Onno van de Stolpe (Galapagos): “Pourquoi ne vaudrions-nous pas un jour 50 milliards d’euros?”

© Karel Duerinckx

Galapagos fête ses 20 ans d’existence. Son CEO, Onno van de Stolpe, moteur de la réussite de l’entreprise biotechnologique belgo-néerlandaise, dresse le bilan et évoque son avenir et celui l’entreprise. ” J’ai cloué le bec aux critiques “, assure ce biologiste de formation, pas tendre avec l’industrie du ” big pharma “.

Le culte que vouent les investisseurs de la première heure à Onno van de Stolpe ne date pas d’hier. Mais depuis la publication d’étonnants résultats finaux d’essais cliniques pour le filgotinib – un candidat médicament pour le traitement des rhumatismes – il y a quelques mois, le Néerlandais de 59 ans est salué de toutes parts. Ces résultats ouvrent en effet la voie à la mise sur le marché du premier médicament de Galapagos, qui lui permettra d’engager la lutte avec le Humira, le médicament le plus vendu au monde. De plus, la probabilité que le filgotinib puisse également être utilisé dans d’autres maladies s’accroît à vue d’oeil, alors que Galapagos dispose d’un pipeline aussi étendu que prometteur.

J’ai toujours affirmé que nous deviendrions la plus grande entreprise biotechnologique d’Europe. Et c’est ce qui va arriver.

En juillet dernier, Onno Van de Stolpe a bétonné la relation à long terme qu’il a nouée avec le groupe pharmaceutique américain Gilead. Ce dernier injectera 4,5 milliards d’euros dans Galapagos en échange d’une augmentation de sa participation dans l’entreprise biotechnologique et d’un accès à tous ses actifs. Mais, surtout, Gilead promet de ne pas lancer d’offre sur Galapagos au cours des 10 prochaines années, ce qui a longtemps été la grande crainte du CEO. Cet accord, le deal le plus spectaculaire dans l’histoire des biotechnologies, constitue le couronnement de sa vie professionnelle.

TRENDS-TENDANCES. Comment gardez-vous les pieds sur terre ?

ONNO VAN DE STOLPE. Beaucoup apprécient ce que j’ai réalisé en 20 ans. Même si la publicité déclenche parfois des réactions étonnantes. Récemment, j’assistais à un concert à Amsterdam et alors que je me dirigeais vers le bar, des gens ont demandé à mon amie si j’étais le Van de Stolpe de Galapagos. Un peu plus tard, un autre couple est venu demander un selfie. Maintenant, cela ne va pas plus loin. Je n’ai pas besoin de devenir une vedette en Belgique ou aux Pays-Bas. Nous avons choisi de me profiler parce que nous devions vendre un produit compliqué et qu’au moment de notre entrée en Bourse, nous n’avions pas de résultats concrets à même de convaincre quelqu’un d’investir. Fondamentalement, une entreprise biotechnologique doit vendre un rêve. Mais Galapagos ne se résume pas à Onno. C’est avant tout l’oeuvre des scientifiques. Je ne suis que le lubrifiant qui permet à la machine de tourner.

Le CEO d’une biotech doit également être à la fois un paratonnerre et un vendeur hors pair ?

Les CEO qui parcourent avec succès l’ensemble du trajet, de la start-up à la commercialisation, sont finalement peu nombreux. Mais je suis très ambitieux. J’en veux toujours plus, voir plus grand, plus vite. Je place la barre très haut. Et cela a très bien fonctionné. J’ai constitué des liens de confiance avec les investisseurs dès notre entrée en Bourse en 2005. Nous n’avons jamais entrepris d’opérations bizarres, jamais procédé à des augmentations de capital moyennant d’importantes décotes. Et j’ai peu à peu acquis ce statut de héros. Désormais, si je veux lever 400 millions demain matin, l’opération est bouclée le soir même. Parce que tout le monde aura confiance dans le bien-fondé de ma décision.

Vous utilisez sans cesse le slogan ” Think big “. Vous courez le risque d’être accusé d’arrogance.

Oui. De nombreux CEO sont beaucoup plus prudents, alors que j’ai toujours affirmé que nous deviendrions la plus grande entreprise biotechnologique d’Europe – et c’est ce qui va arriver (aujourd’hui, seuls les Danois de Genmab précèdent encore Galapagos, Ndlr). Nous voulons rejoindre le top 10 mondial. Ce n’est pas de l’arrogance. Nous avons trois blockbusters potentiels (médicaments qui rapportent plus d’un milliard de dollars par an, Ndlr) dans le pipeline et nous avons la capacité de dépasser UCB. Si on compare leur pipeline au nôtre, il ne faut pas avoir étudié la biologie pour voir quel est le plus prometteur. Genmab dispose d’un produit fantastique, et Jan van de Winkel (le CEO de Genmab, Ndlr) est un excellent CEO, mais son pipeline n’est pas comparable au nôtre, et il le sait.

