Pharma: comment Novadip fait émerger ses produits innovants
Pour réussir dans la jungle des biotechs, il ne suffit pas d’avoir une idée géniale. Il faut aussi réussir à prendre les bons virages aux bons moments. Démonstration avec l’évolution de la prometteuse société de thérapie cellulaire Novadip.
Lors des récentes Fêtes de Wallonie, deux entrepreneurs ont reçu le titre d’officier du Mérite wallon: Fabien Pinckaers (Odoo), à la tête d’une entreprise de plus de 1.500 personnes et déjà sacré Manager de l’année par le jury de Trends-Tendances, et Denis Dufrane, qui dirige Novadip, une petite spin-off de l’UCLouvain qui emploie 45 personnes. Joueront-ils un jour tous les deux dans la même division économique? Les recherches menées par les équipes de Novadip permettent d’en rêver puisqu’elles visent des marchés potentiels pouvant aller jusqu’à la bagatelle de 13 milliards de dollars.
L’essentiel du marché se situe aux Etats-Unis mais cela n’empêche pas les opportunités industrielles ici.” Denis Dufrane, CEO de Novadip
L’entreprise vient de recevoir des résultats particulièrement encourageants de l’étude clinique menée en Belgique et au Luxembourg. Tous les patients qui ont bénéficié des produits de reconstruction osseuse de Novadip remarchent et peuvent désormais s’appuyer sur leurs membres. Certains ont même pu recommencer à faire du sport. On parle pourtant de personnes souffrant d’importants traumatismes au fémur ou au tibia, ayant parfois subi jusqu’à 18 opérations “classiques” sans amélioration notable et qui risquaient dès lors l’amputation. “Nous avons maintenant un recul sur 12 et 24 mois, se réjouit Denis Dufrane, CEO et fondateur de Novadip. Nous n’avons rencontré aucun problème de sécurité et l’évolution clinique est largement positive pour tous les patients traités.” Alors que les thérapies cellulaires mettent généralement plus d’un an avant de porter leurs fruits, ici la formation osseuse reprend après à peine 12 semaines.
Ces résultats, jugés “exceptionnels” par Novadip et ses actionnaires, ainsi que les instigateurs de l’étude clinique, confortent bien entendu la stratégie de l’entreprise de Mont-Saint-Guibert qui suit un chemin qui devrait la mener vers le Nasdaq dans deux ou trois ans. Mais quel est donc ce remède miracle? Il s’appuie sur les travaux en thérapie cellulaire de Denis Dufrane, médecin (UCLouvain). L’idée de base est de prélever des cellules graisseuses chez le patient, de les combiner avec des particules pour une former une sorte de greffon en 3D que le chirurgien ira placer dans les vides osseux de ce même patient. “C’est le premier produit de thérapie cellulaire visible à l’oeil nu, sourit Denis Dufrane. Il est malléable comme de la plasticine et le chirurgien le manipule simplement avec des pinces.”
Porte d’entrée américaine
Denis Dufrane a eu assez vite la confirmation de la validité scientifique de son intuition de départ. Mais aussi de ses limites économiques. Et c’est ici que la stratégie de Novadip mérite que l’on s’y attarde. Un produit tridimensionnel issu de la thérapie cellulaire, cela ne se fabrique pas en un claquement de doigts. Ce produit, connu sous le nom de code NVD-003, n’a donc pas vraiment d’utilité en première ligne, quand il faut agir en urgence après un grave accident. Premier choix décisif: cibler le produit pour les interventions programmées dans le cadre de reconstructions osseuses massives pour lesquelles la médecine classique s’avère impuissante. Novadip met plus précisément le focus sur le traitement de la pseudarthrose congénitale du tibia, une maladie pédiatrique ultra-rare (moins de 1.000 enfants à travers le monde), très douloureuse et qui empêche parfois de marcher. “C’est la pire des reconstructions osseuses. Si nous pouvons faire cela, nous pouvons tout faire”, résume Denis Dufrane qui y voit une porte d’entrée sur un marché potentiel de 500 millions de dollars. Nous sommes très loin des 13 milliards évoqués en début d’article. Mais vous le verrez, ce n’est qu’un début.
Les premières études cliniques et les résultats des quatre patients traités à titre compassionnel (un chirurgien utilise le produit avant sa validation officielle quand tous les autres moyens thérapeutiques ont échoué) ont convaincu la Food and Drug Administration (FDA): le NVD-003 pourra directement faire l’objet d’études cliniques pédiatriques aux Etats-Unis. Celles-ci sont prévues au printemps prochain. Ce qui peut laisser augurer, si tout se passe bien, un lancement sur le marché américain en 2025. Mieux encore: le médicament étant reconnu comme traitant une maladie pédiatrique rare, la FDA accorde à Novadip un priority voucher qui permet d’accélérer le processus d’examen d’un candidat médicament. La firme peut soit utiliser ce voucher pour l’un de ses produits, soit le vendre à une autre société (la valeur est estimée entre 100 et 300 millions de dollars). “Cela peut sembler a priori étrange comme mécanisme, convient Virginie Cartage, CFO de l’entreprise. Mais d’une part, cela facilite l’arrivée de traitements pour des maladies orphelines qui n’ont pas toujours de sens économiquement. Et d’autre part, cela accélère la mise à disposition de nouveaux médicaments pour l’ensemble des patients. Pour certains produits, arriver six mois plus tôt, cela représente un avantage compétitif non négligeable.”
Novadip travaille aussi sur un produit susceptible d’arrêter la prolifération de tumeurs solides.
