Proximus: le bilan des années Leroy

© Roger Job

La CEO Dominique Leroy quitte Proximus pour l’opérateur télécom néerlandais KPN. Trends-Tendances dresse le bilan des années Leroy, en six chapitres.

Clap de fin pour Dominique Leroy. Près de six ans après ses débuts en tant que CEO de Proximus, la patronne belge cède aux sirènes de l’international. Dès la fin de l’année, elle prendra la tête de KPN, alter-ego néerlandais de Proximus. Un nouveau défi à la hauteur d’une CEO ambitieuse qui a contribué à la transformation de l’ex-Belgacom. Premier bilan, à chaud.

1. Le calme après la tempête Bellens

La placide Dominique Leroy a succédé au tumultueux Didier Bellens. Brillant stratège au style cassant, l’ancien CEO de Belgacom est remercié fin 2013 par le gouvernement, actionnaire majoritaire de l’entreprise. Lors d’une conférence mémorable organisée dans un cercle d’affaires bruxellois, Didier Bellens qualifie l’Etat belge de “pire actionnaire” qu’il ait jamais connu dans sa carrière. Une petite phrase, parmi d’autres, qui précipite sa chute.

A Didier Bellens succède donc Dominique Leroy, qui occupe alors le poste de patronne de la division consommateurs de Proximus, ce qui fait d’elle la numéro deux de l’entreprise. Dès son arrivée au poste de CEO, elle impose un style beaucoup plus sobre et accessible que celui de son prédécesseur. Elle multiplie les apparitions médiatiques. Elle y développe un ton calme, parfois professoral, et évite soigneusement les polémiques.

2. Une nouvelle image

En experte du marketing – c’est son background d’ingénieure commerciale devenue CEO d’Unilever Belgique avant de rejoindre Belgacom – Dominique Leroy peaufine son image et celle de son entreprise, qu’elle veut moderne et proche des gens, ou plutôt des clients, qu’il faut (re)séduire. Son choix d’abandonner la dénomination Belgacom au profit de Proximus témoigne de cette volonté de s’éloigner de l’image institutionnelle et parfois poussiéreuse de l’entreprise publique au profit d’une marque née avec la téléphonie mobile, en même temps que la génération des digital natives.

3. Un nouvel accent numérique

Le métier des opérateurs télécoms traverse une phase de mutation sans précédent. La RTT, ancêtre de Proximus, était une entreprise axée sur la connectivité : en gros, cet ancien monopole d’Etat était chargé de tirer des câbles pour connecter les foyers à la ligne téléphonique. Sous l’impulsion de Didier Bellens, Belgacom laboure les champs de l’Internet, de la téléphonie mobile et de la télévision, et impose les offres convergentes incluant ces différentes composantes. Sous la direction de Dominique Leroy, Proximus se développe dans un nouvel univers numérique dominé par les GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple).

La consommation de médias subit un profond changement. La télévision linéaire classique est menacée par les grandes plateformes comme Netflix et YouTube, qui proposent du contenu de qualité accessible à la demande. La CEO fait le choix d’accompagner les nouveaux usages des consommateurs, plutôt que de développer des offres concurrentes. Contrairement à Telenet, qui investit dans le contenu en rachetant des chaînes de télévision, Proximus se positionne comme un agrégateur de contenus. Dominique Leroy pactise avec Netflix et met en avant la plateforme américaine dans ses offres. En 2019, elle lance Pickx, une nouvelle interface TV faisant la part belle à la personnalisation de l’offre et à la télévision à la demande et de rattrapage. Elle cherche à rendre Proximus aussi sexy que Netflix.

Parallèlement, son plan #shifttodigital la pousse à multiplier les acquisitions de start-up et d’entreprises actives dans l’univers digital. Objectif : préparer l’entreprise à profiter de nouveaux relais de croissance dans l’univers numérique. Proximus renforce ses filiales actives dans les services aux entreprises, que ce soit dans la cybersécurité, les services informatiques, la mobilité connectée, les applications mobiles… C’est là que la plupart des futures embauches prévues par le plan de restructuration (1.250 arrivées pour 1.900 départs) annoncé en janvier dernier (voir point 5.) se feront. C’est un vrai pari sur l’avenir, loin d’être gagné, puisqu’il suppose que Proximus s’impose dans des secteurs qui ne font pas partie de son core-business.

