Pénurie: un exportateur sur deux a subi des problèmes d’approvisionnement

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Christophe De Caevel
Christophe De Caevel Journaliste Trends-Tendances

Près d’un tiers des répondants au baromètre Credendo-Roularta redoutent que ces problèmes perdurent jusqu’en 2023, voire au-delà. Cela n’empêche toutefois pas les exportateurs de retrouver le niveau de confiance d’avant-crise.

Les fortes secousses sur les chaînes d’approvisionnement des entreprises à travers le monde brident la reprise économique et les perspectives d’avenir, confirme le sixième baromètre des exportateurs, réalisé par Roularta et l’assureur-crédit Credendo. L’indice de confiance est revenu à son niveau d’avant-crise (il est même meilleur que le chiffre de 2019) mais il faut relativiser ce redressement en se souvenant que l’an dernier, ce même indice de confiance ne s’était pas complètement effondré, bien que les entreprises aient été alors interrogées entre deux confinements. Les répondants anticipent sans doute une partie des fluctuations à venir au cours des prochains mois. L’enquête a été réalisée du 20 septembre au 12 octobre derniers. Passons en revue une série d’enseignements qui peuvent être tirés de cette étude à laquelle ont participé 763 personnes, dont 40% de CEO ou chefs d’entreprise.

1. La page de la crise sanitaire se tourne progressivement. La pandémie demeure le premier sujet de préoccupation des exportateurs (71% pensent qu’elle aura encore un impact négatif sur leurs activités à l’export) mais ses incidences directes se font moins ressentir. La proportion d’entreprises ayant subi une diminution, voire une annulation pure et simple, des commandes est en effet retombée dans des normes plus classiques après l’explosion de l’année 2020. L’an dernier, 38% des répondants affirmaient avoir subi une annulation de commandes ; ils ne sont plus désormais que 13%.

Une majorité d’entreprises constate toutefois que le Covid-19 a eu un impact négatif sur les exportations en 2021, impact pouvant aller jusqu’à un recul de plus de 25% des activités pour 14% des entreprises. Un tiers pense que ces impacts se prolongeront encore l’an prochain et 10% craignent même que cela ne se prolonge au-delà de 2022. “Le pipeline de commandes n’a pas été alimenté l’an dernier et comme il y a toujours des interdictions de voyage vers certaines destinations, la prospection ne peut se faire avec la même intensité qu’avant, constate Nabil Jijakli, deputy CEO de Credendo. Même si une série de choses reviennent à la normale, même si la croissance reprend, l’impact de ce ralentissement se prolonge donc.”

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Indétrônable secteur pharmaceutique

Que des pandémies, des ruptures d’approvisionnement ou des mesures protectionnistes viennent perturber nos exportations, les secteurs les plus porteurs semblent immuables. La pharmacie et les biotechnologies demeurent de loin les secteurs ayant le plus grand potentiel à l’exportation, selon les chefs d’entreprise interrogés pour notre baromètre. “Je ne vais évidemment pas me plaindre du succès de ce secteur, commente Olivier de Wasseige. J’attire toutefois l’attention sur la forte concentration sur un petit nombre d’exportateurs. Pour prendre une image, quand la pharma éternue, c’est toutes nos exportations qui s’enrhument.” Un tiers des exportations wallonnes reposent sur la pharma (dont 15% pour les seuls vaccins). Le patron de l’UWE se réjouit de voir que l’Awex (agence régionale à l’exportation) travaille désormais avec des experts sectoriels et non plus uniquement des agents spécialisés par pays ou zones géographiques. L’ambition est d’aider à construire dans les cinq domaines d’innovation stratégique définis par le gouvernement (matériaux circulaires, santé, modes de production, énergie & habitat durable, agroalimentaire) des écosystèmes affichant le même dynamisme que la pharma.

Isabelle Grippa souligne le bon classement des produits alimentaires qui ont, dit-elle, “explosé à l’export cette année”. Cela concerne évidemment les produits belges typiques comme la bière et le chocolat mais aussi désormais “les produits de la gastronomie durable” et les nouvelles filières de l’agriculture urbaine.

