Prolongation de deux réacteurs nucléaires: voilà pourquoi Engie se fait prier
La société française est en position de force pour les négociations avec le gouvernement belge. Elle dénonce une décision tardive et regrette un passif avec l’Etat. Surtout, sa stratégie a changé.
“Cette décision tombe extrêmement tard. Cela fait deux ans que nous le disons et je le répète encore une fois.” Thierry Saegeman, CEO d’Engie Electrabel, n’a pas caché son irritation et son scepticisme après la décision prise par le gouvernement De Croo de prolonger deux réacteurs nucléaires au-delà de 2025. Lors d’un débat organisé par De Tijd, mercredi 23 mars, il a laissé entendre que le retard de cette décision empêcherait de relancer Doel 4 et Tihange 3… avant 2027.
“Tout est dit, nous n’ajouterons rien à cette communication, nous précise-t-on chez Engie. Nous voulons désormais laisser toute la sérénité nécessaire pour négocier d’ici juin.” En position de force, cela va sans dire : le gouvernement belge est demandeur, Engie pas. La sérénité, par contre, est loin d’être de mise : les libéraux ne décolèrent pas, rappelant que l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN) a affirmé que cette prolongation était possible dans le délai voulu et estimant que les dirigeants d’Engie devraient faire preuve de “dignité” (dixit la vice-Première Sophie Willmès).
Deux virages décisifs
Si Engie renâcle à l’idée de prolonger le nucléaire, c’est en raison d’une double contrainte liée aux relations passées d’Electrabel avec le pouvoir belge, ainsi qu’à l’évolution de l’entreprise. Les deux tournants remontent à… 2008.
Cette année-là, Paul Magnette, alors ministre fédéral de l’Energie et actuel président du PS, décide d’imposer à l’opérateur des centrales nucléaires une taxe en raison de l’amortissement des réacteurs. Le sujet a fait l’objet de recours, pour lesquels Electrabel a été débouté, mais le terrain reste miné. “L’autre décision essentielle qu’a prise le gouvernement est d’investir 1,16 milliard d’euros dans la transition énergétique, a constaté Thierry Saegeman, lors du même débat du 23 mars 2022. Et j’ai vu que 660 millions de cette somme allaient venir de la taxe nucléaire.” Une façon d’ouvrir la négociation ?
Toujours en 2008, le projet de fusion entre GDF et Suez aboutit, qui donnera naissance à Engie en 2015. En clair, c’est un gazier qui prend la main… et qui élabore une stratégie nouvelle, sous la houlette Jean-Pierre Clamadieu. “La stratégie d’Engie en Belgique repose sur quelques piliers: le tout au renouvelable avec le gaz de façon transitoire, l’importation de molécules vertes et le démantèlement des centrales”, résume Dominique Woitrin, ancien patron de la Creg, le régulateur belge. “Engie a l’ambition d’être un leader dans la transition vers un avenir neutre en carbone”, appuyait, cette semaine encore, le patron d’Engie en célébrant le 60e anniversaire d’Engie Laborelec, le centre de recherche belge du groupe.
Un caillou dans la chaussure
“Le nucléaire est un caillou dans notre chaussure, il faut désormais faire en sorte de le retirer pour continuer à marcher plus sereinement”, confirme une source interne. Soit en trouvant un accord gérable d’ici fin juin. Soit – mais cela reste un tabou et un objectif loin d’être facile à réaliser – en trouvant un autre opérateur qui pourrait reprendre les centrales et travailler à une filière nucléaire pour l’avenir.
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