Qui est Olivier Sulpice, le fondateur de Bomboo Edition?

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En 20 ans, le groupe Bamboo est devenu un acteur qui compte dans le marché de la bande dessinée. Avec des best-sellers bien implantés dans la culture (très) populaire, Olivier Sulpice a construit sa maison d’édition par instinct et pragmatisme. Un savant mélange qui paye et qui compte faire mûrir des fruits de plus en plus gros.

Vous les avez peut-être remarqués cet été le long de l’A6 sur la route des vacances. A hauteur de Mâcon, juste avant Lyon, de drôles de gendarmes vous ont fait signe. Pas de panique… Il ne s’agissait que d’agents de la maréchaussée dessinés sur les tout nouveaux locaux des éditions Bamboo qui fêtent leurs 20 ans. Depuis 16 albums, ils font se tordre de rire des dizaines de milliers de lecteurs à l’instar des Profs, des Footmaniacs ou encore des Sisters. Un succès qui rend heureux le patron de la société mâconnaise. A 47 ans, Olivier Sulpice est devenu quelqu’un qui compte sur le marché disputé de la BD.

Il est déjà loin le temps où deux camarades de service militaire fondaient en 1993 une entreprise de communication graphique, Bamboo Graphic (avec Henri Jeanfèvre). ” Nous travaillions avec des agences pour des licences. On nous demandait de refaire des personnages existants comme Droopy ou les Fous du volant, Satanas et Diabolo, etc. C’est moi qui prenais les commandes et Henri qui dessinait “, se souvient Olivier Sulpice. L’homme est franc et cordial. Quand on lui demande s’il reste à Mâcon par attachement sentimental à cette petite capitale viticole en bordure de Beaujolais, il répond que ” c’est un hasard “. Bac+2, diplôme en techniques commerciales en poche, le patron, qui dit n’avoir pas toujours été heureux à l’école, a la fibre de la vente, un don qui l’on perçoit dès la première poignée de main. Il cause business sans tabou, ni chemin détourné.

Succès de niche

Depuis l’enfance, Olivier Sulpice est un gros lecteur de classiques, de Pif à Fluide Glacial, en passant par Spirou ou bien encore les comics Strange ou Titans. De l’illustration, le petit studio passe à la BD. Mais le premier album de Bamboo Edition naît d’un pragmatisme commercial. ” J’ai toujours voulu avoir plusieurs activités parce qu’on n’a pas droit au chômage quand on dirige une boîte. Nous avons donc créé une collection de cartes postales où l’on était payé en tant qu’auteurs. Et puis, nous avons fait des BD publiées dans des magazines. ” De quoi multiplier les sources de revenus et se payer des salaires corrects. Olivier Sulpice ne se satisfait pas de la publication d’un premier recueil de planches par un tierce éditeur. ” Nous avons eu du mal à être payé et à recevoir des chiffres. Je me suis dit qu’en fin de compte je pouvais le faire moi-même. ” Et c’est ainsi que l’aventure éditoriale commence. D’abord uniquement Sulpice au scénario et Jeanfèvre au dessin. Le premier tome des Footmaniacs dépasse rapidement les 30.000 exemplaires. La recette ? Avoir trouvé une niche. Avec un humour qui plaît aux amateurs de ballon rond, Olivier Sulpice s’engage sur un terrain jusque là inoccupé par les autres éditeurs, attirant un lectorat parfois novice des cases et des bulles. Il en sera de même avec le rugby. Chaque nouveau tome des Rugbymen est un événement dans le sud-ouest de la France, terre d’ovalie. Creusant le filon, il s’attaque ensuite aux corps de métier comme les gendarmes, les pompiers, les fonctionnaires et bien sûr les enseignants. Le Bourguignon attire de nouveaux auteurs dans une famille Bamboo très unie. Les BéKa, Stédo, Cazenove, Erroc, Willliam ou encore Bloz sont des amis en même temps que des stakhanovistes de la dédicace. Une belle image de proximité avec les lecteurs qui paye. Un nouvel album des Sisters est tiré à 150.000 exemplaires, un chiffre impressionnant quand on sait que des séries plus anciennes, comme XIII (Dargaud) ou Thorgal (Lombard), atteignent les 200.000.