“Quel est l’intérêt d’envoyer un agent commercial dans un pays lointain s’il doit commencer par une dizaine de jours de quarantaine? renchérit le CEO de l’Union wallonne des entreprises Olivier de Wasseige. Le problème ne se limite pas à la grande exportation: pour installer des machines pour un client à Lille, une entreprise wallonne souhaitait y envoyer cinq techniciens. A leur retour, ceux-ci auraient dû être écartés pendant 10 jours, par précaution sanitaire. Tout cela pour un voyage professionnel à… Lille! C’est aberrant et cela grève les marges des entreprises.”

A Bruxelles, le son de cloche est un peu différent. La balance commerciale régionale s’est en effet montrée “très résiliente” car l’économie y est portée surtout par les services et ceux-ci sont très digitalisés. “Cette reprise est fondamentale pour l’économie bruxelloise, commente Isabelle Grippa, directrice générale de Hub.brussels. Pas moins de 85% du PIB régional dépendent directement ou indirectement de l’international ; nous avons besoin que ce levier soit en bonne santé.”

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2. Les plans de relance ne se traduisent pas (encore) à l’export. Les milliards d’euros affichés tant en Europe qu’aux Etats-Unis pour relancer la machine économique devraient a priori gonfler les perspectives des exportateurs. La prudence demeure, pourtant. L’indice de confiance remonte certes au niveau de 2018 mais n’explose pas pour autant. Une majorité des entreprises tablent sur une augmentation de leurs exportations au cours des trois prochaines années, mais elles demeurent prudentes, avec un objectif de croissance de moins de 10% pour 45% des répondants. “Dans les pays émergents, que ce soit en Inde, en Afrique ou ailleurs, il n’y a généralement pas de plan de relance, analyse Nabil Jijakli. Ces pays n’ont pas les moyens d’injecter énormément d’argent pour stimuler les investissements. Nos entreprises actives à la grande exportation le savent très bien.”

Les investissements publics explosent en revanche dans la plupart des pays européens, c’est-à-dire chez nos premiers partenaires commerciaux. “La puissance des plans de relance français et allemand devrait normalement booster nos exportations, prédit Olivier de Wasseige. Dans les prochains trimestres, nous devrions commencer à voir des hausses significatives dans une série de secteurs, grâce aux initiatives prises chez nos voisins. Les agents de l’Awex épluchent d’ailleurs les plans de relance des Etats européens pour pointer les opportunités à saisir par les exportateurs wallons.”

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3. Les chaînes d’approvisionnement ne se reformeront pas tout de suite. Un peu plus d’une entreprise sur deux a connu récemment des problèmes d’approvisionnement, c’est l’un des enseignements marquants de ce baromètre. Et malheureusement, ces problèmes ne devraient pas être résolus dans l’immédiat. Près de 30% des répondants redoutent en effet qu’ils persistent encore en 2023, voire au-delà. “Des entrepreneurs me disent avoir l’impression d’être rationnés comme en temps de guerre, soupire Olivier de Wasseige. Ils commandent 10 pièces et en reçoivent deux ou trois. Nous avons là l’illustration du principe de la chaîne: quand un maillon ne fonctionne plus, toute la chaîne déraille. C’est extrêmement perturbant pour les gestionnaires.”

Les entreprises qui avaient anticipé les besoins et étoffé leurs stocks ont pu tirer leur épingle du jeu dans ces circonstances. Les autres vont peut-être reconsidérer leur politique de stock (17% de celles qui ont subi des problèmes d’approvisionnement y songent). Hub.brussels propose à cet égard des conseils sur la gestion des stocks. “C’est un enjeu crucial en milieu urbain, où les espaces disponibles sont réduits, explique Isabelle Grippa. Nous travaillons sur une panoplie de solutions, en partenariat avec Citydev ( gestionnaire du parc immobilier régional, Ndlr).”

Si les problèmes d’approvisionnement ne font pas sourire les exportateurs (42% d’entre eux ont reçu des plaintes de leurs clients à cause des retards de livraison), l’impact sur le chiffre d’affaires reste minime. Parmi les entreprises ayant subi ces problèmes, 26% constatent un impact de moins de 5% sur leur chiffre d’affaires et 41% aucun impact du tout. En revanche, 5% des exportateurs concèdent avoir subi une baisse de 20 à 50% de leur chiffre en raison des retards d’approvisionnement.

