Philippe Bloch, consultant, viscéralement optimiste: “L’entrepreneuriat aguerrit”

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Dans ce monde de brutes, le rôle de protecteur, de créateur, d’acteur, des chefs d’entreprise est plus que jamais primordial, souligne l’essayiste français.

Essayiste, conférencier, cofondateur en son temps de la chaîne Columbus Café, Philippe Bloch n’est pas philosophe de métier mais il en a la sagesse, car c’est un optimiste de profession. Les titres de ses essais donnent d’ailleurs le ton: Bienheureux les fêlés, Ne me dites plus jamais bon courage, Tout va mal, je vais bien ou encore Ce sera mieux après, sauf si on est trop c

Nous l’avons rencontré au 20e jour de la guerre. Et il l’avoue, “ces images diffusées continuellement m’obsèdent. Je n’ai jamais vécu l’Histoire aussi dramatiquement qu’aujourd’hui. En ce moment, je me couche la nuit et j’y pense. Tous nos repères sont bouleversés, nous sommes entrés dans un monde sans boussole. C’est une période extraordinairement anxiogène, vécue dans la chair, et plus gravement que la pandémie car elle rappelle des souvenirs violents qui ne sont pas si lointains. Jamais l’Occident n’avait vécu 60 ans sans pandémie ni guerre majeure, et nous avons soudain les deux. Ce sont des enjeux terrifiants pour l’humanité.”

Cette histoire devenue folle ne sait plus si elle doit avancer ou reculer. “Le covid avait incarné le défi du 21e siècle. Un siècle digital et de réinvention qui a démarré avec 20 ans de retard par rapport à la date officielle. Cela avait été le cas aussi pour le siècle précédent, qui avait commencé après la Première Guerre mondiale. Et en 15 jours, nous sommes revenus au 20e siècle, avec le retour des blocs Est-Ouest, la destruction de l’équilibre mondial, avec une Allemagne qui se réarme. Ce qui se passe aujourd’hui est encore plus reconfigurateur que ne l’a été le covid.”

Il n’y a pas beaucoup de moments dans l’histoire où l’on peut participer à une réinvention, une réécriture totale du monde.

Trois semaines après le déclenchement de l’offensive russe, Philippe Bloch a commencé à reprendre ses conférences. Et il confesse que ses premières interventions lui paraissent étranges. “Il me semble que quoi que je dise, cela paraîtra futile par rapport au retour dramatique de l’histoire à 2.000 km d’ici. J’ai demandé aux gens qui m’invitaient: voulez-vous que je parle d’optimisme? Cela paraîtra ridicule, provocateur, décalé. Au contraire, m’ont-ils répondu, nous avons besoin, plus encore en ce moment, d’avoir un regard positif, de continuer à faire notre travail, à vivre normalement.” Mais Philippe Bloch ajoute que trois semaines seulement après le début de la guerre, il est difficile d’avoir une vision claire de son impact en entreprise.

Agir, protéger, innover

Il est cependant convaincu d’une chose: l’entrepreneur a un rôle essentiel à jouer. “Je dis toujours que c’est quelqu’un qui importe des emmerdes et exporte de l’enthousiasme. En ce moment, il importe des drames et exporte un environnement à peu près vivable.”

Dans ce monde devenu chaotique, l’entrepreneur peut apporter trois éléments majeurs: l’action, la protection, l’innovation.

L’action. “Les chefs d’entreprise qui m’invitent m’ont expliqué comment ils se sont mobilisés pour être en soutien, en solidarité et en compassion avec l’Ukraine. Comment ils voulaient mobiliser des ressources, organiser des convois…” Philippe Bloch explique que la première personne qu’il a rencontrée au lendemain du déclenchement de la guerre était un entrepreneur, “quelqu’un d’exceptionnel, qui possède une chaîne d’une trentaine d’hôtels à Paris, et qui était déjà en train de mobiliser ses réseaux, ses relations et de lever des fonds. “Je m’aperçois que ceux qui prennent ces initiatives sont tous des managers exceptionnels et dont les succès sont les plus retentissants. Ces gens n’ont pas la vie plus facile que d’autres, mais ils ont la capacité d’affronter l’adversité et d’être bienveillants. Ces qualités de bienveillance, de compassion, de générosité sont des qualités managériales dans ce monde de brutes. C’est aussi une manière de dire: s’il y a la guerre, nous la menons à notre façon à nous.”