Il y a 10 ans, “Trends-Tendances” titrait : ” L’optimisme inébranlable d’Onno “…

J’ai toujours eu cet optimisme. Chaque CEO devrait l’avoir, sans quoi il est impossible de tenir la distance. Mais j’ai été souvent plus ouvert que d’autres CEO sur ce que nous pensions pouvoir réaliser, et jusqu’à présent, nous avons atteint nos objectifs. Mais selon moi, ce n’est encore que le début. Ce que nous avons à présent dans le pipeline est si bon que nous devons encore accélérer notre croissance. J’ai encore gagné en arrogance.

Vous voulez même devenir plus grand que Philips.

Il faut utiliser des guillemets quand on fait une telle déclaration. En Belgique, on parle d’UCB ; aux Pays-Bas, l’icône, c’est Philips. Mon père a été directeur de recherche chez Philips et ma soeur y est conseillère scientifique. Cela m’amuse de lancer de temps à autre des affirmations de ce type.

Plus grand que Philips, cela signifie que la capitalisation boursière de Galapagos doit quintupler.

Il n’y a aucune raison de penser que nous n’y arriverons pas. Certains pensent que nous sommes arrivés au bout de notre croissance parce que nous valons aujourd’hui 9 milliards d’euros. Mais on disait la même chose quand nous valions 1 milliard. Pourquoi n’atteindrions-nous pas les 50 milliards ? Notre base scientifique est si solide qu’en dehors de ce que nous avons déjà, plusieurs nouveaux programmes de recherche vont encore porter leurs fruits. Toledo (un programme de recherche consacré à une nouvelle catégorie de médicaments contre les maladies infectieuses, Ndlr) est un bon exemple de produit de nouvelle génération qui est déjà bien meilleur que tout ce que nous avons vu jusqu’à présent dans les maladies infectieuses. Certes, je ne peux pas garantir qu’il sera finalement mis sur le marché, car ces produits doivent également être efficaces et sûrs. Mais nous avons déjà tant. Il est peu probable que nos quatre candidats produits arrivent sur le marché. Mais s’ils le font tous les quatre, ce seront quatre blockbusters. Dans ce cas, nous serons uniques, car aucune entreprise ne possède quatre blockbusters. Si ce n’est le cas que de deux d’entre eux, nous aurons déjà plus de succès que la plupart de nos concurrents. S’il y en a trois, nous serons une des plus grandes réussites entrepreneuriales au monde. Je n’ai aucune raison de jouer les modestes. Nous avons ce potentiel.

Qu’y a-t-il donc dans ce pipeline ?

L’an prochain, nous investirons beaucoup d’argent dans Toledo. Cela reste un programme précoce d’essais cliniques de phase II, mais il y a en sept simultanément. Cela ne s’est jamais produit dans l’industrie pharmaceutique. Nous les porterons le plus vite possible en phase III pour nous forger une avance maximale sur la concurrence. Quand nous dévoilerons la cible – la protéine contre laquelle le principe actif constitue la base d’un nouveau médicament – tout le secteur pharmaceutique aura les yeux braqués sur nous.

On connaît votre aversion innée envers le ” big pharma “…

(il interrompt) Pas innée, acquise… Je ne suis pas un homme de médicaments, je suis un biologiste des plantes. Cette aversion m’est venue parce que j’ai remarqué que de grandes entreprises pharmaceutiques prenaient systématiquement de mauvaises décisions et ne faisaient pas de l’innovation une priorité, et qu’elles préféraient fabriquer des produits moins risqués plutôt que prendre l’initiative dans un programme innovant.

Onno van de Stolpe (Galapagos):
© Karel Duerinckx

Cette aversion s’est-elle amplifiée quand d’anciens partenaires comme les entreprises GSK et AbbVie vous ont lâché ?

Je ne veux pas citer de nom. Mais je peux dire que nos alliances en sont à l’origine. Nous nous sommes alliés avec presque tous les géants de l’industrie pharmaceutique, et tous nous ont abandonnés. Après une fusion ou une organisation, ou le départ d’un manager… Et ils nous ont lâchés alors qu’ils avaient signé pour nous accompagner pendant 10 à 15 ans.

Daniel O’Day, le CEO de Gilead, vient aussi du ” big pharma “. Il a longtemps travaillé pour Roche.

Je ne dis pas que les gens qui travaillent pour le big pharma se trompent, je dis que le big pharma se trompe. La moitié de notre organisation provient du big pharma, mais c’est la bonne moitié, des gens qui n’ont pas trouvé ce qu’ils cherchaient dans le big pharma.

Pourquoi cet accord avec Gilead ?

