Pourquoi nos magasins sont plus chers qu’en France et aux Pays-Bas

Dans son premier “Livre blanc” sur le commerce, Comeos épingle et analyse, chiffres inédits à l’appui, les quatre principaux handicaps qui plombent la compétitivité de nos magasins et qui expliquent les écarts de prix à la consommation.

Deux milliards et demi d’euros. C’est le montant que les Belges dépensent chaque année en dehors de nos frontières. En termes d’emploi, ce sont ainsi quelque 10.000 postes qui sont perdus annuellement. Pour Dominique Michel, l’administrateur délégué de Comeos (la Fédération du commerce et des services), cette situation alarmante risque encore de s’aggraver avec l’explosion actuelle du commerce électronique. “De 3,5 % du budget des ménages qui sont dépensés à l’étranger, on risque de passer rapidement à 5 ou 6 %. Le commerce belge va encore perdre des parts de marché !”, redoute-t-il. Mais pourquoi le consommateur belge fait-il ses emplettes dans les grands magasins du nord de la France ou du sud des Pays-Bas ? Est-ce parce que nos enseignes sont réellement plus chères que les chaînes françaises ou néerlandaises, comme l’ont démontré plusieurs études ? Et est-ce le cas pour tous les produits et dans tous les secteurs ?

Des écarts de prix à nuancer

La dernière enquête en date, celle du SPF Economie, relevait un écart de prix de 7 % avec les supermarchés français et de 10 % avec les grandes surfaces néerlandaises et allemandes.

Mais l’enquête du SPF Economie ne tenait pas compte des produits frais ni des produits de marque propre qui représentent 30 et 25 % du panier des ménages, nuance l’administrateur délégué de Comeos. D’autres études récentes commissionnées par des chaînes belges de supermarchés ont observé un différentiel de 4,5 % entre la Belgique et les Pays-Bas et même démontré que nos magasins étaient moins chers qu’aux Pays-Bas si l’on se concentre sur certains produits du panier Test-Achats.” Bref, il n’existe pas de vérité unique en matière de comparaison de prix, celle-ci étant fortement influencée par la sélection du panier, la qualité des produits et la politique commerciale des enseignes.

Afin de répondre une fois pour toutes à ces questions, Comeos a commandé au cabinet de conseil en stratégie Arthur D. Little une étude exclusive, selon ses propres termes, sur la position concurrentielle du commerce en Belgique par rapport aux pays voisins. Exclusive ? “Pour mesurer la compétitivité du secteur, notre étude examine les différentiels de coûts pour les commerçants, ce qu’aucune enquête n’avait réalisé jusqu’à présent”, explique Dominique Michel. Plus précisément, le but du Livre blanc du commerce est d’objectiver les facteurs qui influencent la compétitivité du commerce belge.

Les vêtements et l’électro aussi

L’étude d’Arthur D. Little couvre le secteur du commerce en Belgique et dans les trois principaux pays limitrophes (la France, les Pays-Bas et l’Allemagne). Et, fait nouveau, elle se concentre sur trois secteurs : les supermarchés (à dominante alimentaire), l’habillement et l’électro qui représentent ensemble 58 % du chiffre d’affaires du secteur et 55 % de ses salariés. Elle identifie huit problématiques majeures influençant la compétitivité du secteur par rapport aux pays voisins : la TVA, les prix pratiqués par les fournisseurs, le coût du travail, les loyers commerciaux, la publicité, la sécurité alimentaire, l’environnement et la sécurité des magasins. “Parmi ceux-ci, sept problématiques ont un impact négatif, les plus importantes étant la segmentation des marchés par les fournisseurs, entraînant des écarts tarifaires non justifiés, le coût du travail élevé exacerbé par un manque de flexibilité dans l’organisation du travail, les coûts liés à la publicité et les taux standards de TVA supérieurs à ceux des pays voisins”, énumère François-Joseph Van Audenhove, partner chez Arthur D Little qui a dirigé l’étude.

Des prix jusqu’à 50 % moins élevés en France

Les distributeurs le répètent depuis longtemps : les fabricants de grandes marques appliquent des tarifs plus élevés en Belgique. Un sérieux handicap quand on sait que le prix d’achat des marchandises pèse lourd (75 %) dans le bilan des entreprises de distribution. “Pour la première fois, les auteurs de l’étude ont pu avoir accès aux livres de deux à trois enseignes de supermarchés présentes aussi bien en Belgique qu’en France pour le prouver, exemples chiffrés à l’appui”, affirment en choeur Dominique Michel et François-Joseph Van Audenhove. Le verdict ? Des différences tarifaires significatives sont observées pour certains produits de marque nationale, atteignant jusqu’à -50 % outre-Quiévrain, au sein d’une même enseigne.

