Quand les “fablabs” donnent un coup de pouce aux start-up

Xavier Willot, responsable du Citifab 2, le "fablab" hébergé par Transforma BxL "Le 'fablab' démocratise l'accès aux outils et désacralise leur usage. On est dans l'esprit du 'do it yourself'." © Aurore Delsoir

Les ” fablabs ” se multiplient sur le territoire belge. Ces lieux d’innovation sont investis par les entrepreneurs et les créateurs de start-up qui veulent mettre les mains dans le cambouis et tester leurs idées à prix plancher.

Veoware Space a la tête dans les étoiles. La start-up active dans le domaine spatial vient de décrocher un chèque de 500.000 euros lors des derniers Innovative Starters Awards décernés par Innoviris, l’organisme bruxellois qui soutient la recherche et l’innovation. La jeune pousse a été récompensée pour son système innovant de guidage des satellites d’observation de la Terre. Son camp de base est situé à Evere, en Région bruxelloise, et plus spécifiquement à Transforma Bxl, un espace de coworking qui a la particularité d’accueillir en son sein un fablab.

Un fablab est un espace de création ouvert aux entrepreneurs et aux start-uppers qui cherchent à créer un premier prototype de leur produit. Pour Veoware Space, ce lieu s’est avéré crucial pour la fabrication d’une première mouture de son système de guidage. Grâce aux machines mises à disposition dans le fablab (oscilloscopes, générateurs de puissance, multimètres, etc.), Julien Tallineau et son équipe ont pu contrôler les paramètres du moteur et vérifier son bon fonctionnement. ” C’est grâce au fablab que nous avons convaincu Innoviris de nous apporter son soutien “, explique Julien Tallineau, CEO de Veoware Space. Le test du premier prototype s’est fait dans le fablab devant les responsables de l’organisme bruxellois, venus évaluer l’état d’avancement du projet de la start-up.

L’intérêt des “fablabs” pour les entrepreneurs, c’est qu’ils ont accès à des machines parfois très onéreuses à des coûts extrêmement réduits.

La jeune pousse bruxelloise a décroché un contrat avec l’Agence spatiale européenne. D’ici août prochain, elle doit livrer un prototype totalement fonctionnel. Ce dernier n’est pas destiné à voler, mais sera examiné sous toutes ses coutures. Si l’Agence spatiale est satisfaite, la start-up passera à l’étape suivante : la production d’un système de guidage pouvant résister aux conditions difficiles dans l’espace. Il y a encore du pain sur la planche, mais Julien Tallineau est confiant. Il pense tenir une idée révolutionnaire avec son produit, qui est capable de faire pivoter un satellite d’observation beaucoup plus rapidement que les systèmes classiques. ” Actuellement, les satellites présents en orbite ne sont pas capables de cartographier le monde en temps réel. Avec notre système, ce sera possible, pour un faible coût “, assure le CEO de Veoware Space. Julien Tallineau rêve de commercialiser son produit auprès des grands acteurs mondiaux du domaine spatial, comme Thales, Airbus ou Planet, une société très ambitieuse qui a pour objectif de ” monitorer ” la Terre en temps réel.

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Les “fablabs” sont des espaces de création ouverts aux entrepreneurs qui cherchent à créer un premier prototype de leur produit.© pg

Prototypage industriel

On n’en est pas encore là. Mais les débuts de la start-up bruxelloise sont prometteurs. Si le projet décolle, c’est à un autre niveau, plus industriel, que la production se situera. Mais les premiers pas de la jeune entreprise auront pu bénéficier des outils mis à disposition par le fablab. C’est bien l’ambition de cet espace d’expérimentation : accompagner les essais et erreurs des entrepreneurs et des créatifs en tous genres. ” Notre intention est de nous spécialiser dans le prototypage industriel “, avance Xavier Willot, responsable du fablab de Transforma Bxl. Cet espace est un des trois fablabs gérés à Bruxelles par Citidev (ex-SDRB), l’organisme régional de développement. Si d’autres fablabs se destinent aux écoles, aux étudiants, aux artistes ou aux particuliers, celui d’Evere vise un public d’entrepreneurs et de créateurs de start-up. Le coworking dans lequel il est hébergé lui fournit un premier vivier d’utilisateurs potentiels. ” Entre 20 % et 30 % des coworkers utilisent nos machines “, précise Xavier Willot. C’est le cas notamment de la start-up Jooki, qui utilise le fablab pour peaufiner le design de son enceinte musicale connectée pour les enfants.

Le fablab everois met à disposition des utilisateurs une série de machines leur permettant de bidouiller et de produire des versions expérimentales de leurs produits. Comme d’autres espaces du même genre, il compte une petite collection d’imprimantes 3D, ainsi que des machines à découper, permettant de travailler le bois, le plastique et le métal. Les usages sont variés : ” Une entrepreneuse vient de terminer un prototype de gourde, dont elle devrait prochainement lancer la production. Un autre designer développe un prototype de chaussures à semelles ergonomiques “, illustre Xavier Willot.