4. La concurrence étouffée

La position de Proximus n’a pas été ébranlée durant le mandat de Dominique Leroy. L’opérateur reste le numéro un incontesté du secteur en Belgique, avec une part de marché d’environ 45 % selon les chiffres de l’IBPT (2018). C’est une situation plus enviable que celle de la plupart des opérateurs historiques en Europe.

Proximus continue de profiter d’une régulation restée longtemps favorable à ses activités. L’ouverture du réseau câblé à la concurrence s’est faite attendre. Pendant longtemps, Proximus a eu les mains libres pour développer ses offres packagées, incluant Internet, TV, téléphonie fixe et mobile. L’arrivée récente d’Orange sur le marché de la télévision représente une première incursion sérieuse, à laquelle Proximus a jusqu’à présent bien résisté. Malgré des augmentations de prix récurrentes, confirmées d’année en année par la CEO, Proximus a pu maintenir sa position de numéro un, et même renouer (faiblement) avec la croissance.

Sur le marché mobile, Dominique Leroy s’est opposée avec force à l’arrivée d’un quatrième opérateur. Cette perspective ouverte par l’ancien ministre des Télécoms Alexander De Croo (Open VLD) ne s’est cependant jamais concrétisée, laissant le marché à l’abri d’une nouvelle guerre des prix. Proximus a donc pu bénéficier d’un environnement stable pour conserver sa place de leader.

5. Des relations distantes avec l’Etat

Dominique Leroy a cultivé une certaine forme de distance avec les hautes autorités de l’Etat. Peu habituée des petites phrases assassines, la CEO se plaît néanmoins à souligner que Proximus est certes une entreprise publique, mais qu’elle est, surtout, autonome. Et dans le cadre de cette autonomie, la gestion quotidienne de l’entreprise échappe de facto à toute influence politique, estime-t-elle.

La CEO n’a certes pas apprécié les sorties de l’ex-ministre des Télécoms Alexander De Croo, qui s’est plaint des hausses de tarifs de Proximus, au point d’appeler les consommateurs à quitter l’opérateur. Mais elle a préféré se distancier des propos du ministre et n’est jamais partie publiquement au clash.

Elle est par ailleurs parvenue à séduire le conseil d’administration (CA), qui comprend plusieurs personnalités étiquetées politiquement. Malgré un plan de restructuration drastique (voir point 5.), elle a continué à bénéficier du soutien du CA, qui a encore cette année marqué son souhait de la voir reconduite à son poste. Pour le président du CA Stefaan De Clerck, son départ est une douche froide.

6. Une restructuration mal emmanchée

Dominique Leroy part en 2019 sur une fameuse fausse note. Eventé par la presse, son plan social prévoyant la suppression de 1.900 emplois a fait l’effet d’une bombe en janvier dernier. Convoquée par le Premier ministre, fustigée par les syndicats, critiquée par de nombreux politiques, Dominique Leroy a vu son étoile pâlir brutalement. Cette “control freak” qui ne laisse rien au hasard n’avait pas vu venir le déferlement médiatique qui suit inévitablement ce genre de plan social. Depuis l’annonce de ce plan, elle s’est faite beaucoup plus discrète.

Aura-t-elle le temps de boucler les négociations sociales en cours ? Rien n’est moins sûr : il lui reste moins de deux mois pour conclure des discussions difficiles concernant l’avenir de 13.000 travailleurs, dont un sur six risque de perdre son emploi. Une position de CEO en partance n’est pas des plus confortables pour imposer ses vues. Dominique Leroy risque bien de devoir refiler la patate chaude à son directeur des ressources humaines, en attendant que le conseil d’administration sorte un nouveau nom de son chapeau pour le poste de CEO de Proximus.

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