Quels canaux de distribution pour l’entreprise de demain?
Seul canal d’achat disponible pendant le confinement pour toute une série de produits, le commerce en ligne a effectué un bond sans précédent. Si bien que pour l’entreprise de demain, plus question de lui tourner le dos. Mais les défis sont nombreux. Et le magasin physique n’est pas mort !
C’est une certitude : la crise que nous venons de traverser a joué un rôle d’accélérateur de tendances. Et parmi ces tendances, il y a bien évidemment l’e-commerce. Tous les secteurs sont concernés. Chez Delhaize, par exemple, la livraison à domicile a connu une croissance d’environ 20% pendant le confinement. Et si le nombre de commandes en ligne a aujourd’hui quelque peu diminué, l’enseigne au lion affirme toujours se situer au-dessus du niveau d’avant-crise. ” Nous avons recruté beaucoup de nouveaux clients en ligne “, assure son porte-parole, Roel Dekelver. Il a donc fallu augmenter la capacité beaucoup plus vite que prévu. La chaîne a ainsi dû agrandir son parc de camionnettes et engager davantage de livreurs et préparateurs.
Autre secteur, même tendance. Nous relations la semaine dernière la manière dont l’enseigne belge spécialiste des grandes tailles Paprika a vu ses ventes en ligne bondir pendant le confinement, lui permettant de réaliser jusqu’à 45% de son chiffre d’affaires malgré la fermeture de ses magasins. Aujourd’hui, alors que ces derniers ont rouvert leurs portes, les ventes en ligne du groupe se maintiennent à un niveau élevé, si bien que Paprika a revu ses ambitions à la hausse : l’entreprise entend désormais réaliser 50% de son chiffre d’affaires en ligne le plus rapidement possible.
Ce tournant digital est aussi l’affaire des plus grands. Le numéro 1 mondial de la fringue Inditex (Zara, Pull&Bear, Massimo Dutti, etc.) vient ainsi d’annoncer son intention de fermer 1.200 de ses 7.500 boutiques à travers le monde. La multinationale va parallèlement investir près d’1 milliard d’euros dans l’e-commerce. Objectif ? Capter en ligne une vente sur quatre d’ici deux ans.
” La crise a profondément changé nos manières de consommer, et ce de manière forcée, explique Sandra Rothenberger, professeur de stratégie et marketing à la Solvay Brussels School (ULB). Le consommateur n’avait le choix que de se tourner vers l’e-commerce. C’est ce que l’on appelle de l’ emergency online shopping. Un contexte qui a sans doute permis de faire tomber pas mal de barrières. Un consommateur qui est forcé d’acheter en ligne est certainement disposé à communiquer davantage ses données. Sa sensibilité se réduit énormément, tout comme l’angoisse qu’il pouvait éprouver à commander en ligne jusqu’alors. ”
L’agroalimentaire s’y met
Si les grandes chaînes de distribution ont renforcé leurs services d’e-commerce pendant la crise, certains fabricants ont eux aussi décidé d’explorer ce nouveau canal de distribution. Et non des moindres. Des géants de l’agroalimentaire comme Kraft Heinz et PepsiCo ont profité de cette période pour tester sur certains de leurs marchés la vente directe au consommateur, outrepassant la grande distribution. Chez nous, le leader mondial de la bière AB InBev a lancé pendant la crise une plateforme en ligne permettant aux clients de se faire livrer leurs marques préférées directement à domicile. ” La réflexion était déjà en cours avant le confinement, explique Karolien Cloots, porte-parole Belux. Nous souhaitions lancer une boutique en ligne depuis un certain temps car nous recevions pas mal de questions à ce sujet de la part des consommateurs. Nous voulions donc répondre à ce besoin et la période de fermeture de l’horeca a accéléré le développement. Cette plateforme est aujourd’hui dans une phase initiale, c’est une initiative à petite échelle destinée à évoluer. ”
Pour ces multinationales, il s’agit surtout de tester le potentiel et les limites de la vente directe au consommateur. Et puis aussi de récolter de précieuses données sur leurs clients, données qui leur échappent lorsque leurs produits sont vendus via la grande distribution. Mais les défis sont énormes. Qu’il s’agisse de logistique, de livraison, etc. Sans parler du fait qu’il va falloir convaincre un consommateur plutôt tenté de commander toutes ses courses au même endroit et de payer des frais de livraison sur l’ensemble de son panier. Sur le webshop d’AB InBev, des frais de 5 euros sont réclamés pour toute commande de moins d’un casier ou de moins de 24 canettes. Le même casier est par ailleurs plus cher sur la plateforme de la marque que sur les sites d’e-commerce de plusieurs grand distributeurs. Pas gagné…
De manière générale, on peut dire que la rentabilité constitue l’un des enjeux majeurs pour tout acteur qui décide de s’ouvrir à ce nouveau canal de vente qu’est l’e-commerce. Si les ventes en ligne de Paprika sont légèrement plus rentables que ses magasins physiques, c’est essentiellement parce que l’enseigne wallonne s’est attelée à construire patiemment un business model efficace, notamment au niveau de la logistique, de l’approvisionnement et de la gestion des stocks. Grâce au milliard d’euros qu’elle entend investir dans l’e-commerce d’ici 2022, la maison mère de Zara, quant à elle, prévoit de rendre son organisation plus flexible et plus efficace, mais aussi de réduire les coûts de livraison. Même combat pour tout le monde, donc.
