Quand le patron a un rhume, l’entreprise tousse!

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La santé du CEO et son impact sur l’entreprise: telle était la thématique abordée à Liège dans le cadre des Rencontres stratégiques du manager organisées par le cabinet de conseil BSPK. L’occasion était de faire le point sur une réalité souvent négligée par les chefs d’entreprise.

C’est une réalité ignorée, un angle mort de l’entrepreneuriat : la santé du dirigeant. Pour traiter de cette thématique, BSPK a invité Olivier Torrès, professeur à l’Université de Montpellier et fondateur de l’Observatoire sur la santé des travailleurs non salariés, Amarok, ainsi que William Piccione, auteur de plusieurs ouvrages, qui se définit comme un entrepreneur humaniste. Le thème : ” La santé des CEO : vecteur ou baromètre des souffrances de l’entreprise ? Et quelles solutions ? “.

Dans le livre (1) qu’il a consacré à la santé du dirigeant, Olivier Torrès décrit la situation : ” Le patron n’est ni inhumain, comme se complaisent à dire ceux qui le diabolisent, ni surhumain comme se plaisent à croire ceux qui le divinisent. Un patron, un entrepreneur, un artisan, un indépendant ou un libéral est, d’abord et avant tout, un être humain, et aborder la question de sa santé le ramène à juste titre, à cet état de nature que l’état de droit semble ignorer. Il n’existe pas, à ce jour en France, ni même à notre connaissance dans un autre pays, de service de santé dédié aux travailleurs non salariés “.

Malade moi ?

Et si la santé est le cadet des soucis du dirigeant, ne parlons même pas de la maladie. Malade lui ? Jamais. ” La majorité des patrons que je rencontre, poursuit Olivier Torrès, me déclarent qu’ils n’ont simplement pas le temps de tomber malade. Un jour, un entrepreneur actif dans la construction m’avoua cependant qu’il tombait systématiquement malade lorsqu’il était en congé. Je lui ai demandé comment il avait réglé le problème. ‘C’est simple, a-t-il répondu, je ne prends plus de vacances’. ”

Une solution peut-être efficace mais surtout extrême. Car les chiffres concernant cette question et accumulés au fil des études sont édifiants. Ainsi, un chef d’entreprise sur cinq avoue souffrir d’un problème de santé chronique ; 70% des entrepreneurs estiment que la santé de leur entreprise joue sur la leur ; 100% des indépendants atteints d’un cancer ont travaillé pendant toute la durée de leur traitement ; l’absentéisme diminue de deux tiers lorsque l’entreprise mise sur une meilleure santé des travailleurs ; 58% des chefs d’entreprise estiment que le stress est à l’origine de leurs problèmes de santé.

Le stress ! Le mot est lâché. Est-ce donc la cause du mal dont souffre le dirigeant ? Trois principales causes lui amènent du stress : une surcharge de travail, un manque de trésorerie et des incertitudes concernant l’activité. ” Le stress est l’écart entre les objectifs et les moyens pour les atteindre, répond Olivier Torrès. Et contrairement à ce que l’on pense, il n’y a pas de bon stress, de stress positif. Le stress est un facteur pathogène. S’il était vraiment positif, dis-je souvent à mes interlocuteurs, pourquoi ne stressez-vous pas vos clients, vos fournisseurs, vos collaborateurs. Même si certains ont fait l’éloge d’une gestion par le stress. L’exemple-type étant le toyotisme avec zéro défaut et zéro délai. Maintenant, il faut différencier stress subi et stress choisi. On peut, à la limite, tolérer le second qui peut générer de la satisfaction au travail mais il faut être vigilant pour ne pas basculer dans le stress subi. ”

Le capital santé des dirigeants est le premier actif immatériel de la PME.

De son côté, William Piccione oppose au stress le bonheur et conseille de prendre soin de l’être humain que nous sommes. Faire attention à soi n’empêche pas pour autant de ” réussir ” en affaires comme son parcours professionnel le prouve. L’entrepreneur monégasque a entre autres lancé en France les semelles Noene permettant d’amortir les chocs et vibrations, les pansements hydrocolloïdes Compeed ou encore Oralgum, la première brosse à dents en caoutchouc naturel.

