Produire de l’hydrogène grâce au grisou des mines wallonnes

Plasma dans les réacteurs expérimentaux de Materia Nova. © Photos: PG
Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

La filière hydrogène, on la retrouve dans tous les plans de transition. Mais on ignore souvent que cet hydrogène pourrait être produit, sans la moindre émission de CO2, à partir de gaz présent dans les anciennes mines. Un consortium d’entreprises wallonnes a déposé un projet d’usine pilote dans le Hainaut.

Les charbonnages font partie de notre passé industriel. Mais ils font peut-être aussi partie de notre futur. Rassurez-vous, il ne s’agit pas de relancer les centrales à charbon mais de produire de l’hydrogène vert sans la moindre émission de CO2 à partir du grisou enfoui dans les mines. Il ne s’agit pas non plus d’une rêverie de laboratoire mais d’un projet soutenu par des poids lourds de l’industrie wallonne (AGC, John Cockerill, Carmeuse, Prayon, Aperam, etc.) sur base d’une technologie brevetée, développée par le centre de recherche Materia Nova basé à Mons.

Cette technologie, c’est la plasmalyse. Le plasma, que l’on retrouve dans la lumière d’un tube néon ou dans un éclair lors d’un orage, est le quatrième état de la nature avec le solide, le liquide et le gazeux. On l’utilise chez nous depuis des années pour fabriquer le double vitrage (AGC) ou pour adapter des huiles végétales aux besoins de la mécanique (Greenfix à Ghislengien). Chaque fois avec l’appui scientifique de Materia Nova. “Nous avons construit une grande expertise dans le plasma, explique Luc Langer, directeur du centre de recherche. Nous l’utilisions avec des éléments solides et liquides, nous avons essayé de faire la même chose avec des gaz.” Et c’est ainsi qu’ils sont parvenus, par plasmalyse, à séparer les atomes d’hydrogène et de carbone, qui composent le méthane (CH4).

Avantage décisif de cette technique: elle produit de l’hydrogène sans émettre de CO2. A titre de comparaison, les modes classiques de production génèrent 10 kg de CO2 par kilo d’hydrogène (dit alors gris et non pas vert). Le procédé nécessite par ailleurs huit fois moins d’énergie que la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau, technologie dont le liégeois John Cockerill est le leader mondial.

Un investissement d’un milliard… aux Etats-Unis!

La plasmalyse, Materia Nova n’est pas la seule à l’avoir inventée. Une technologie similaire a en effet été développée aux Etats-Unis par la société Monolith. Et là, on en est déjà au stade industriel avec une levée de fonds d’un milliard de dollars en vue de construire une giga factory de production d’hydrogène. “Nos systèmes sont différents, précise Luc Langer. Nous fonctionnons avec des réacteurs à moins haute température que nos concurrents américains. Notre efficience est plus importante, nous consommons moins d’énergie et le coût de l’investissement est moindre.”

Il y a donc a priori moyen de se faire une jolie place sur le marché. C’est pourquoi le projet a été repris dans le plan de relance wallon. Il prévoit un budget de 25 millions pour le lancement d’une usine pilote (1.000 t d’hydrogène) et si la technologie est validée, un investissement de 90 millions pour monter ensuite en phase industrielle (15.000 tonnes). “Le potentiel est énorme, assure Luc Langer. Plus on y réfléchit, plus on trouve des applications nouvelles.” La plasmalyse permet par exemple de décomposer aussi l’ammoniac (NH3). Une manière peut-être de produire de l’hydrogène à partir de l’urée (le procédé sera testé avec une porcherie du Pays des Collines) et aussi de transporter l’hydrogène.

Un projet sur toute la chaîne de valeur

Ces derniers mois, la question des chaînes de valeur a été régulièrement mise sur la table. Sur ce plan, le projet wallon est impressionnant. Commençons par le matériau de base: il est disponible à profusion avec les millions de mètres cubes de grisou (méthane) dans les anciennes mines wallonnes. La société Gazonor, qui exploite le grisou d’une ancienne mine d’Anderlues pour alimenter une installation de cogénération, apportera ici une précieuse expertise technique au consortium industriel régional. Il n’existe en effet pas de cartographie précise de l’état et du contenu des mines wallonnes. Gazonor et l’Université de Mons vont y remédier.

Le gaz issu des unités de biométhanisation est une autre source potentielle, ce qui donnerait une belle valorisation aux déchets ménagers ou issus de l’agriculture. Materia Nova travaille à ce propos avec l’usine de biomasse du groupe Vanheede à Quévy, ainsi que sur un projet pilote d’utilisation des effluents de l’agriculture en Allemagne (le centre de recherche montois dispose d’une antenne outre-Rhin).

Il faudra ensuite construire les installations. Les grands ensembliers comme AGC ou John Cockerill peuvent évidemment assumer cette tâche. Elles recevront l’apport d’entreprises spécialisées dans certaines technologies, comme Jema (Louvain-la-Neuve) pour l’alimentation électrique ou Graux (Momignies) pour les pièces mécanosoudées. Après, il y aura les débouchés. Les membres du consortium représentent ensemble 25% des émissions de CO2 de l’économie wallonne, ils sont logiquement tous demandeurs d’une énergie plus verte et donc utilisateurs potentiels de l’hydrogène. Cela deviendra-t-il à terme un nouveau carburant pour les voitures? “Cela nécessite un hydrogène très pur, dit Luc Langer. La plasmalyse n’est pas encore suffisamment mature pour cela, au contraire de la production par électrolyse de l’eau.” Il y a donc a priori de la place pour que les deux technologies avancent en parallèle. L’hydrogène peut aussi être brûlé dans les futures centrales électriques, en complément du gaz naturel. L’intérêt est évidemment de diminuer ainsi les émissions de CO2 de ces centrales. Cela implique toutefois de pouvoir en produire en grande quantité.

