Quand le bordel devient un atout
Vous êtes bordélique ? Le dernier ouvrage de Tim Harford devrait vous plaire. Cet auteur et journaliste économique a récemment publié un livre au nom plutôt évocateur : “Bordélique, le pouvoir du désordre pour transformer votre vie”. Un ouvrage qui déstabilisera sans doute les maniaques du rangement.
Le rangement. Voilà bien une notion pour laquelle il existe une quantité innombrable d’interprétations. Si pour les plus maniaques, le moindre objet n’étant pas à sa place est source de crispation, pour d’autres, le rangement est parfois un concept flou et très personnel. Tim Harford est sans doute plus proche de ceux qui ont le ” bordel facile “. Ce Britannique est l’auteur du livre Bordélique, le pouvoir du désordre pour transformer votre vie. Un ouvrage surprenant de 300 pages, expliquant en long et en large les vertus que peuvent apporter un bureau en plein chaos ou une boîte mail totalement désordonnée. Si a priori le sujet prête à sourire, le livre de cet économiste, mais aussi chroniqueur pour la BBC, apporte une vision originale de notre perception du rangement, un sujet qui n’est pas aussi anecdotique que cela. ” L’objectif en écrivant ce livre était de montrer que, parfois, en s’obstinant trop sur les questions d’organisation et de rangement, on peut perdre l’intérêt du désordre et de la spontanéité “, explique l’auteur. Ce dernier détaille ainsi dans neuf chapitres l’in- fluence que peut avoir une pointe de désorganisation sur nos vies. Dans ce livre, les exemples sont légion et touchent tous les domaines, preuve que le sujet est partout.
Parmi les thèses défendues par Tim Harford, on retrouve notamment l’importance de la désorganisation pour la créativité. L’auteur explique ainsi que la ” sur-organisation ” aurait tendance à brider notre esprit. Il illustre ainsi son propos avec l’exemple de l’enregistrement des albums Low et Heroes de David Bowie. En panne d’inspiration, l’artiste avait fait appel à Brian Eno. Ce dernier assistait aux sessions d’enregistrement du chanteur britannique et à chaque impasse, tirait une carte au hasard d’une collection baptisée ” stratégies obliques ” (Un jeu créé par Peter Schmidt et Brian Eno lui-même. Le principe : chaque carte du jeu possède une inscription énigmatique ou sujette à plusieurs interprétations. Une sorte de règle à suivre. Exemple : ” Arrête-toi un moment “, ” Ferme la porte et écoute de l’extérieur “, ” Que ferait ton meilleur ami ? “, ” Liste les choses que tu pourrais faire et fais la dernière de cette liste “, etc. Ndlr). Cette carte suggérait de changer le rôle des musiciens. ” Carlos Alomar, l’un des plus grands guitaristes au monde, fut invité à jouer de la batterie, explique Tim Harford dans son livre. Les cartes rendirent fous ces musiciens. Il n’en reste pas moins que cet étrange et chaotique processus de travail produisit deux des albums les plus acclamés de la décennie par la critique “, poursuit l’auteur.
Excès de contrôle
Tim Harford s’intéresse aussi à l’organisation sur le marché du travail. Il y consacre d’ailleurs plusieurs chapitres. Il pointe notamment cette tendance à vouloir tout contrôler et à mesurer les performances. Il prend comme exemple le dieselgate, ce scandale qui frappa des constructeurs automobiles comme Volkswagen. Le constructeur allemand truqua ses moteurs en vue de diminuer les émissions de ses voitures lors de tests d’homologation. Ces tests sont représentatifs, selon lui, de la volonté humaine de vouloir toujours tout organiser. Selon Tim Harford, l’excès d’ordre et de régulation a la caché la fraude : alors que les contrôles étaient devenus tellement prévisibles, les régulateurs ne se sont jamais posés de question. ” Le véritable scandale n’est pas que Volkswagen ait découvert un moyen de tricher. C’est que les régulateurs aient maintenu des tests aussi prévisibles, alors qu’ils étaient parfaitement conscients du problème “, écrit Tim Harford.
La “sur-organisation” aurait tendance à brider notre esprit.”