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Les pays limitrophes plus que jamais en tête

La perturbation des chaînes mondiales d’approvisionnement a poussé les entreprises à se tourner encore plus vers leurs voisins immédiats. Les meilleures opportunités d’exportation se trouvent dans les pays limitrophes, estiment 75% des exportateurs. “Globalement, les entreprises ont anticipé la crise en se recentrant sur leurs premiers clients, dans leur environnement immédiat, analyse Isabelle Grippa. Nous avons aussi mené des actions d’accompagnement de nouveaux exportateurs, des PME qui parfois n’y pensaient même pas. Les premiers pas à l’export se déroulent logiquement vers les pays voisins.”

A la grande exportation, on constate logiquement un tassement des perspectives concernant l’Asie, d’où sont venus tant les problèmes sanitaires que d’approvisionnement. “A peu près toutes les zones sont en recul, sans doute en raison des interdictions de voyager et de l’annulation des missions économiques, dit Nabil Jijakli. Cela renforce la difficulté de renouveler le pipeline des commandes. Je note cependant que l’Afrique est la seule zone éloignée qui n’a pas baissé dans ce baromètre.”

4. La relocalisation, ce n’est pas pour demain. Face à cette situation, de nombreuses entreprises envisagent de diversifier leurs fournisseurs, en vertu de ce bon vieux dicton selon lequel “il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier” (37% de celles qui ont connu des problèmes d’approvisionnement). Très bien. Encore faut-il que ces nouveaux partenaires ne soient pas frappés des mêmes mesures de confinement, de quarantaine ou de limitation des déplacements.

La question devient alors celle de la relocalisation d’une partie de la production, comme cela fut souvent mis en avant au début de la pandémie. “La relocalisation, en dehors d’initiatives publiques volontaristes, je n’y crois guère, confie Nabil Jijakli. La question des prix et de la compétitivité va jouer. Mais on voit aussi que s’il y a des problèmes en Chine, on peut assez facilement aller produire au Vietnam.” Plus fondamentalement, le deputy CEO de Credendo lie les problèmes d’approvisionnement actuels à “une crise du transport maritime”. La surchauffe due au manque de conteneurs devrait, selon lui, “s’aplanir avec le temps” et ne donc ne pas conduire à une relocalisation spectaculaire des facteurs de production.

Les acteurs régionaux tentent toutefois de saisir les opportunités offertes par les circonstances actuelles. Isabelle Grippa rappelle les initiatives prises conjointement pour monter dans l’urgence des filières de production de matériel de protection individuelle (masques, tabliers…) dans les trois Régions du pays. “Cela a permis de couvrir l’ensemble des besoins des acteurs de la santé au pic de la crise, précise la directrice de Hub.brussels. Nous avons démontré que c’était possible et, d’ailleurs, ces activités de confection continuent et se diversifient.” Des études sont en cours pour identifier les biens et matériaux pour lesquels une production locale pourrait aider à prévenir de futures difficultés d’approvisionnement. Olivier de Wasseige s’inscrit dans cette philosophie mais préfère parler de réindustrialisation plutôt que de relocalisation. “Il faut déceler les chaînes de valeurs sur lesquelles nous pouvons avoir un avantage compétitif grâce à des liens forts entre plusieurs entreprises, dit-il. Si nous sommes alors plus forts, plus fiables, nous pouvons à terme être moins dépendants de l’étranger ou en tout cas des pays lointains.”

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Le patron de l’Union wallonne des entreprises invite toutefois au réalisme dans les ambitions de relocalisation: si la recherche de fournisseurs belges ou européens conduit à de fortes hausses de prix, les entreprises perdront leur compétitivité, et donc une série de marchés. “Je n’oublie pas non plus la question du phénomène Nimby, ajoute-t-il. Quand un industriel veut s’installer chez nous, le projet est assailli de recours devant le Conseil d’Etat car il y a aura du bruit, du charroi, etc. Enfin, il faut aussi garder à l’esprit la notion de balance commerciale: si nous n’achetons plus de produits venant du pays X, ce dernier n’achètera plus les nôtres.”