Un carbone à valoriser

Quand vous séparez le méthane, vous obtenez donc de l’hydrogène mais aussi du carbone. Pour rentabiliser le procédé, il faut valoriser ce carbone solide (noir de carbone). Il est notamment utilisé dans les pneus de voiture (c’est pour cela qu’ils sont noirs) ainsi que dans la plupart des plastiques noirs, mais aussi dans les piles à combustible. La plasmalyse permet de produire du carbone avec la qualité requise pour ces différentes applications. Ce sera certainement le cas dans le projet wallon puisque le leader mondial du secteur, le groupe indien Philips Carbon Black, est partenaire du consortium à travers son centre R&D de Ghislenghien. “Aujourd’hui, le noir de carbone est surtout produit à partir des déchets de la pétrochimie, explique Luc Langer. Cela génère beaucoup de CO2 et, en outre, il reste trop d’impuretés pour certaines applications hautement technologiques. Il y a donc une demande pour un noir de carbone plus vert, décarboné en quelque sorte.” Ce serait en outre une relocalisation d’activité car on ne produit quasiment plus de noir de carbone en Europe. Avantage: si la plasmalyse est très automatisée et crée donc relativement peu d’emplois, la filière du carbone est, elle, plus pourvoyeuse d’emplois, y compris moins qualifiés.

Le consortium wallon réunit donc des entreprises actives aux différents maillons de la chaîne de valeurs. Cette structuration doit permettre d’optimiser les retombées économiques de cette innovation. “Il y a en Wallonie une vraie culture du travail en consortium pour faire évoluer rapidement les technologies, analyse Luc Langer. Quand je compare avec nos activités en Allemagne, la différence est frappante: ils ont des moyens incomparables aux nôtres, mais faire travailler ensemble deux grands groupes allemands, cela nécessite de très longues discussions. Chez nous, appeler le confrère plus spécialisé, c’est presque devenu un réflexe. Le travail des pôles de compétitivité n’est pas étranger à cette agilité de nos entreprises.”

La révolution de l’isolation commence à Lodelinsart

Fineo - Ces fenêtres innovantes sont constituées de deux couches de verre, séparées non pas par un élément gazeux, mais par du vide.
Fineo – Ces fenêtres innovantes sont constituées de deux couches de verre, séparées non pas par un élément gazeux, mais par du vide.© Photos: PG

Tous les plans de relance d’Europe insistent sur l’isolation des bâtiments. Une petite usine de Lodelinsart pourrait y jouer un rôle intéressant. Elle produit en effet du verre ultra-fin (6 mm), qui assure une isolation au moins aussi bonne que du triple vitrage de 45 mm. Le procédé a été mis au point à travers un projet financé par le pôle de compétitivité Greenwin et piloté par AGC. Le groupe verrier s’est ensuite associé à la SRIW pour fonder la société Renowindow et construire l’usine qui fabrique ces fenêtres innovantes, commercialisées sous la dénomination Fineo. “C’est une vraie solution pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments”, assure Marc Van Den Neste, vice-président Technologie & Innovation chez AGC. Cela représente un investissement de 10 millions d’euros.

Ces fenêtres sont constituées de deux couches de verre, séparées non pas par un élément gazeux comme dans le double vitrage classique, mais par du vide. “Le vide, c’est le meilleur isolant du monde, explique Marc Van Den Neste. Il ne perd en outre pas de son efficacité au fil du temps et il ne faut donc pas remplacer la fenêtre après une vingtaine d’années pour garder une parfaite isolation.” Cette durabilité compense en partie le surcoût (trois à quatre fois le prix) de ce produit de pointe. Autre élément à intégrer dans l’équation: ces fenêtres très fines peuvent s’encastrer dans les châssis existants, qu’il ne faut donc pas remplacer comme c’est le cas pour du double ou triple vitrage.

Malgré cela, l’option Fineo demeure très chère. “Nous sommes dans la vallée de la mort, ce passage entre la mise au point d’une innovation et son implantation sur le marché, résume le vice-président d’AGC. Dans le domaine du verre, une innovation significative met une dizaine d’années avant de devenir une référence. Dans 10 ans, nous aurons les volumes et nous serons alors dans une gamme de prix plus proche du triple vitrage.” Et alors, on pourra sans doute parler de centaines d’emplois à Lodelinsart.

Renowindow vend ses solutions en Belgique et dans les pays voisins. Le produit séduit en particulier dans le segment des monuments historiques, où l’isolation des fenêtres était souvent impossible car il était interdit d’enlever les châssis. A terme, les grandes vitres des immeubles commerciaux ou les façades en verre de buildings constituent d’importants débouchés potentiels. Marc Van Den Neste rappelle volontiers que 40% de l’énergie consommée en Europe et 36% des émissions de CO2 proviennent du bâtiment. “80% des maisons particulières en Europe sont équipées de simple vitrage et, en Belgique, c’est encore pire, conclut-il. Les solutions d’isolation s’améliorent d’année en année mais pour passer à la vitesse supérieure, il fallait franchir une étape en termes de qualité de produit. C’est ce que nous avons fait avec Fineo.”

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