Pour la rentrée, la RTBF abandonne son organisation en silos et ose le “leadershift”

Jean-Paul philippot,administrateur général de la RTBF. © PG

Ce 1er septembre, la RTBF enterre son ancienne structure décisionnelle et accouche d’un nouvel organigramme beaucoup plus transversal. Décryptage d’une renaissance stratégique qui vise à contrer la concurrence des géants du Net et à répondre surtout aux nouveaux modes de consommation du public.

Ne cherchez plus les fonctions de directrice de La Première ou de directeur de VivaCité dans le nouvel organigramme de la RTBF : celles-ci auront purement et simplement disparu ce samedi 1er septembre. A cette date, l’entreprise audiovisuelle de service public affichera en effet une structure ” révolutionnaire “, beaucoup plus transversale et garnie de fonctions inédites. Certes, les téléspectateurs et auditeurs de la RTBF ne remarqueront rien de spécial à la vision et à l’écoute de leurs programmes – La Première, VivaCité et les autres marques télé et radio existeront toujours – mais la gestion des contenus et des plateformes de diffusion, linéaires ou pas, seront désormais confiées à de nouveaux responsables et à leur garde rapprochée.

C’est un chantier qui prend du temps. Je pense que les premiers signes éditoriaux ne seront tangibles qu’à la rentrée de 2019. ” Jean-Paul Philippot, administrateur général de la RTBF

” L’uniformité des modes de consommation liés à la linéarité des médias est de l’histoire ancienne, explique Jean-Paul Philippot, l’administrateur général de la RTBF. Après réflexion, il nous a paru nécessaire de passer d’un modèle qui était media-centric à un modèle process-centric, avec les contenus d’un côté et les médias de l’autre, c’est-à-dire avec l’activité créative et de production d’un côté et l’activité de publication de l’autre. C’est un travail de longue haleine dont la genèse remonte à la fin de l’année 2015 et qui nécessitera encore une période d’ajustement, mais il était indispensable d’avoir cette réflexion disruptive en interne. ”

Etre ambitieux ou subir

A la question de savoir si cette vaste réorganisation inscrite dans le ” Plan Vision 2022 ” de la RTBF est liée à la survie de l’entreprise publique dans un monde où les Gafan (Google, Apple, Facebook, Amazon et Netflix) livrent une concurrence féroce, Jean-Paul Philippot répond par une autre formule. ” Il ne s’agit pas de dire s’il faut s’adapter ou mourir, mais plutôt de se poser la question d’être ambitieux ou de subir, précise-t-il. La transformation de notre entreprise n’est pas liée à un constat d’échec. Elle est liée à la volonté d’ambitionner, dans le futur, la poursuite d’un trajet qui est celui du développement et de la modernisation et qui suppose une évolution de nos méthodes de travail. Il nous a paru évident qu’on ne devait plus avoir une lecture dont la porte d’entrée sont les médias radio-télé et leurs marques respectives, mais plutôt avoir une lecture avec des responsables de publics. Notre mission reste de s’adresser à tout le monde, mais le tout n’est plus générique et homogène. Il est hétérogène avec des habitudes et des modes de consommation différents. ”

Voilà pourquoi ” les publics ” sont au coeur du nouvel organigramme de la RTBF. Sans trop entrer dans le détail sociologique, ils ont été définis en quatre groupes spécifiques avec, à leur tête, des gestionnaires d’offres chargés de définir au mieux les approches stratégiques. Ces quatre entités – ” Nouvelles générations “, ” Jeunes adultes “, ” Nous ” (une communauté transgénérationnelle) et ” Affinitaires ” (pour des contenus plus spécialisés) – sont censés représenter l’ensemble de la population et doivent surtout permettre à la RTBF de conserver non seulement la main sur l’audience déjà acquise, mais de conquérir surtout les nouveaux publics peu ou pas atteints.

Quatre publics et deux pôles

Structuré autour de ces quatre publics, un nouveau modèle d’organisation a donc vu le jour avec, d’une part, un pôle contenus et, d’autre part, un pôle médias. Le tout entouré par les départements classiques d’une entreprise comme les ressources humaines, les finances, les facilités ou encore le service juridique. Concrètement, le pôle contenus dirigé par François Tron (ex-directeur de la télévision) sera chargé de la production et organisé par genres éditoriaux (culture, divertissement, fictions, etc.), tandis que le pôle médias cornaqué par Xavier Huberland (ex-directeur marketing de RTL Belgique) sera dédié à la diffusion de ces contenus sur les différentes plateformes telles que la radio, la télévision, les sites internet, les réseaux sociaux ou encore des players comme Auvio, le service d’offre non linéaire de la RTBF qui flirte désormais avec les 200.000 visiteurs uniques quotidiens. Ces pôles communiqueront en permanence entre eux et avec les gestionnaires d’offres ” publics ” dans un mode de fonctionnement résolument transversal et collaboratif (c’est le rôle de la cellule commissioning reprise dans l’organigramme).

