Publifin est-elle vraiment si bien gérée ?

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Le rapport économique et financier sur Publifin ne fait pas que brosser les dirigeants de l’intercommunale dans le sens du poil. Il questionne aussi leur stratégie, critique la gouvernance et formule des recommandations pour modifier la structure du groupe. Cinq questions pour comprendre.

Le groupe Publifin n’en finit pas d’être ausculté sous toutes les coutures. Début juillet, un audit stratégique, économique et financier examinait les méandres de l’intercommunale liégeoise. Commandé par le gouvernement wallon, ce rapport, piloté par le cabinet d’avocats Philippe & Partners et rassemblant une brochette d’universitaires, a été initialement présenté comme largement favorable à Publifin et à ses dirigeants. La réalité est plus complexe. Si l’audit pointe des succès économiques dans certains secteurs d’activité, il met aussi en lumière des lacunes dans la conduite du groupe et préconise des modifications radicales de son mode de fonctionnement. Le point en cinq questions.

1. Pourquoi confier un audit financier à un cabinet d’avocats ?

Des avocats qui font de l’analyse stratégique et financière, ce n’est pas banal. Leur spécialité, a priori, c’est plutôt le droit. Dans le cadre de cet audit, le cabinet Philippe & Partners s’est associé à des professeurs de l’ULB, de l’UCL et de l’Université de Mons pour couvrir les questions financières et de gestion. Un volet concernant la gouvernance du groupe Publifin a été ajouté aux interrogations purement économiques, ce qui justifie l’intervention des juristes. Ceux-ci ont été également amenés à plancher sur des problématiques comme les aides d’Etat, ou sur l’opportunité de faire évoluer la structure de l’intercommunale via un décret régional. ” Au départ, notre idée était de créer un consortium de professeurs d’universités, explique l’avocat Denis Philippe (Philippe & Partners). Mais il fallait une société qui serve de point d’ancrage pour répondre à l’appel d’offre de la région. Notre cabinet a joué ce rôle. ” Autre aspect qui a joué dans la désignation du cabinet d’avocats : la difficulté de trouver un bureau de consultants ” indépendant ” qui n’ait pas travaillé de près ou de loin avec le groupe Publifin-Nethys. La région avait en effet pris soin d’intégrer une clause interdisant tout conflit d’intérêt dans le chef des soumissionnaires.

2. Le rapport cautionne-t-il la stratégie de Publifin ?

Les auteurs du rapport estiment que le groupe a rempli ses objectifs stratégiques, à savoir ” garder des centres de décision à Liège et maintenir voire créer de l’emploi dans une structure rentable et pérenne “. Les chiffres parlent pour Publifin, estiment les experts : le chiffre d’affaires a triplé entre 2007 et 2015, de même que l’emploi (près de 3.000 collaborateurs en 2016). A la lecture du rapport, il faut cependant relativiser ces performances. La politique d’acquisitions et de consolidation du groupe a en effet largement contribué (pour deux tiers) à la progression des revenus ainsi qu’à celle de l’emploi. Une politique de rachats que les experts qualifient de ” largement opportuniste “, et via laquelle le groupe tente de réduire les coûts ou de créer des synergies (parfois difficiles à déchiffrer…) au sein de ses différentes activités. Si cette stratégie a été globalement fructueuse, les experts soulignent néanmoins qu’elle ne semble pas reposer sur une politique très concertée ni réfléchie sur le long terme. Ils ont constaté que Publifin ne disposait pas d’un département consacré à la stratégie, ni d’un plan stratégique pluriannuel. Le groupe naviguerait donc à vue… mais arriverait à maintenir le cap.

Il semble impossible de retracer la provenance exacte des bénéfices et de comprendre les règles de répartition de ceux-ci entre les actionnaires de Publifin.

3. Les flux financiers sont-ils transparents ?

Le groupe crée de la valeur, pointe l’audit financier. C’est particulièrement vrai pour Resa, qui s’occupe de distribution de gaz et d’électricité. Cette activité monopolistique et régulée, véritable vache à lait du groupe, génère de copieux bénéfices qui alimentent la machine Publifin. Voo, qui a accumulé 386 millions de pertes entre 2009 et 2014, se redresse et génère depuis 2015 des marges (réduites). Le problème réside dans l’affectation de ces bénéfices. ” Les résultats sont convaincants. Mais il est temps de clarifier la traçabilité des investissements et des retours sur investissements “, souligne Laurent Gheeraert, professeur à la Solvay Business School (ULB) et membre du consortium d’experts. Ce spécialiste financier pointe un manque de transparence quant à la répartition des dividendes entre les actionnaires (communes et province). Il semble impossible de retracer la provenance exacte des bénéfices et de comprendre les règles de répartition de ceux-ci entre les actionnaires. La solution ? Une comptabilité plus claire permettant d’isoler les différents secteurs d’activité. ” Je suis étonné que les communes ne l’aient pas encore exigé “, souligne Laurent Gheeraert.

4. Comment faire évoluer la structure de Publifin ?

Le rapport établit différents scénarios pour transformer Publifin, qui est encore formellement une intercommunale, mais dont le mode de fonctionnement s’en est aujourd’hui fortement éloigné. L’une des pistes mises sur la table est la mutation de l’intercommunale en entreprise publique autonome régionale. Il s’agirait d’un avatar régional des entreprises publiques ” fédérales ” comme bpost ou Proximus. ” Ce modèle permettrait à la Région wallonne de piloter le fonctionnement de la structure via un contrat de gestion “, explique Denis Philippe. L’idée étant que le groupe poursuit des intérêts publics qui dépassent ceux des communes liégeoises et de la Province de Liège. C’est l’un des noeuds du problème : cette nouvelle structure implique une reprise en main, au moins partielle, par la Région, ce qui reste inacceptable aux yeux des actuels actionnaires et dirigeants liégeois.

5. Quelles suites pour cet audit ?

Reste à voir si ces recommandations, comme celles de la commission d’enquête parlementaire, seront suivies d’effet. La semaine dernière, Publifin réunissait son assemblée générale afin de procéder au remplacement de certains administrateurs. Notamment celui de Cédric Halin (cdH), l’échevin de la commune d’Olne qui a dévoilé le mode de fonctionnement et de rémunération des fameux comités de secteur. Il avait accepté de siéger 100 jours au conseil d’administration de l’intercommunale. Désabusé, ce ” casse-pieds “, comme il se définit lui-même, estime que, trois mois plus tard, rien n’a bougé : ” Les réunions du conseil d’administration restent assez passives, pointe Cédric Halin. Je me sentais fort seul. ” Aucune réforme structurelle n’a été engagée au sein des instances de Publifin : ” Les administrateurs et les dirigeants sont toujours dans une espèce de déni de la réalité. Ils se positionnent comme des victimes et se réfugient toujours derrière ce qu’ils qualifient de réussite économique extraordinaire. ” Selon Cédric Halin, il ne faut pas attendre grand-chose des mandataires siégeant au conseil d’administration de Publifin : ” Ils représentent les intérêts des grandes communes liégeoises et de la Province de Liège, qui ne souhaitent pas perdre la mainmise sur le groupe. C’est quelque chose d’ordre culturel, c’est l’esprit ‘principautaire’. Pour que cela bouge, il faudrait que cela vienne de l’extérieur, du législateur régional. ” Le futur gouvernement wallon osera-t-il s’attaquer à la forteresse liégeoise ? Réponse dans les prochains mois.

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