RENÉ BRANDERS, CEO
RENÉ BRANDERS, CEO© PG

“Il faut dorénavant intégrer le risque d’imprévisibilité”

A l’instar de nombreux fabricants, FIB souffre de la pénurie de divers composants et pièces. Pour y remédier, il a adapté sa méthodologie et modifié ses standards électroniques.

Leader mondial dans la conception et la fabrication de lignes de fours industriels destinés à la production de fils d’acier, FIB est clairement impacté par la pénurie de composants électroniques. “Nous avons actuellement des délais pour certains composants qui sont passés de 8 à 32 semaines, déclare René Branders, CEO de FIB. Et certains de nos sous-traitants sont également concernés par ce problème. Ils nous fournissent des moteurs, pompes, ventilateurs, etc., et leur production est parfois à l’arrêt car il leur manque une pièce.” A cette réalité s’ajoute la hausse des prix de l’acier, depuis la fin de l’année dernière. “C’est surtout depuis le début de cette année que nous avons commencé à sentir les effets du manque de certains composant et pièces, ajoute René Branders. Comme la plupart des industries, nous avons aussi connu l’année dernière un ralentissement de nos activités avec la crise sanitaire.”

Nouveaux standards

Devant la pénurie qui frappe les industriels, ces derniers ont dû faire montre de leurs capacités d’adaptation et repenser rapidement leurs processus de production. “Nous avons revu nos standards électroniques et changé notre méthodologie, explique-t-il. Nous y intégrons dorénavant le risque d’imprévisibilité. Dans notre activité, les risques sont multiples. Outre un problème avec la fourniture de pièces essentielles, nous devons également composer avec l’explosion du coût du transport. En ce qui nous concerne, le prix du conteneur est passé de 1.500 à 4.000 dollars. Et certains conteneurs se sont négociés jusqu’à 22.000 dollars. C’est pourquoi, pour certaines destinations, le prix est prévu des le départ. Nous avons des contrats avec un prix de transport fixé trois mois avant l’expédition.” Un autre paramètre important pour FIB est l’énergie. Non pas tant celle qu’il utilise pour sa fabrication mais bien celle de ses clients. Rappelons que l’entreprise tubizienne fabrique des fours industriels qui fonctionnent au gaz ainsi qu’à l’électricité.

“Il y a pour le moment beaucoup d’incertitude sur le gaz, analyse René Branders. Aux Pays-Bas, par exemple, nous avons des signaux discordants quant à son avenir. Or, l’industrie déteste l’instabilité. D’autant que pour nos clients, ces équipements constituent des investissement importants qui s’inscrivent dans la durée avec une utilisation prévue pour 20 à 25 ans.”En ce qui concerne la logistique, FIB ne rencontre pas de problèmes pour exporter ses machines à travers le monde. “Le transport fonctionne, précise le CEO, ce sont les délais de fabrication, allongés suite à cette pénurie, qui retardent les livraisons. Nous avons dû, par exemple, diviser en deux lots une livraison pour l’Argentine: le premier avec une certitude pour le délai ; le second, avec beaucoup moins de certitude. Tout cela est décidé évidemment avec l’accord du client.”

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5. Les prix sont poussés à la hausse. La plupart d’entre nous l’ont déjà constaté et le baromètre le confirme: les difficultés d’approvisionnement entraînent une hausse des prix. “Tout ce qui est rare est cher, résume Olivier de Wasseige. Cela génère des problèmes en cascade pour les entreprises qui s’approvisionnent après avoir fait leur devis ou même vendu leur produit. Elles n’ont pas toujours la possibilité de répercuter la hausse de certains composants et doivent raboter leur marge, voire vendre parfois à perte.” “Cette pression inflationniste est renforcée par les difficultés de trouver la main-d’oeuvre dans les secteurs les plus sollicités pour la relance, ajoute Nabil Jijakli. Les deux phénomènes mettent la pression sur les prix.”

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Notre baromètre indique que 40% des exportateurs ont déjà augmenté leurs prix à cause de problèmes d’approvisionnement et que 32% envisagent de le faire. “A terme, ces hausses risques évidemment de jouer sur la demande, pointe Isabelle Grippa. Cela ne semble pas encore être le cas, les carnets de commandes sont bien remplis dans la plupart des entreprises.”