OLIVIER TORRES:
OLIVIER TORRES: “La dépendance de l’entreprise à son patron est d’autant plus forte que sa taille est petite.”© MICHEL HOUET

PME: attention danger!

” Le problème, intervient Henri Prévost, CEO de BSPK, c’est que les patrons ne prennent pas le temps de se soigner et de penser à eux. Ils se disent qu’ils sont infaillibles. Le chef d’entreprise est dans le risque permanent. Et il se rend compte qu’il a été trop loin seulement quand une alarme se déclenche : un burn-out, un infarctus, un cancer. ”

Faire attention à soi est essentiel pour soi mais aussi pour la bonne marche de son entreprise si l’on est dirigeant d’une PME. ” Le moindre souci de santé peut fortement perturber une entreprise, surtout si elle est de petite taille, confirme Olivier Torrès. Le décès attendu d’un Steve Jobs ou celui, plus accidentel d’un Edouard Michelin se sont traduites, le lendemain, par une baisse de 0,5% de l’action Apple ou Michelin. Dans les grandes entreprises cotées en Bourse, la mort du numéro un, aussi emblématique soit-il, ne remet jamais en cause la pérennité de l’entreprise. Too big to fail. Mais ce n’est pas le cas en PME, et a fortiori, en TPE. La mort du dirigeant peut signer l’arrêt définitif de l’entreprise et son dépôt de bilan. ”

Le capital santé des dirigeants est le premier actif immatériel de la PME. Et c’est également vrai naturellement pour les collaborateurs de la PME. ” Le chef d’entreprise doit être bienveillant envers lui-même et envers son équipe, insiste William Piccione. A l’armée, si on a un blessé, l’officier le récupère et il est soigné à l’infirmerie. Dans l’entreprise, si quelqu’un ne va pas bien, on va le virer et générer des peurs et une compétition intérieure au lieu de s’occuper de la compétition extérieure. Dans l’entreprise, il faut une atmosphère de paix et de bienveillance. ”

Dans le livre qu’il vient de publier (2), il donne quelques clés : ” C’est le collectif qui oeuvre à l’unisson, dans l’harmonie, sans conflits, dans le partage de la même intention. C’est en fait tout le contraire de ce que l’on vous enseigne dans les grandes écoles de commerce. C’est prendre soin de ceux qui travaillent avec vous, les guider, les accompagner, être là pour eux quand il faut, les payer aussi en fonction de vos gains. Car sans les hommes, une entreprise n’est rien. C’est leur faire partager vos visions, leur confier des missions, leur offrir votre confiance, et leur donner confiance. N’est-ce pas tout simplement aimer l’humain ? Etre transparent, afficher ses résultats, et faire participer tous ceux qui ont travaillé pour ce faire, à la mesure proportionnelle de leurs compétences .” L’investissement dans le bien-être des patrons et de leurs salariés est rentable. Selon l’Agence de la Santé publique du Canada, un euro investi, c’est deux à quatre euros de retour.

Le statut écrase le genre

On pourrait croire qu’en entreprise, les chefs sont moins préoccupés que les cheffes quant à leur santé. Il n’en est absolument rien. En la matière, ” le statut écrase le genre “, pointe Olivier Torrès. Quelques chiffres, issus d’une étude épidémiologique sur la santé des dirigeants de PME, réalisée par l’Observatoire Amarok en partenariat avec la mutualité Malakoff Médéric et le Centre des Jeunes Dirigeants, témoignent des problèmes que rencontrent aussi les femmes, et qui sont parfois plus marqués. Ainsi 33% des patrons (36% des femmes) déclarent avoir des difficultés à concilier leur travail avec leurs autres engagements personnels ou familiaux.

Les femmes CEO ont souvent une charge d’activités en dehors du travail plus importante que les hommes. Les femmes se plaignent nettement plus de maux de tête (61,5%) que les hommes (42,6%) ainsi que du mal à la nuque et au bras (48,5% contre 35,9%).

Le manque de sommeil touche également davantage les dirigeantes de PME (29,3% : souvent ou en permanence) que leurs homologues (21,7%). Elles sont près de 33% à déclarer ne pas dormir suffisamment (29% des hommes).