Dans cette logique, les futurs projets d’émissions ne seront plus nécessairement conçus ” en silos ” pour telle ou telle chaîne de radio ou de télévision, mais bien pour tel ou tel public avec, le cas échéant, des opportunités de traitement et de diffusion multiformes. ” Je vais vous donner un exemple, s’enthousiasme Jean-Paul Philippot. Cet été, notre journaliste Bertrand Henne a réalisé une formidable rubrique intitulée Un jour dans l’info sur La Première. Basée sur des archives, elle a été conçue comme un produit radio mais, le paradoxe, c’est qu’une partie des sons émanait d’anciens journaux télévisés. Imaginons maintenant que cette rubrique soit conçue comme un produit RTBF. On est dans l’affinitaire. On peut décliner chaque sujet dans une version télé pour le JT, on peut en faire une série en podcast, on peut créer une thématique sur Auvio, on peut développer une ligne du temps sur Internet qui reprend toute les rubriques et imaginer d’autres choses encore. Bref, on peut réaliser tout un travail intellectuel autour d’une même idée et qui va toucher un public beaucoup plus large que celui de La Première. ”

Pour la rentrée, la RTBF abandonne son organisation en silos et ose le
© JEAN-MICHEL BYL / JEAN-YVES LIMET / RTBF

Inquiétudes et frustrations

Si le nouveau modèle d’organisation se révèle effectivement séduisant sur le papier, il n’a pas encore convaincu le gros des troupes à la RTBF. Dans les couloirs de la cité Reyers, bon nombre d’employés appréhendent d’ailleurs ce bouleversement avec une certaine angoisse, craignant la surcharge de travail liée à ces nouveaux désirs de pluridisciplinarité. ” On ne pourra plus se concentrer sur l’émission proprement dite et on devra sans cesse réfléchir à l’image, au Web et aux réseaux sociaux, témoigne cet animateur radio. Cela risque de générer un effet pervers sur le contenu proprement dit. ” Et cet autre employé d’ajouter : ” C’est le grand bordel ! On a nommé toute une série de nouveaux chefs et, franchement, on ne sait plus qui fait quoi “.

Dans ce vaste travail de réorganisation interne, trois quarts des postes de cadres de l’entreprise – il y en a 180 au total – ont été impactés. De nouvelles fonctions ont été créées, certains postes ont disparu, des appels à candidatures ont été lancés et une majorité de cadres a dû à nouveau postuler, ce qui a été source de stress, de jalousies et de frustrations. Voilà pourquoi l’administrateur général de la RTBF parle volontiers de leadershift lorsqu’il évoque le gros travail de coaching qui a été réalisé sur le management au cours de ces derniers mois.

Aujourd’hui, tous les postes dits ” n-1 ” (les portraits dans l’organigramme ci-contre) ont été attribués et la quasi-totalité des fonctions ” n-2 ” des pôles contenus et médias sont désormais connues (la vingtaine de cases reprises dans ce schéma). Dans le grand mercato audiovisuel, on épinglera notamment le transfert d’Hakima Darhmouch, ex-présentatrice vedette du JT de RTL-TVI, qui devient responsable de la thématique ” culture et musique ” du nouveau pôle contenus de la RTBF.

Tout en douceur

Née d’une réflexion menée en interne avec la complicité de la société de conseil McKinsey, la nouvelle structure de la RTBF ne sera toutefois pas immédiatement opérationnelle à 100 %. ” Il faudra faire preuve de pragmatisme dans les prochains mois et continuer à conscientiser nos 2.000 employés sur les raisons et la philosophie du changement, concède Jean-Paul Philippot. Une boîte qui travaille en flux continu, parfois même en flux tendu, et qui adresse quelque 500 programmes différents sur une année, cela ne se change pas en un clin d’oeil. C’est un chantier qui prend du temps. On va se donner les moyens en termes de formations et c’est la raison pour laquelle je pense que les premiers signes éditoriaux ne seront tangibles qu’à la rentrée de 2019. ”

En attendant les premiers fruits de la grande mutation, la RTBF se prépare également à un autre grand changement qui devrait lui voir le jour en 2021 : le déménagement des troupes bruxelloises dans un tout nouveau bâtiment durable, plus petit mais plus performant dans la gestion des coûts et de l’espace, sur le site de Reyers. Ce paquebot aux lignes visiblement épurées va-t-il faciliter l’intégration de la nouvelle structure décisionnelle de la RTBF ? ” Je le pense, répond l’administrateur général. C’est un nouvel outil qui va non seulement permettre un saut technologique, mais où les notions d’ouverture et de transversalité sont architecturalement tracées. ” Plus compacte, la structure privilégiera en effet des espaces beaucoup plus ouverts et surtout adaptables aux besoins de l’entreprise selon le nouveau modèle d’organisation axé autour des pôles médias et contenus.

Un hommage français

Ambitieuse, la réorganisation totale de la RTBF semble être le choix d’avenir pertinent à l’heure où les adolescents délaissent de plus en plus les médias classiques pour s’informer exclusivement sur les réseaux sociaux. L’offre de contenus du service public doit donc être multiforme et omnicanal et cette nouvelle direction prise par la RTBF a d’ailleurs été saluée le mois dernier en France. Lancée par la ministre de la Culture Françoise Nyssen, la mission de réflexion sur la réforme de l’audiovisuel public français a en effet pointé l’exemple belge après un premier bilan d’étape. Une cinquantaine de personnalités des sphères publique et privée ont été entendues par le comité d’experts désignés par la ministre et les auteurs du rapport préconisent aujourd’hui de faire changer l’audiovisuel public français de paradigme et de tout miser sur le contenu pour le diffuser ensuite sur différents médias, à l’instar du virage pris par la RTBF nommément citée. Un précieux hommage…

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