RENÉ MASSON, DIRECTEUR
RENÉ MASSON, DIRECTEUR “Si le coût du transport reste élevé, il n’est pas exclu que l’on assiste à des relocalisations.”© PG

“Les entreprises vont revoir leur chaîne logistique”

Basée à Aubange, Trico Belgium fabrique balais et bras d’essuie-glace pour le marché automobile européen. Son activité est ralentie par l’arrêt de lignes de production de certains de ses clients constructeurs.

Parmi les secteurs les plus touchés par le manque de semi-conducteurs figure en bonne place l’automobile. Cette pénurie concerne non seulement les constructeurs dont beaucoup ont suspendu leur production mais également leurs sous-traitants et fournisseurs. Parmi ces derniers, on retrouve Trico Belgium, filiale du groupe américain Trico. Elle produit balais et bras d’essuie-glace, quasi essentiellement pour le marché européen, destinés à la première monte ainsi que pour le marché officiel de la rechange. Ses soucis d’approvisionnement ont débuté dès la fin de l’année dernière, comme le détaille René Masson, directeur du site d’Aubange et directeur R&D pour le groupe: “Nous avons commencé à rencontrer un problème pour les matières premières. Nous utilisons notamment du caoutchouc naturel et synthétique, ainsi que des plastiques. Certains producteurs ont déclaré des situations de force majeure. Par ailleurs, certains petits sous-traitants de pièces métalliques avec lesquels nous travaillons en Italie ont, pour leur part, souffert d’un manque d’acier. Comme nous sommes une filiale d’une multinationale, nous avons essayé d’user de notre poids pour leur venir en aide.”

Transport impacté

“Nous avons également travaillé sur des procédures accélérées de validation de fournisseurs alternatifs, poursuit René Masson. Nous avons dû revoir certains produits en attendant que la situation revienne à la normale.” A cette pénurie s’ajoute le coût du transport qui a singulièrement augmenté dans des proportions qui varient selon certaines destinations du simple au triple, voire au décuple. “Avec les Etats-Unis, c’est deux à trois fois plus cher actuellement, et huit à dix fois avec la Chine, précise-t-il. Il est particulièrement difficile de trouver un container mais aussi un bateau et quelqu’un pour le charger.” Cela concerne directement le site d’Aubange, qui joue également le rôle de centre logistique pour certains produits fabriqués outre-Atlantique.

“Le just in time a été poussé à l’extrême, analyse René Masson. Ce qui ne laisse plus beaucoup de coussin de sécurité dans leur approvisionnement. J’ai le sentiment que la prise de conscience des entreprises de cette faiblesse liée en partie à la globalisation va les amener à revoir leur chaîne logistique et leur panel de fournisseurs. Elle s’orienteront vers des solutions moins globales et plus diversifiées. De plus, si le coût du transport reste élevé, il n’est pas exclu que l’on assiste à des relocalisations.” Aujourd’hui, Trico est pénalisée par le ralentissement de l’activité de ses clients qui sont carrément à l’arrêt pour certains. Conséquence: une partie des 250 collaborateurs est momentanément en chômage.

6. L’enjeu climatique est relégué au second plan. Si la pandémie ne provoque plus d’annulations massives de commandes, comme on le voyait l’an dernier dans notre baromètre, elle demeure néanmoins le premier phénomène négatif sur les activités d’exportation. Sans doute parce que la situation sanitaire est encore instable dans de nombreux pays et qu’il faut gérer tout le cycle de redémarrage. Les guerres commerciales et la poussée des protectionnismes sont également moins redoutées qu’elles ne l’étaient sous la présidence de Donald Trump. Tout en bas de la liste des impacts négatifs sur les activités d’exportation, on retrouve les dérèglements climatiques. Faut-il y voir un désintérêt ou, au contraire, une indication du fait que les problématiques environnementales sont désormais bien intégrées dans les business plans? “L’enjeu est pourtant tout aussi urgent que celui des chaînes d’approvisionnement, même s’il reste parfois moins tangible pour certains, analyse Isabelle Grippa. Nous avons un travail de sensibilisation à mener à cet égard. La durabilité devient un critère de compétitivité de plus en plus incontournable. Ne pas en être conscient, c’est se mettre en retard sur les marchés futurs.” La directrice d’Hub.brussels met en avant l’aménagement aux abattoirs d’Anderlecht de la plus grande ferme aquaponique d’Europe ainsi que “la reconnaissance mondiale” de la qualité de la filière bruxelloise de construction durable.