Expérience client
Autre grand défi pour les acteurs qui décident de se lancer en ligne : la reproduction de l’expérience shopping. ” L’expérience online n’est pas du tout comparable à l’expérience en magasin, affirme Sandra Rothenberger. En boutique, le consommateur est confronté à plusieurs marques, ses cinq sens peuvent être sollicités et le conseil est plus aisé. Psychologiquement, un commerçant y dispose d’un plus fort pouvoir d’influence sur ses clients. Ce n’est pas le cas en ligne, où les achats d’impulsion sont abolis. Tout l’enjeu pour les entreprises qui se lancent dans l’e-commerce est donc de reproduire au maximum cette expérience physique. Cela peut se faire grâce à la réalité virtuelle, l’idée étant de plonger le consommateur dans un environnement immersif, comme s’il était en boutique. Des avatars peuvent également engager la conversation avec le client pour le guider dans ses achats et le faire rester plus longtemps sur le site. ”
Pour cette experte, toutefois, le magasin en tant que tel devrait rester un canal de vente important. Ce n’est pas pour rien si des pure players (des acteurs ne vendant qu’en ligne) se mettent à ouvrir des points de vente physiques. ” Il est impossible de récréer à 100% une expérience physique en ligne, explique notre interlocutrice. Une boulangerie où cela sent bon le pain chaud, le stand ‘fromages’ d’un supermarché, etc. Par ailleurs, le rôle social du magasin est très important. Le point de vente physique est et restera un lieu de rencontre. ”
D’une salle de fitness à une société de coaching à distance
Outre les produits, les services aussi seront certainement ” distribués ” autrement dans l’entreprise de demain. De manière plus digitalisée. Un exemple frappant : les salles de fitness. Pendant le confinement, de nombreux membres ont suspendu leur abonnement et se sont mis à suivre des cours – souvent gratuits – en ligne. Pour les acteurs du secteur, l’enjeu est immense. ” Cette crise nous pousse à accélérer la digitalisation de nos services, assure Francis Ottevaere, CEO du groupe JIMS. Le lieu ‘salle de sport’ devient de moins en moins pertinent, si bien que nous souhaitons évoluer d’un opérateur de salles de fitness vers une société de coaching. L’idée étant d’aider nos membres à atteindre leurs objectifs où qu’ils se trouvent. ”
Le responsable envisage de développer des abonnements 100% digitaux, donnant accès à une panoplie de cours collectifs ainsi qu’à du coaching personnalisé via l’application de la salle. ” Nous pourrions envisager un modèle de paywall comme sur les sites d’information, dit-il. Vous auriez accès à quelques cours gratuits, et il faudrait vous abonner pour accéder à l’ensemble, et notamment à des cours en direct. ” JIMS est par ailleurs en discussion avec l’opérateur Telenet qui recherche du contenu pour son application Play Fit. ” Ils sont connectés au grand téléviseur de la maison. Nous pouvons leur fournir des vidéos de cours collectifs, explique Francis Ottevaere. Un premier test a d’ailleurs lieu cette semaine. ”
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