Il prend également comme exemple l’automatisation toujours plus importante de notre économie. Si ses avantages sont réels, l’auteur exprime cependant quelques mises en garde. Il pointe notamment l’importance de garder le contrôle, permettant de pouvoir réagir en cas d’anomalies. Pour y parvenir, le ” bordel ” aurait quelques vertus intéressantes. ” Si vous avez besoin des compétences humaines à l’improviste pour faire face à une situation hautement bordélique, il pourrait être logique de créer artificiellement de plus petits bordels, simplement pour garder les individus sur le pied de guerre. ”
Pour appuyer ses dires, l’auteur fait aussi appel à de nombreuses études et autres recherches universitaires. Si ses arguments en ressortent plus légitimes, on retrouve presque dans cette démarche une forme de paradoxe. Justifier l’intérêt du ” bordel ” par l’appui de travaux scientifiques connus pour leur rigueur et leur organisation, n’est-ce pas contradictoire ? ” Je comprends la critique, l’expert en (dés)organisation, qui en profite pour clarifier son propos. Je ne dis pas que le ‘bordel’ est la solution. Certains systèmes ont besoin d’une approche très structurelle pour être efficace. C’est typiquement le cas pour une bibliothèque. Mais je considère qu’il faut trouver un juste équilibre. ” Selon lui, l’importance du rangement dépend également des situations. ” Dans un système dynamique, le bordel a davantage sa place. A titre personnel, mon bureau est constamment désorganisé, mais ma cuisine est toujours parfaitement rangée. La différence ? Dans ma cuisine, chaque élément retrouve sa place tandis que sur un bureau, les choses sont constamment en évolution. La notion de rangement n’est donc pas fixe “, précise-t-il. Il aura fallu cinq ans à l’auteur pour écrire son livre, le temps pour lui d’amasser toutes ces histoires et ces études. ” Mais je n’ai pas fait que ça “, glisse Tim Harford. Ses idées se suivent à une vitesse impressionnante, tandis que les exemples se succèdent sans véritables liens. Il serait néanmoins difficile de critiquer un possible manque de structure d’un tel ouvrage.
Par Arnaud Martin.
“Bordélique. Le pouvoir du désordre pour transformer votre vie !”, éd. De Boeck Supérieur, juillet 2017, 352 pages.
Parmi les nombreux exemples cités dans ce livre, celui de Jeff Bezos, le fondateur du célèbre Amazon, est l’un des plus intéressants. Tim Harford détaille sur plusieurs pages les débuts du mythique site d’e-commerce. Un début à l’opposé de ce qu’Amazon représente aujourd’hui : l’efficacité ordonnée. “L’histoire d’Amazon est une longue suite d’objectifs démesurés, de combats violents et de milliards gaspillés. Un vrai ‘bordel'”, lance d’emblée l’auteur. A ses débuts en 1995, l’entreprise n’était tout simplement pas prête et manquait cruellement d’organisation. “La première semaine, Amazon vendit pour 12.000 dollars de livres, mais n’en expédia que pour 846 dollars. Au cours de la seconde, n’ayant toujours pas rattrapé le retard de la première, il en expédia pour 7.000 dollars alors que les ventes atteignaient 14.000 dollars”, explique Tim Harford.
Jeff Bezos ne prenait même pas le temps de réorganiser ses retards. Il se lançait des défis encore plus grands en acceptant un référencement sur Yahoo ! ou en proposant le renvoi des livres dans les 30 jours. “Il ne savait pas comment il allait tenir ses promesses. Il ne doutait pourtant pas qu’il allait trouver quelque chose”. L’expansion qui suivit avec la vente d’ustensiles de cuisine puis de jouets se fit dans ce même chaos, au point d’arriver à Noël, en 2001, à une situation proche de la banqueroute. “Amazon parvint à survivre à la faveur d’une combinaison d’improvisation, de chance et de foi, explique Brad Stone, journaliste et écrivain, dans la biographie qu’il a consacrée à Jeff Bezos. Le CEO américain se plaisait d’ailleurs à rappeler, à l’époque, son goût pour la désorganisation. “Si vous planifiez sur plus de 20 minutes dans notre environnement, vous perdez du temps”, indique encore l’ouvrage.
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