PHILIPPE FOUCART, CEO
PHILIPPE FOUCART, CEO “Certaines de nos activités sont peu ou moins impactées comme la maintenance et plus globalement les prestations de services.”© BELAGIMAGE

“Tout le monde est impacté”

Intégrateur spécialisé, le groupe tournaisien Technord est également confronté à des problèmes d’approvisionnement entraînant des retards pour certains chantiers.

La pénurie de semi-conducteurs n’épargne personne. “J’ai un ami, propriétaire d’un magasin d’électroménager, qui m’a déclaré récemment que certaines machines à laver qui lui avaient été commandées ne pourraient pas être livrées avant mai de l’année prochaine, tout simplement parce qu’il manque une puce électronique indispensable au wifi, souligne Philippe Foucart, CEO de Technord. Pour notre part, nous sommes également touchés pour certains de nos métiers.” Actif à l’origine dans l’électricité industrielle, le groupe a étoffé sa palette de services qui comprend aujourd’hui également l’informatique, l’automatisation ou encore l’intelligence artificielle. C’est surtout son core business qui est touché par la pénurie de composants. Certaines matières premières comme le cuivre, pour lesquelles il n’y a pas de pénuries, ont par ailleurs vu leur prix s’envoler. “Nous avons aussi été impactés par l’arrêt de la câblerie d’Eupen suite aux inondations de la vallée de la Vesdre, ajoute Philippe Foucart. Elle nous fournit les câbles électriques aux normes belges. Mais nous avons trouvé des solutions auprès d’autres fournisseurs et avons ainsi pu utiliser des câbles conformes pour la réalisation de nos chantiers.”

Pas d’embellie avant l’été prochain

Des chantiers qui ont pris du retard suite à cette pénurie, mais sans trop de répercussions pour le groupe tournaisien qui emploie 400 personnes en Belgique et à l’étranger. “En volume de travail, nous avons une visibilité de trois à six mois, explique le CEO. Tout le monde est impacté. Les clients sont bien conscients de la situation et cela se ressent sur les prix. Ceux-ci varient constamment, certains ont plus que doublé. Mais je dois aussi préciser que certaines de nos activités sont peu ou moins impactées, comme la maintenance et plus globalement les prestations de services.”

A l’instar de ses confrères, le groupe Technord s’est donc efforcé de trouver d’autres fournisseurs quand cela était possible, mais aussi d’imaginer des solutions afin de compenser le manque de certains composants ou éléments. Et si en tant qu’intégrateur, il n’y a pas pris la vague de plein fouet comme les constructeurs, il a aussi été touché dès cet été, alors que la reprise commençait à peine se faire sentir. Selon Philippe Foucart, le retour à la normale n’est pas pour tout de suite: “J’ai participé dernièrement à une réunion avec des responsables d’un grand équipementier européen. Ils m’ont indiqué qu’ils n’attendaient pas d’embellie avant juillet 2022…” Dans l’attente, les entreprises devront continuer à faire preuve d’agilité et d’imagination pour poursuivre leurs activités, quitte à en reporter certaines avec la compréhension de leurs clients, pour une grande part également concernés.

13%

des répondants ont affirmé avoir subi une annulation de commandes cette année, contre 38% en 2020.

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La solution numérique

Accélérer la numérisation de l’entreprise demeure la première leçon que les exportateurs tirent de la crise sanitaire et de ses prolongements sur l’approvisionnement. “C’est comme pour le télétravail ou la nécessité de diversifier ses fournisseurs, la situation exceptionnelle a ouvert l’esprit de beaucoup d’entreprises”, résume Olivier de Wasseige, qui cite en clin d’oeil cette maxime de Churchill: “Never waste a good crisis” (Ne gaspillez jamais une bonne crise). “Faire l’aller-retour en avion dans la journée pour un conseil d’administration, je crois qu’on ne le fera plus, dit Nabil Jijakli. Les téléconférences sont bien plus efficaces pour le travail quotidien. Mais elles ne remplaceront pas les vrais contacts pour les brainstormings et les réflexions stratégiques.”