L’incertitude du monde des affaires les touche davantage : les femmes chefs d’entreprise y sont plus soumises (41,3%) que les hommes (32,7%). Les différences sont notables. Ainsi, si 9% des femmes déclarent être souvent déprimées et isolées, c’est seulement le cas pour 4% des hommes. Last but not least, une bonne nouvelle pour finir : elles se surveillent mieux. Le suivi médical et dentaire est plus l’apanage des femmes : 74% voient au moins une fois par an leur généraliste et 78% au moins tous les deux ans leur dentiste contre respectivement 58% et 73% pour les hommes.

En revanche, l’activité physique (légère) est largement répandue parmi les dirigeants de PME des deux sexes (plus de 75%).

Les dirigeantes présentes à ces Rencontres stratégiques du manager ont confirmé la réalité de ces chiffres. Astrid Delcuve, gestionnaire de parcs automobiles, estime qu’il faut ” prendre soin de soi, s’octroyer du temps, être empathique avec soi-même, respecter son horloge biologique, gérer son capital santé, être heureux et s’aimer “, tout en ajoutant dans la foulée que ” ces qualités ne s’apprennent pas dans les livres scolaires mais dans le livre de la vie “.

WILLIAM PICCIONE:
WILLIAM PICCIONE: “Dans l’entreprise, il faut une atmosphère de paix et de bienveillance.”© MICHEL HOUET

Dormez bien

Sans surprise, les dirigeants de PME font partie de la catégorie socioprofessionnelle travaillant le plus et… dormant le moins. ” Le sommeil est la variable d’ajustement du travail pour nombre de patrons, ajoute Olivier Torrès. Or, la qualité du sommeil est indissociable de l’efficacité entrepreneuriale. ” Comme le note Florence Guiliani dans l’ouvrage d’Olivier Torrès, ” parmi les 25% de Français dormant moins de six heures par nuit, les catégories socioprofessionnelles les plus touchées sont les chefs d’entreprise, les artisans et les commerçants, les cadres, les professions intellectuelles supérieures et les professions intermédiaires. Or, les individus dormant moins de six heures et travaillant plus de dix heures par jour ont une plus forte prévalence à l’insomnie et à la somnolence. ”

Selon Olivier Torrès, vous pouvez déjà avoir une idée de la qualité de votre sommeil en vous posant ces quatre questions : mettez-vous plus de 30 minutes pour vous endormir ? Vous réveillez-vous durant la nuit ? Vous réveillez-vous avant la sonnerie du réveil ? A votre réveil, êtes-vous encore fatigué ? Si vous répondez oui à ces quatre questions, ce n’est pas nécessairement grave mais cela vous donne déjà un aperçu de la qualité de votre sommeil.

” L’objectif n’est pas de dormir moins pour travailler plus mais bien de dormir plus pour travailler mieux “, souligne Olivier Torrès. Si le sommeil est l’une des clés de votre santé, elle n’est pas la seule. Une bonne qualité de votre alimentation ainsi que la pratique d’un sport en sont d’autres. Et pour ceux qui n’auraient pas le temps de faire du sport, le professeur conseille la marche dont les effets sont bénéfiques aussi bien à court qu’à long terme. Et surtout, il est important de se ménager du temps pour vous, pour ” une rencontre avec soi-même “.

Pour terminer sur une note optimiste, sachez qu’entreprendre est bon pour la santé. Et Olivier Torrès de pointer trois facteurs positifs : d’abord, le chef d’entreprise a le sentiment de maîtriser son destin, il assume ses projets et ses croyances. Ensuite, il a de l’endurance. Quand il tombe, il se relève. Enfin, il est optimiste et voit dans l’avenir davantage de solutions que de problèmes.

(1) Olivier Torrès (sous la direction de), ” La santé du dirigeant. De la souffrance patronale à l’entrepreneuriat salutaire “, éditions De Boeck Supérieur, 2017.

(2) William Piccione, ” Notre éducation, nos croyances, un crime contre nous-mêmes “, éditions Le Laboratoire du Bonheur, 2019.

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