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“Do it yourself”

Le responsable du fablab n’en est pas à son coup d’essai. Préalablement à l’espace bruxellois, il a lancé celui d’Andenne et celui de Namur. ” On est dans l’esprit du do it yourself ( fais-le toi-même, Ndlr). L’idée est de sauter la partie théorique pour arriver directement à la partie manuelle. Le fablab démocratise l’accès aux outils et désacralise leur usage “, défend Xavier Willot. Pour autant, les entrepreneurs et créateurs de start-up qui comptent les utiliser ne doivent pas être totalement novices en la matière. Il s’agit d’avoir certaines bases au niveau du travail manuel, mais surtout de maîtriser les outils numériques. Avant d’être produit, tout prototype doit d’abord être modélisé en trois dimensions sur ordinateur. Pour concrétiser leur idée, les entrepreneurs pourront bénéficier de certains conseils, mais personne ne leur tiendra la main dans leur processus d’expérimentation : ” Ce n’est pas une garderie. Nous mettons nos machines à disposition d’entrepreneurs autonomes “, explique Xavier Willot.

L’intérêt pour les entrepreneurs, c’est qu’ils ont accès à des machines parfois très onéreuses à des coûts extrêmement réduits. Comptez un abonnement annuel de quelques dizaines d’euros, des frais d’utilisation (1 euro de l’heure chez Transforma Bxl) et l’achat des matériaux à un prix compétitif. Le prototype de gourde n’a pas coûté plus de 30 euros à l’entrepreneuse qui l’a fabriqué, assure Xavier Willot.

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Une vingtaine de “fablabs”

Le concept séduit de plus en plus et se répand sur le territoire belge. On en compte une vingtaine en Wallonie (Mons, Liège, Marche-en-Famenne, Charleroi, Namur…) et à Bruxelles. Au Relab de Liège, 350 m2 sont consacrés à l’expérimentation et à la création, sur une trentaine de machines numériques. Si le fablab, subsidié par des fonds régionaux et européens, a d’abord poursuivi un objectif sociétal et environnemental de récupération de déchets et de recyclage des matériaux, il embrasse désormais aussi une visée plus entrepreneuriale. ” Nous accueillons de plus en plus d’entrepreneurs et de porteurs de projets “, observe Bryan Stepien, manager du Relab depuis un peu plus de deux ans. Des start-up et des PME locales utilisent les installations pour développer leurs produits. Comme la société Nomics, active dans le domaine médical, qui a prototypé au sein du fablab le boîtier externe d’un de ses appareils connectés.

L’espace liégeois accueille même de grandes entreprises qui s’intéressent au processus de création à l’oeuvre dans les fablabs. L’industriel John Cockerill (ex-CMI) offre la possibilité à ses employés de plancher sur leurs propres projets au sein du Relab. ” Nous avons aussi accompagné Safran, qui souhaite créer son propre fablab en interne. Et nous avons aidé le CHU de Liège à mettre sur pied des outillages à destination des patients paraplégiques “, explique Bryan Stepien.

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Relocaliser la production

Le concept de fablab est apparu dans les années 1990, sous la houlette du physicien et informaticien Neil Gershenfeld, professeur au célèbre MIT de Boston. L’idée originelle est de mettre en commun des ressources et des compétences pour favoriser la création et la fabrication locales. Une charte internationale des fablabs a été édictée. Elle se base notamment sur la volonté de mettre toute la création produite par les fablabs en accès libre, en open source. Les fablabs étant de plus en plus utilisés par des entrepreneurs et des créateurs de start-up, qui mettent un premier pied à l’étrier avant de se lancer dans une production plus structurée, cet idéal open source tend à se distendre. On voit émerger plus de projets à visée commerciale. Par contre, l’idée d’une production relocalisée reste d’actualité : ” L’idée du fablab est d’optimiser la chaîne de production. Avec ce concept, on peut créer sur place une pièce en deux jours “, estime Bryan Stepien. ” Le fablab comble un besoin : celui de l’accès à un prototypage rapide et bon marché, complète Delphine Dauby, fablab manager à l’ULB. Ces dernières années, la seule solution pour les entrepreneurs était de passer par des sous-traitants chinois, ce qui impliquait des délais énormes. ”

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Changement de cap pour les “fablabs ”

A Charleroi, l’ULB s’apprête à déménager son fablab. Il s’installera bientôt au sein de A6K, un projet porté par Catch (la cellule de redynamisation économique carolo) et situé dans l’ancien centre de tri postal, à côté de la gare. L’objectif d’A6K est de connecter les industriels, les centres de recherche et les start-up technologiques. Une place de choix pour le fablab. ” Le fablab est un maillon de l’innovation sur le territoire carolo “, pointe Delphine Dauby.

Changement de cap aussi pour le fablab montois, qui va bientôt quitter ses locaux de l’UMons pour intégrer le parc scientifique Initialis. Il y retrouvera un écosystème de start-up qui cadre mieux avec ses activités : ” Nous nous spécialisons dans le prototypage dans le domaine des objets connectés “, détaille Martin Waroux, directeur du fablab montois. Ce dernier accueille déjà des responsables de PME locales, mais il est surtout fréquenté par des étudiants. ” A l’avenir, vu notre nouvelle localisation, nous accueillerons plus d’entrepreneurs “, ajoute-t-il.

Au départ, les fablabs étaient vus essentiellement comme de petits laboratoires d’expérimentation permettant aux étudiants de produire des travaux de fin d’année, ou permettant à des citoyens bricoleurs de bidouiller à peu de frais. Ils sont désormais vus comme des soutiens à part entière aux entrepreneurs et aux créateurs de start-up, comme Veoware Space, qui se lancent dans la fabrication de produits manufacturés.

Delphine Dauby, fablab manager à l'ULB:
Delphine Dauby, fablab manager à l’ULB: “Le fablab comble un besoin : celui de l’accès à un prototypage rapide et bon marché.”© Leslie Artamanow

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