Thérapie cellulaire prête à l’emploi
Tout cela, c’est bien beau. Mais ce “pansement biologique actif” qui pousse les cellules à régénérer l’os, ne pourrait-on pas essayer de l’amener en première ligne, dans une formule “prête à l’emploi” qui serait présente dans toutes les bonnes salles d’opération? Défi relevé par les équipes de Novadip. Elles sont parvenues à lyophiliser les structures 3D confectionnées à partir des cellules adipeuses et à en faire une sorte de poudre bioactive facile à transporter, à stocker et à utiliser par le chirurgien. Les premiers traitements in vivo confirment une remarquable stimulation de la formation osseuse. En outre, comme cette poudre ne contient plus de cellules viables – mais bien tous les éléments actifs que ces cellules synthétisaient – elle ne subit aucun rejet de la part du patient.
Novadip s’apprête donc à lancer des études cliniques pour cette poudre bioactive (appelée NVD-X3) dans deux indications: la cheville et les fusions lombaires, soit un marché potentiel de 3 milliards de dollars. A terme, elle pourrait utiliser la même technologie pour s’attaquer à de graves problèmes de peaux (nécroses, brûlures, plaies chroniques, etc.), un marché estimé, lui, à 4,3 milliards de dollars. Une importante levée de fonds, qui devrait dépasser les 20 millions d’euros, est en cours de finalisation afin de financer le développement clinique de cette poudre.
L’entreprise explore également une troisième voie: un produit susceptible d’arrêter la prolifération des tumeurs solides (mélanome, cancers des os, du sein, etc.). La réflexion repose toujours sur la même plateforme et l’observation de son fonctionnement. A l’intérieur des structures 3D conçues pour la reformation osseuse, les cellules vont secréter des micro-ARN. Ces nanocapsules sont des messagers qui vont indiquer aux cellules ciblées dans l’organisme les tâches qu’elles doivent effectuer. “Cela peut être utilisé en médecine régénérative mais aussi en oncologie, souvent à usage diagnostic, explique Denis Dufrane. Nous allons les utiliser à des fins thérapeutiques.” Ces micro-ARN peuvent en effet aider à circonscrire la tumeur, à éviter sa prolifération et à pouvoir l’extraire avec une intervention beaucoup plus localisée.
La recherche est encore ici à un stade très exploratoire. Novadip la mène conjointement avec l’ULiège, le CER (Centre de recherche préclinique de Marche-en-Famenne) et la biotech française EVerZom. Ce consortium, baptisé Theramir, bénéficie pour ce faire d’une aide de la Région wallonne sous la forme d’une avance récupérable de 4 millions d’euros. Les développements envisagés en oncologie représentent un marché de quelque 5,5 milliards de dollars. Faites le compte: avec les deux indications pour la poudre bioactive et les 500 millions du produit autologue (le patient est son propre donneur) de départ, nous arrivons bien aux 13 milliards…
Industrie wallonne
S’il lorgne le Nasdaq et le marché américain, Denis Dufrane demeure très attentif au sort de sa région. Il confie d’ailleurs une certaine “fierté” associée à cette récompense du Mérite wallon. “Je suis fils de sidérurgiste dans le Hainaut, j’ai vu cette lente dégradation des outils industriels, dit-il. Il ne faut pas seulement avoir des idées, il faut créer de l’activité économique. L’essentiel du marché se situe aux Etats-Unis mais cela n’empêche pas les opportunités industrielles ici.”
C’est aussi un juste retour des choses pour une société qui, lors de son premier tour de table en 2015, avait accueilli le fonds américain New Science Ventures, plusieurs fonds institutionnels (SFPI, SRIW, Invest BW) aux côtés de Vives, Fund +, Epimède, Intégrale, Pierre Drion et d’autres investisseurs privés. “Je n’oublie pas les avances récupérables de la Région wallonne, ajoute Denis Dufrane. S’ils n’avaient pas cru en nos programmes dès le début, nous ne serions pas là aujourd’hui.”
La technologie de Novadip permet a priori d’espérer un développement industriel local pour son produit le plus avancé (NVD-003): on peut en effet prélever les cellules à l’autre bout du monde, les acheminer à Mont-Saint-Guibert pour réaliser le pansement biologique actif et renvoyer la structure 3D pour l’intervention chirurgicale. “C’est un produit stable et qui peut se transporter à température ambiante, précise le CEO de Novadip. C’est unique en termes de logistique et de distribution pour une entreprise de thérapie cellulaire.”
Le raisonnement est sans doute encore plus vrai pour la poudre bioactive qui peut par nature être facilement transportée et stockée. Il se peut toutefois que des contraintes réglementaires conduisent Novadip à produire un jour sur plusieurs continents. Mais nous n’en sommes pas encore là. “A l’heure actuelle, nous produisons tout nous-mêmes, explique Denis Dufrane. Nous contrôlons tous le manufacturing. C’est peut-être un peu dans mon tempérament – j’aime bien tout contrôler – mais c’est important d’avoir la maîtrise de toute la chaîne. Si les fondations ne sont pas bonnes, la maison finit toujours par tomber. Si un jour, nous devons passer à une production à grande échelle, nous aviserons et nous poserons les choix nécessaires.”
Mais aujourd’hui, les salles blanches et les laboratoires sont juste à côté des bureaux sur ce zoning de Mont-Saint-Guibert et cela semble satisfaire tout le monde. “Nous restons très pratiques, nos produits doivent coller à ce que le chirurgien va utiliser, conclut Denis Dufrane. C’est l’une des forces de Novadip. Moi-même, je conserve toujours une petite pratique clinique au Grand Hôpital de Charleroi pour rester au contact des patients et de la demande clinique.”
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