Quel bilan tirer de la dernière mission économique princière au Mexique?
Présidée par la princesse Astrid, une importante délégation d’hommes et de femmes d’affaires belges s’est posée la semaine dernière au Mexique. Objectif : vendre le savoir-faire “made in Belgium” et décrocher de nouveaux contrats dans un pays en pleine résurrection. Retour sur une mission économique aux accents géopolitiques.
“Pendant que certains s’entêtent à ériger des murs, nous choisissons l’option de construire des ponts. ” La semaine dernière au Mexique, plusieurs personnalités politiques et hommes d’affaires belges n’ont cessé de répéter ce credo. Une critique assumée à l’encontre du président Donald Trump qui veut toujours cadenasser la frontière des Etats-Unis avec son voisin du sud, mais surtout un message plein d’espoir des décideurs belges à l’attention de leurs interlocuteurs mexicains.
Emmenée par la princesse Astrid, une mission économique s’est en effet posée à Mexico il y a quelques jours à peine pour y vendre le savoir-faire made in Belgium. Plus de 200 cadres et chefs d’entreprise étaient du voyage, accompagnés par quatre officiels de haut vol : le ministre fédéral de l’Emploi et de l’Economie Kris Peeters, le ministre wallon de l’Economie Pierre-Yves Jeholet, la secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur Cécile Jodogne et le ministre flamand de l’Economie Philippe Muyters.
Une nouvelle ère
Quinzième économie mondiale portée par une population de 130 millions d’habitants, le Mexique vit un moment charnière de son histoire, comme l’a d’ailleurs rappelé Antoine Evrard, l’ambassadeur belge sur place lors du lancement officiel de la mission princière. Non seulement le pays s’est tourné davantage vers l’Europe en raison de ses relations tendues avec les Etats-Unis, mais l’élection d’un nouveau président, le 1er décembre dernier, a surtout fait entrer le Mexique dans une nouvelle ère.
Depuis sa prise de fonction, le chef de l’Etat Andres Manuel Lopez Obrador a en effet multiplié les réformes pour lutter contre la corruption et le crime, tout en présentant un budget solide et des projets structurels ambitieux. ” Nous voulons construire un environnement favorable aux investissements, à la croissance, à la création d’emplois et à l’innovation, explique la nouvelle ministre de l’Economie mexicaine Graciela Marquez Colin. Notre pays doit remporter une victoire contre la corruption. C’est notre garantie pour attirer les investisseurs étrangers. ”
Une arme marketing
Classée au troisième rang des pays de l’Union européenne qui investissent le plus au Mexique, la Belgique a noué de solides relations historiques avec cette nation et la délégation officielle envoyée la semaine dernière est la première à avoir rencontré le nouveau président sur son territoire. La princesse Astrid y a reçu tous les honneurs et a joué, comme à l’accoutumée, son rôle de ” super VRP ” pour les entrepreneurs belges.
” Sa présence ouvre des portes et facilite les contacts aux niveaux de pouvoir les plus importants, tant dans les organismes publics que dans les entreprises “, affirme la secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur Cécile Jodogne. ” Pour nous comme pour nos interlocuteurs locaux, la venue d’un membre de la famille royale est une valeur ajoutée et cela nous donne une vraie crédibilité dans nos négociations, confirme ce chef d’entreprise présent à la mission. L’expression est peut-être osée, mais en mission économique, la princesse Astrid est une véritable arme marketing au niveau du business. ”
Déjà 15 contrats
Déclenchés en amont par les trois agences régionales au commerce extérieur qui participent traditionnellement aux missions économiques, les contacts avec les entreprises locales se révèlent généralement nombreux et prometteurs. Les patrons et cadres belges enchaînent les rendez-vous en quelques jours à peine et participent aux festivités d’un programme censé faciliter les échanges commerciaux.
Point d’orgue de l’événement, la signature de différents contrats vient couronner une semaine riche en négociations et sert généralement de baromètre au succès de la mission. Au Mexique, ce ne sont pas moins de 15 deals qui ont ainsi été finalisés en présence de la princesse Astrid. Spécialisée dans le développement de solutions innovantes à base de probiotiques, la société wallonne Vésale Pharma a par exemple signé un contrat de 4 millions avec les Mexicains de Grin Laboratorios pour la commercialisation de ses produits dans leur pays.
L’expression est peut-être osée, mais en mission économique, la princesse Astrid est une véritable arme marketing au niveau du business.