Un handicap salarial de 9 à 26 %

En deuxième place dans le hit-parade des désavantages, on trouve, refrain connu, la problématique du coût du travail. L’étude révèle que le commerce belge souffre d’un handicap salarial de 9 à 26 %, selon les pays et les secteurs concernés. Pour un salaire brut de 30.000 euros, la pression fiscale sur les salaires et le montant des charges sociales en Belgique entraînent un écart de coût de 7 à 24 %. En d’autres termes, pour chaque euro versé à l’employé, ceci coûte à l’employeur 1,96 en Belgique, 1,81 en France, 1,57 aux Pays-Bas et 1,82 en Allemagne. “C’est un gros problème, souligne Dominique Michel, car les salaires pèsent 12 % dans l’ensemble des coûts des supermarchés et 18 % dans les magasins de vêtements.” Une situation qui est encore exacerbée, ajoute-t-il, par “la rigidité du système belge d’organisation du travail qui limite fortement la marge de manoeuvre des entreprises notamment en ce qui concerne les dimanches ouvrables et les heures supplémentaires”. Et de citer l’exemple d’Ikea qui “a dû négocier 10 ans avec les syndicats avant de pouvoir ouvrir plus tôt ses points de vente en Belgique.”

Ces chères publicités et TVA

Handicap moins connu : les coûts de publicité (de conception et de distribution) qui sont plus élevés en Belgique que dans les pays voisins. En cause : la complexité culturelle et linguistique (une publicité nationale doit être traduite en deux ou trois langues et nécessite le recours à plusieurs régies publicitaires) ainsi que l’amortissement sur un nombre plus limité de consommateurs. Autre problème : le système de taxation en vigueur entraîne actuellement un double prélèvement pour les entreprises au travers de l’obligation de reprise régionale du vieux papier et des taxes communales sur les imprimés publicitaires. Le différentiel moyen est estimé, par les membres de Comeos, à environ 30 % par rapport à nos voisins.

Enfin, et ce n’est pas nouveau non plus, bien que le régime de la TVA ait fait l’objet d’une concertation au niveau européen, des différences de taux notables subsistent entre les Etats membres. Le taux standard de TVA est de 21 % en Belgique, soit 1,4 % de plus qu’en France et 2 % de plus qu’aux Pays-Bas et en Allemagne.

Un seul avantage : les loyers commerciaux

Tout n’est pas noir dans le Livre blanc du commerce. Les loyers commerciaux sont plus faibles chez nous, en particulier pour les emplacements en centre-ville. “L’avantage en termes de coûts est estimé à 20 % par rapport à la France et 15 % par rapport aux Pays-Bas et à l’Allemagne”, relève le consultant d’Arthur D. Little.

Conclusion de l’étude : l’addition des différents handicaps génère pour le commerce belge un désavantage compétitif pouvant atteindre 6,8 % dans la structure de coûts des commerçants (exprimé en % du CA hors TVA). Les secteurs les plus désavantagés sont l’électro (de 5,6 à 6,8 % du CA HTVA) et les supermarchés (de 4,7 à 6,1%), suivis par le secteur de l’habillement (de 0,5 à 3,8 %). Autre enseignement : les handicaps compétitifs les plus marqués se situent en comparaison avec l’Allemagne et les Pays-Bas.

Des différences de coûts plus grandes que les écarts de prix

En ce qui concerne le secteur des supermarchés, le désavantage en termes de coûts pour les commerçants belges par rapport aux Pays-Bas se situe à 6,1 %. Si ceux-ci décident d’ajouter le différentiel des taux de TVA, l’impact potentiel sur les prix peut être de 6,5 %. Or, comme on l’a dit plus haut, une récente étude commandée par un distributeur a montré que l’écart de prix sur le terrain était de 4,5 %. “Pour garder un niveau compétitif de prix, les commerçants doivent dès lors diminuer leurs marges bénéficiaires ou rogner sur l’emploi”, concluent Dominique Michel et François-Joseph Van Audenhove.

Après les conclusions, les recommandations. Au niveau du coût du travail, Comeos estime que l’on peut agir sur différents leviers : en réduisant, entre autres, les charges fiscales et sociales sur les bas salaires comme c’est le cas, respectivement, en France et aux Pays-Bas. La fédération patronale plaide aussi pour que la TVA soit ramenée au niveau de ses principaux concurrents. Quant aux différences de tarifs pratiqués par les fabricants, elle demande au gouvernement de porter la problématique au niveau européen afin de mettre en place un réel marché intérieur. Enfin, Comeos réclame, de la part de nos responsables politiques, une augmentation de la flexibilité en matière d’horaires de travail pour les contrats à durée indéterminée, un assouplissement de la législation sur les contrats à temps partiel et le travail intérimaire ainsi qu’une réglementation des horaires d’ouverture. Un sujet délicat en pleine période d’élections sociales…

Sandrine Vandendooren

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