Pétrole: “La stagnation durera plus longtemps que nous le pensons”

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“Il y a eu incontestablement un rebond sur certains marchés, comme le pétrole et certains métaux comme le fer, le nickel, le zinc, l’étain”, déclare Philippe Chalmin. “Par contre, certains marchés sont encore orientés à la baisse notamment dans le domaine agricole: céréales, oléagineux, etc. Nous restons globalement très, très loin des sommets qui avaient été atteint entre 2006 et 2014.”

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TRENDS-TENDANCES. Comment expliquer ces rebonds partiels ? Par les liquidités dont des banques centrales abreuvent les marchés financiers et qui doivent bien aller se loger quelque part ?

PHILIPPE CHALMIN. Non. Ce ne sont pas les banques centrales qui déterminent le marché. Je ne pense pas que le choc de 2006-2014 ni que la dépression des cours ensuite, soient liés à ce qu’on appelle la financiarisation du marché. Ces évolutions sont plutôt déterminées par le cycle de l’investissement, c’est-à-dire l’arrivée de nouvelles capacités de production qui pèsent sur les cours, d’autant plus qu’un certain nombre de producteurs ont privilégié ouvertement le maintien de leur part de marché quitte à précipiter la chute des prix. Cela a été la stratégie de l’Arabie saoudite sur le marché du pétrole ou des producteurs australiens sur celui du minerai de fer.

Il y a donc des explications particulières à ces sursauts localisés ici ou là ?

Un des métaux qui a le mieux performé ces derniers temps est le zinc, parce qu’un des acteurs de ce marché, le groupe Glencore, a fermé 500.000 tonnes de capacité. La remontée des cours du nickel est liée au nouveau président philippin qui, pour des raisons environnementales, a menacé de fermer un certain nombre de mines. Un vent ascendant souffle aussi sur le sucre, sur lequel on observe un déficit mondial ainsi que sur le lithium, parce que les voitures électriques (dotées de batteries au lithium) se développent, etc. Mais d’autres marchés stagnent à des niveaux très bas : l’aluminium, le cuivre, etc. Et sur d’autres – les céréales en particulier – nous continuons d’observer de fortes tendances à la baisse, liées notamment à des aléas climatiques (une météo exceptionnellement clémente depuis 2013, Ndlr). En revanche, une mauvaise météo a fait monter les prix du sucre… Tensions, rebonds, plongeons : chaque marché a son histoire. Mais il y a une tendance générale : le grand choc est passé et nous rentrons dans des phases plus difficiles.

Ces phases difficiles ne sont-elles pas liées à ce que certains appellent la grande dépression, la crise mondiale ?

Nous n’avons pas véritablement de grande dépression aujourd’hui. Le monde affiche un taux de croissance de l’ordre de 3 %, ce qui est très correct.

L’explication, c’est donc le cycle des investissements ?

Bien sûr. Le cycle des investissements est une réalité que j’observe en tant qu’historien. Un élément qui a aussi joué est qu’il existe une corrélation assez forte entre le prix des matières premières et celui du dollar. Quand la parité du dollar remonte les prix baissent. Cela se comprend car toutes les matières premières sont cotées en dollar. Or, le dollar a cessé de s’apprécier vis-à-vis de la plupart des grandes devises, surtout vis-à-vis de l’euro.

Mais vous dites que les prix devraient encore stagner un moment. Pourtant, si les prix stagnent, nous devrions assister à une adaptation des capacités de production et une remontée des prix, non ?

Non. Depuis le début du 20e siècle, les prix des matières premières ont évolué sur des cycles de 20 à 30 ans, qui se marquent d’abord par une période de forte tension de cinq à 10 ans, puis une longue période de déprime des cours. Nous pourrions en effet nous dire que cette période de baisse devrait se raccourcir parce que les producteurs devraient adapter leurs capacités. En réalité, il n’en est rien.

Pourquoi ?

L’investissement dans les ressources naturelles est marqué au coin du temps long. Il faut une dizaine d’années pour développer un complexe pétrolier. Total va commencer à produire en octobre le champ pétrolier de Kachagan, dans la mer Caspienne. C’est un projet dont j’entends parler depuis 15 ans. Aujourd’hui, le baril est à 45 dollars, et à ce prix, je ne suis pas sûr que Kachagan soit rentable. Cependant, ce gisement va continuer à produire et il devrait même, au contraire, augmenter sa production pour diminuer le prix de revient et éliminer du marché ceux qui sont moins bons. Quels que soient les marchés, les producteurs sont plus résilients qu’on ne le pense. On pourrait se dire que cette résilience est liée aux politiques publiques, mais ce n’est pas le cas. Un superbe exemple est celui du transport maritime, qui bénéficie très peu de subventions. Il y règne le marasme le plus total. Pourtant, ces armateurs commandaient encore des navires de très gros tonnages tout récemment. C’est ce qui me fait dire que la période actuelle de stagnation durera beaucoup plus longtemps que nous le pensons.

Un autre cas de résilience est celui des producteurs d’huile de schiste qui résistent à la chute du prix du baril.

Lorsque vous avez une innovation, elle est irréversible. On ne tuera pas le pétrole de schiste, il est là et il va durer.

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