Basée à Warcoing, l’entreprise Cosucra a elle aussi conclu un important marché pendant la mission économique avec le distributeur mexicain FX Morales pour écouler ses additifs végétaux dans cette partie du continent américain. ” Notre ambition est de réaliser un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros au Mexique dans les trois ans à venir, commente Eric Bosly, directeur commercial du leader mondial de la transformation de pois en protéines végétales. C’est le fruit de huit mois de négociations intenses et nous somme ravis de conclure enfin ce marché prometteur. ” Avec son chiffre d’affaires de près 100 millions d’euros réalisé dans 45 pays, Cosucra est une belle success story wallonne qui poursuit un peu plus aujourd’hui son expansion internationale.
Bières et chocolat
Au Mexique, le même enthousiasme commercial était perceptible chez les responsables des trois brasseries flamandes – Cornelissen, De Halve Maan et Verhaeghe Vichte – qui débuteront ou renforceront bientôt l’exportation de leurs bières sur le continent américain via des partenaires locaux, ou encore chez la société montoise AMB Ecosteryl, spécialisée dans le traitement et le recyclage des déchets médicaux, et qui s’apprête à entrer également sur le marché mexicain.
Déjà connus dans certains pays d’Asie et du Moyen-Orient, les chocolats Galler ont, eux aussi, finalisé la négociation d’un accord de distribution au Mexique via la chaîne de magasins Palaccio de Hierro surnommée ” le Harrods mexicain “. Les tablettes et autres barres de chocolat made in Belgium seront bientôt vendues dans six des 14 magasins de la chaîne, avant de gagner les huit autres enseignes si les résultats se révèlent satisfaisants. ” Nous espérons atteindre un volume d’affaires de près de 100.000 euros sur la première année d’exploitation de nos produits au Mexique, explique Thibaud Mariage, sales manager chez Galler. Mais cette présence chez Palaccio de Herrio sera surtout, pour nous, une vraie porte d’entrée sur le marché mexicain puisque nous allons sans doute conclure, dans la foulée, d’autres contrats avec des sociétés concurrentes. ”
Emulsion belgo-belge
Propices à l’exploration de nouveaux marchés à l’étranger, les missions économiques princières permettent généralement aux membres de la délégation officielle de nouer aussi des contacts ” intra-belges ” durant l’événement. La dernière expédition au Mexique n’a pas dérogé à la règle. Dans ce contexte singulier, les patrons de PME locales côtoient en effet les CEO de grandes sociétés cotées et le climat détendu de ces missions ouvre la voie à toutes les discussions.
” Nous avons rejoint la mission économique au Mexique pour faire connaître notre savoir-faire en matière de video mapping ( une technologie multimédia qui consiste à projeter des images de grande taille sur des monuments, Ndlr), témoigne Arnaud Meulemeester, business developper au sein de la société carolo Dirty Monitor. Là, nous avons rencontré le vice-président de Barco, qui ne nous connaissait pas et qui a été impressionné par le travail que nous réalisons avec ses projecteurs. Il veut donc nous revoir. Personnellement, je pense que 50% du succès des missions princières à l’étranger passe aussi par les contacts commerciaux qui se nouent sur place entre Belges. ”
Pour bon nombre d’entrepreneurs qui participent aux missions économiques, l’argent investi – entre 3.000 et 4.000 euros en moyenne – en vaut donc la peine. ” Le retour sur investissement est quasiment garanti grâce aux nombreux contacts que l’on noue pendant la mission, confirme Thierry Ponet, un entrepreneur bruxellois qui tente d’exporter sa marque de gin Bishop’s au Mexique. On s’entraide entre Belges et la princesse Astrid est une vraie facilitatrice de contacts, ce qui est très important pour moi puisque je viens de me lancer également dans la production de mescal sur le territoire mexicain dans l’espoir d’importer prochainement ma nouvelle marque, Telegram, en Europe. ”
Inaugurations en série
Idéales pour les petites entreprises désireuses d’explorer un marché lointain, les missions économiques princières sont aussi l’occasion, pour les grandes sociétés belges, de profiter de la présence d’un membre de la famille royale pour inaugurer un nouveau siège à l’étranger ou pour médiatiser la concrétisation d’un contrat signé quelques mois plus tôt. Ainsi, au Mexique, le géant pharmaceutique belge UCB – 4,5 milliards de chiffre d’affaires en 2017 – s’est offert les services de la princesse Astrid pour couper le cordon inaugural de ses nouveaux bureaux qui emploient 200 personnes dans la capitale.
Propices à l’exploration de nouveaux marchés à l’étranger, les missions économiques princières permettent aux membres de la délégation officielle de nouer aussi des contacts “intra-belges” durant l’événement.
