belgique à la Commission européenne. “Si la Commission attaque la Belgique ou que nous le faisons et qu’il apparaît que le contrat est illégal, les subsides devront être remboursés, ce que la SNCB ne pourra pas faire. L’Etat ne pourra pas l’aider”, dit Arthur Kamminga.

Savoir qui a raison est bien compliqué car le quatrième paquet ferroviaire est complexe, un marécage réglementaire produit d’un compromis laborieux. Contactée par nos soins, la Commission européenne est prudente sur le cas belge. “A ce stade, rien n’indique que la portée des dispositions du contrat soit mal définie, dit une source de la Commission. Si les services de la Commission étaient informés de problèmes spécifiques liés au contrat proposé, elle agirait en conséquence, au titre du principe d’égalité de traitement entre Etats membres.”

(*) Allrail réunit des opérateurs comme Italo (Italie), Transdev (France), FlixTrain (Allemagne), Getlink (France et UK), RegioJet (Tchéquie), Leo Express (Tchéquie) ou le français Railcoop.

Plus de 4 milliards d’euros par an

Le gouvernement a accepté d’augmenter le financement de la SNCB et d’Infrabel. Sur la période 2023-2032, un montant indexé de 48,803 milliards d’euros, soit plus de 4 milliards par an (400 euros par habitant! ). Cela fait au total un coup de pouce qui pourrait atteindre 3 milliards d’euros sur 10 ans. Cela ne suffit pas pour les syndicats. Le rail tend à coûter proportionnellement plus cher en Belgique que dans les pays voisins, comme l’indiquent plusieurs études, dont “Un horizon pour le rail” d’Inno-V pour le SPF Mobilité. Le défi pour la SNCB est d’améliorer la productivité, notamment en faisant rouler davantage les trains, comme le prévoit le futur contrat de service public.

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