Je me définis comme le Forrest Gump de la BD. J’ai toujours fait les choses par envie, le plus honnêtement possible et avec le plus de sincérité.

” Je n’y connaissais absolument rien. Je suis très naïf, avoue-t-il, à moitié étonné des résultats. Mon attachée de presse déteste quand je dis ça. Mais je me définis comme le Forrest Gump de la BD. J’ai toujours fait les choses par envie, le plus honnêtement possible et avec le plus de sincérité. ” Bamboo Edition s’étend au fil des rencontres, devenant son propre diffuseur : la BD réaliste et adulte avec Grand Angle et la complicité d’Hervé Richez, le manga avec Doki-Doki, la fantasy avec Drakoo dès 2019, et bientôt le roman avec Grand Angle Roman et Jim, l’auteur d’ Une nuit à Rome. Ayant toujours voulu être généraliste, Olivier Sulpice gomme une image d’éditeur ” opportuniste “, ” populo “, ” de supermarchés “, que lui accolent ses concurrents. Avec son filon du gag, il a notamment attaqué frontalement Dupuis qui dominait le genre, grappillant les parts de marché. Evoquez la personnalité de ce concurrent avec les autres éditeurs, on vous répondra encore aujourd’hui par un sourire poli, tout en reconnaissant le succès indéniable. ” On aime ou on n’aime pas, il a réussi son coup, nous confie un éditeur d’une maison au style différent. En plus, il semble bien traiter ses auteurs et ce n’est pas négligeable. ”

Nouveaux challenges

Fonceur, bosseur, s’ennuyant très vite, l’entrepreneur est attentif à tout ce qui se passe dans ses locaux, même s’il a délégué, bienveillant avec ses collaborateurs et n’aimant pas se mettre en avant. Il ne manque pas de projets. L’un des derniers en date : la reprise surprise l’année dernière de Fluide Glacial, vétéran des kiosques créé en 1975 par Gotlib. Le monument de l’humour adulte, coquin et potache végétait dans un groupe, Gallimard, qui ne savait pas trop quoi en faire. Les bonnes relations qui lient Olivier Sulpice et Mathieu Cosson, directeur général délégué de la maison historique, aboutissent à l’entrée en majorité de Bamboo. ” Ça me fait bien rire d’être associé à Gallimard ! “, sourit-il. La nouvelle fait l’effet d’une bombe dans le petit monde de la BD qui ne voit pas comment les styles humoristiques des deux marques se marieront. C’est un peu les provinciaux qui montent à Paris, dit-on, non sans condescendance. En plus, le magazine a une sacrée réputation d’autonomie : les nouveaux, on les bizute chez Fluide ! Olivier Sulpice laisse donc la gestion du mensuel à son équipe originelle. Par contre, il décide d’insuffler une vraie politique éditoriale en matière d’albums, jusqu’ici délaissée. Les débuts du mariage sont plutôt sereins. Neuf mois plus tard, le couple connaît son premier orage avec l’annonce du départ prochain du rédacteur en chef Yan Lindingre, officieusement pour des divergences de vue. Officiellement, the show must go on.

Le spectacle Bamboo se poursuivra aussi bientôt dans les salles suite à une nouvelle frustration. Olivier Sulpice reconnaît le succès de l’adaptation cinématographioque de la bande dessinée Les Profs, les deux films de Pef ayant approché les 4 millions d’entrées en France. Mais quand il a monté les marches à Cannes, il s’est promis d’y revenir un jour en produisant lui-même. Et quand il a une idée en tête… S’associant d’abord avec le producteur Matthieu Zeller pour créer Bamboo Films, l’éditeur lorgne l’animation en prenant récemment des parts du studio d’animation bruxellois nWave de Ben Stassen. Il veut prouver que là aussi il a sa place en trempant lui-même les mains dans le cambouis. Il nous dit vouloir passer plus de temps avec les siens, après avoir tant bossé. On ne le croit pas.

Par Nicolas Naizy.

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