Deux jours plus tard, c’est au Doctors Hospital de la ville de Monterrey, au nord du pays, que la princesse a officiellement inauguré le tout dernier cyclotron de l’entreprise wallonne IBA, leader mondial de la protonthérapie pour le traitement du cancer. L’installation de ce modèle nouvelle génération – inédit sur le continent américain – et du laboratoire de radio-pharmacie qui l’accompagne représente, selon nos informations, un contrat de 2 à 4 millions d’euros pour la société néo-louvaniste.
Signalons enfin que le groupe belge CMI a également profité de la présence de la princesse Astrid à Monterrey pour y présenter son atelier de production qui emploie aujourd’hui une cinquantaine de personnes. Ce fleuron de l’industrie liégeoise, qui réalise près de 10% de son chiffre d’affaires mondial au Mexique, souhaite y développer de nouvelles activités dans les secteurs de l’énergie, de la santé et de la défense. Dans la guerre que le nouveau président mexicain a déclaré aux cartels de la drogue, CMI pourrait en effet apporter son expertise dans la construction de petits véhicules militaires garnis de tourelles pour lutter contre les narcotrafiquants.
La construction de murs comme la fermeture de marchés peuvent être sources d’opportunités. Ainsi, les poires belges feront bientôt leur entrée au Mexique grâce à un certain… Vladimir Poutine ! ” On peut résumer notre arrivée sur le marché mexicain de cette façon, sourit Gert Van Causenbroek, export manager de VLAM, l’association flamande d’agro-marketing. Depuis que le président russe a fermé les frontières de son pays à nos poires en 2014, nous sommes en effet partis à la recherche d’autres marchés et nous avons finalement attaqué le Mexique il y a trois ans. C’est un long processus de négociations qui passe notamment par des discussions avec la Senasica, l’homologue mexicain de l’Afsca, mais nous pouvons aujourd’hui annoncer que les poires belges seront commercialisées dès l’automne prochain au Mexique, notamment grâce à la princesse Astrid qui nous permis de gagner un temps précieux dans les négociations. ”
Sur les 300.000 tonnes que cueillent chaque année les producteurs de poires belges, Gert Van Causenbroek espère en écouler 10% au Mexique dans un premier temps, avant d’augmenter les volumes d’exportation si les consommateurs se montrent réceptifs aux spécificités de la variété Conférence qui sera bientôt vendue là-bas. ” Aujourd’hui, 95% des poires importées au Mexique proviennent des Etats-Unis, conclut Gert Van Causenbroek qui s’apprête à déployer une vaste campagne de communication de près d’un million d’euros sur le territoire mexicain. Dans le contexte actuel, je pense que nous pouvons vraiment prendre une partie de ce marché. “
200 hommes et femmes d’affaires
ont participé à la mission économique princière au Mexique.
En surface, rien ne laisse présager du trésor architectural qui se cache sous ce parc de l’ouest de Mexico. En s’aventurant dans les allées, on aperçoit pourtant rapidement les trois puits de lumière du Garden Santa Fe, le seul centre commercial souterrain d’Amérique latine. Construit en 2014, l’endroit brille par son audace créative et par l’incroyable luminosité de ces tours de verre qui captent la lumière extérieure et la diffusent sur les trois étages en sous-sol. Ce complexe de 90 boutiques est aussi une référence en matière de développement durable pour sa gestion des eaux usées, la ventilation naturelle des lieux et l’absence totale de pollution sonore.
Mis à l’agenda de la secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur, la visite du Garden Santa Fe est surtout un exemple révélateur de la dimension inspirante que peuvent revêtir les missions princières. Cécile Jodogne avait en effet choisi d’axer son programme mexicain sur une thématique qui lui tient à coeur dans la sphère économique : la responsabilité sociétale des entreprises, qui se décline non seulement dans l’attention particulière portée aux droits humains – notamment dans les questions d’égalité de genre – mais aussi dans la promotion du développement durable et de l’éco-construction.
” J’ai accompagné 11 missions économiques princières au cours de mon mandat et j’ai toujours trouvé très intéressant de m’ouvrir à d’autres idées et d’autres concepts pour nourrir ma réflexion, explique la secrétaire d’Etat bruxelloise au Commerce extérieur. Les échanges d’expériences sont essentiels et la Région bruxelloise peut aussi apporter son savoir-faire en la matière. ” Lors de la mission princière au Mexique, Cécile Jodogne a en effet pris la parole lors de séminaires dédiés à la responsabilité sociétale des entreprises et à l’éco-construction pour souligner précisément les efforts de la Région de Bruxelles-Capitale sur ces questions.
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