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Même pour les événements, le numérique s’est révélé bien plus qu’un pis-aller. Isabelle Grippa se réjouit ainsi de la formule hybride, imaginée pour le salon Eat Brussels qui proposait notamment des dégustations à distance. “Il y a eu beaucoup plus d’acheteurs, venant d’un peu partout et qui n’auraient sans doute pas fait l’investissement d’un déplacement à Bruxelles, dit-elle. De même, à l’international, des plateformes ont été créées pour ‘matcher’ au mieux les partenaires potentiels. Ce sont de nouveaux outils pour développer le commerce international.” Il ne s’agit pas de remplacer les missions et les contacts directs mais d’apporter un outil supplémentaire. “Les relations commerciales sont très liées à la culture, poursuit Isabelle Grippa. Certains ont besoin de temps pour construire la confiance et des relations humaines. D’autres se limitent à l’utilitaire, à l’efficacité directe.” Elle constate en tout cas un record d’inscriptions pour les missions économiques à venir après deux ans d’arrêt.

DOMINIQUE DUHAYON, ADMINISTRATEUR DÉLÉGUÉ
DOMINIQUE DUHAYON, ADMINISTRATEUR DÉLÉGUÉ “Il y a encore un flottement mais le retour à la normale se dessine.”© PG

“Nous avons cherché d’autres composants”

Pour pallier le manque de composants et de pièces, la société active dans l’e-santé a préféré les remplacer afin de pouvoir honorer ses commandes auprès sa clientèle de maisons de repos et d’hôpitaux.

Fondée en 2006 par Dominique Duhayon, Intersysto est active dans un secteur qui connaît une belle croissance: l’e-santé. Implantée à Froyennes (Tournai), l’entreprise a développé des solutions qui permettent à l’ensemble des intervenants d’une maison de repos ou d’un hôpital de partager les informations concernant une personne âgée, malade ou fragile. Elle travaille notamment avec des institutions telles que le CHwapi à Tournai, l’ISPPC à Charleroi ou encore le Centre hospitalier Epicura à Boussu. “En pratique, l’application utilisée via une tablette placée dans la chambre du patient permet au personnel soignant ou d’entretien d’indiquer ce qu’ils ont fait ou doivent encore faire. C’est cette transversalité et cette pluridisciplinarité qui nous distinguent sur le marché”, précise Dominique Duhayon.

Des solutions grâce à la R&D

Intersysto s’est retrouvée aux premières loges lors de la crise sanitaire et a vu ses activités bouleversées dès le premier confinement. “Après le 13 mars de l’année dernière, il n’y a plus eu de beaucoup de business qui est rentré, confirme le CEO. Nos 14 collaborateurs ont néanmoins continué à travailler. Nous avons aidé nos clients à passer le cap. L’activité a heureusement redémarré depuis six mois et nous nous efforçons de remplir les contrats que nous n’avons pas pu effectuer l’année dernière.”

Pour réaliser ses installations, Intersysto a également besoin de divers composants car l’entreprise ne développe pas seulement des logiciels, elle assemble elle-même ses propres équipements. Mais c’est ici que le bât blesse. Pour plusieurs éléments, Intersysto a dû composer avec des délais de 52 semaines et certains ont vu leur prix exploser de 5 à 40 euros.

“Nous nous sommes alors tournés vers des composants un peu plus chers mais disponibles, explique Dominique Duhayon. Cela a été rendu possible grâce à un effort R&D en interne car nous avons la maîtrise complète de nos processus. Nous avons également rencontré un souci avec les poires d’appel mais nous avons trouvé un autre fournisseur. Les coûts supplémentaires ont été partagés avec nos clients. Pour le moment, il reste juste un problème avec les équipements qui doivent être placés aux portes d’entrée des maisons de retraite pour la gestion des fugues. Les délais sont plus importants et nous devons prendre patience.”

Le dirigeant n’est toutefois pas trop inquiet pour la suite: “J’ai l’impression que la situation se régularise progressivement. Certains approvisionnements ne posent plus problème. Il y a encore un flottement mais la tendance au retour à la normale se dessine”.

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