L’innovation. La guerre avec ces chocs et la crise qui s’annonce vont obliger à faire plus avec moins. ” Do more with less sera la nouvelle religion des entreprises. Elles devront penser différemment sur tous les sujets, car l’Etat ne sera plus en situation de continuer sa politique du ‘quoi qu’il en coûte’. Cela va nécessiter de la créativité, une pensée décalée, des prises d’initiative permanentes sur un certain nombre de priorités stratégiques: l’énergie, la décarbonation, l’inflation.”

Un exemple parmi des centaines: “l’indépendance énergétique va modifier profondément certaines priorités. Le patron des achats d’une grande chaîne de distribution en France me soulignait son obligation absolue de repenser l’ensemble des fournitures d’énergie, l’impact du CO2 sur ses achats…”. La pression mise sur les épaules des dirigeants est considérable. “Nous allons assister au grand retour de l’imagination au pouvoir. C’est un enjeu sympathique, mais nous n’aurons pas le choix: nous sommes sortis plus facilement que nous le craignions du covid. Mais aujourd’hui, je ne suis pas certain que ce sera aussi facile.”

L’entrepreneur va également avoir besoin d’une immense dose de bienveillance, d’écoute, d’intelligence émotionnelle, de présence affective…

Face à ce “monde de brutes”, l’entrepreneur devra aussi se forger l’image d’un protecteur. Philippe Bloch le souligne: le manager ne doit pas seulement être un très bon gestionnaire. “Il va également avoir besoin d’une immense dose de bienveillance, d’écoute, de charisme, de leadership, d’empathie, d’intelligence émotionnelle, de présence affective, d’humanité,… Ce sont des enjeux prioritaires des années à venir.”

Le modèle ukrainien

Comment faire pour avoir les épaules solides? “Chacun son truc, mais personne d’autre que l’entrepreneur ne le fera pour lui. Gérer ces problématiques de management, de leadership, de créativité, être sur tous les fronts en même temps, c’est le travail de l’entrepreneur.” En fait, celui-ci devra d’abord puiser ses ressources dans son expérience: “L’entrepreneuriat aguerrit. Ceux qui ont le plus de succès en tant qu’entrepreneur sont les plus résilients, les plus résistants. Cela devient un état d’esprit. Et avec cette crise qui arrive, ils vont s’apercevoir que la difficulté aboutit à renforcer les caractères”.

Et voilà à nouveau le Philippe Bloch optimiste qui nous parle: “Je trouve que nous vivons la période la plus excitante de toute l’histoire de l’humanité. Il n’y a pas beaucoup de moments dans l’histoire où l’on peut participer à une réinvention, une réécriture totale du monde”. Certes, l’essayiste est bien conscient que cette réécriture est dramatique et se fait dans le sang. “Mais lorsque nous en serons sortis, parce que toutes les guerres ont une fin, l’Europe sera renforcée car elle avait des faiblesses majeures sur beaucoup de sujets. Nous assisterons à une reconstruction géopolitique extraordinaire. Et participer à la réinvention du monde, c’est enthousiasmant.”

Et dans cette reconstruction, les entrepreneurs doivent prendre conscience qu’ils auront une fonction clé. “Le rôle sociétal de l’entrepreneur sera accru. Il fera passer le message que le monde est beau malgré tout, et qu’il faut le rendre plus beau encore. Si on ne le dit pas, personne ne le dira.”

Et l’entrepreneur pourra puiser motivation et exemples dans la tragédie ukrainienne. “L’Histoire révèle les talents, conclut Philippe Bloch. Je suis estomaqué de la fierté, de l’exemplarité et du courage du peuple ukrainien, et de son président dont le charisme et le leadership resteront dans les livres d’histoire.”

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