Personne ne doute du fait que Galapagos est en avance sur Gilead dans l’innovation, pas même Daniel O’Day. Galapagos, c’est l’innovation ; Gilead, le développement. Ces derniers mois, il a conclu 15 deals avec des entreprises biotechnologiques pour absorber de l’innovation. Il n’y a rien de mal à cela.

Vous avez convenu avec son CEO que Gilead ne lancerait pas d’offre sur Galapagos au cours des 10 prochaines années.

La perspective d’une telle offre m’inquiétait, alors que certains investisseurs avaient plutôt tendance à l’espérer (il sourit). J’avais identifié depuis longtemps cette possibilité de renforcer notre alliance avec Gilead en échange de notre indépendance. Et nous avons expliqué à Gilead que nous mettrons tout en oeuvre pour nous opposer à une acquisition et que nos innovations ne pourraient simplement pas s’épanouir dans une entreprise de la taille de Gilead.

Qu’avez-vous pensé des investisseurs qui auraient préféré que Galapagos soit rachetée ?

Personne n’a osé me le dire en face (il rit). Un investisseur – et surtout un manager de hedge fund – qui peut empocher une prime de 80 à 100% a déjà atteint ses objectifs annuels. C’est attrayant pour les investisseurs, du moins à court terme. Mais voyez l’évolution du cours : finalement, nous avons eu bien raison de ne pas vendre à 12, 24, 50 ou 100 euros, non ?

Sur ces 20 dernières années, n’avez-vous aucune once de regret ? L’impression d’avoir manqué une occasion ?

Bien sûr. Pendant des années, j’ai essayé de racheter Genmab. A l’époque, elle ne valait presque plus rien. Genmab et nous avions un partenariat avec GSK. J’ai proposé à GSK qu’ils rachètent Genmab et que nous reprenions l’ensemble de l’organisation de recherche. GSK aurait conservé les droits sur l’Arzerra, le médicament contre le cancer que Genmab avait développé. Ç’aurait été un très bon deal. Nous avons également discuté d’autres acquisitions dont il s’est avéré par la suite qu’elles auraient constitué d’énormes réussites. Mais nous avons également évoqué des cibles dont il s’est avéré a posteriori qu’elles n’avaient rien à offrir. Je ne choisis pas uniquement les gagnants.

Ablynx est-elle une de ces cibles potentielles ?

Nous avons discuté. Ed (l’ancien CEO Edwin Moses, Ndlr) et moi avons dîné ensemble il y a six ou sept ans, pour évoquer ce que pouvait apporter l’ensemble, mais aussi parce que les cours de nos actions restaient très bas et que nous n’en étions pas satisfaits. Si nous avions fusionné, nous aurions eu plus de corps. Cela ne s’est pas fait. Je pense que son conseil d’administration n’était pas d’accord.

Nous nous sommes alliés avec presque tous les géants de l’industrie pharmaceutique, et tous nous ont lâchés.

Vous êtes en pleine forme, mais vous fêterez vos 60 ans en octobre. Le lancement du filgotinib contre le rhumatisme sera-t-il également le bon moment pour céder le flambeau ?

Cela se pourrait. D’un autre côté : Toledo est aussi un programme spectaculaire que j’aimerais voir arriver à maturité. Et je voudrais encore un peu accompagner 1690 (le programme de développement de médicaments contre la fibrose pulmonaire idiopathique, une maladie rare du poumon, Ndlr). Ce sont mes bébés. Mais mon rôle sera réduit. Bart Filius (le COO et CFO, Ndlr) a repris de nombreuses activités opérationnelles. Je me concentre sur les relations avec les investisseurs et la stratégie. Cela me facilite la vie.

Jan De Kerpel (de la société de Bourse Kempen), un de vos conseillers financiers depuis des années, estime que des CEO comme vous ont l’obligation morale de tirer l’ensemble du secteur. Vous voyez-vous dans un tel rôle ?

Je tire le secteur en dirigeant Galapagos et je démontre que je suis un grand partisan du développement autonome d’une entreprise jusqu’à des altitudes élevées, sans la faire racheter. C’est surtout là que réside mon rôle. Je ne suis pas le grand homme qui dirigera FlandersBio (la fédération du secteur biotechnologique flamand, Ndlr). Ce n’est pas mon truc. Même si je veux bien discuter et participer aux réflexions sur l’orientation que doit prendre le secteur dans le Benelux. Mais là aussi, je dirai qu’il faut se montrer encore plus ambitieux.

Faites-vous également référence à Ablynx, qui a été rachetée par Sanofi ?

Edwin s’était retrouvé dans une position assez impossible quand l’offre hostile de Novo Nordisk est arrivée sur la table et les actionnaires ont jugé qu’il fallait l’accepter. Il a tenté d’obtenir la meilleure offre possible. Il l’a fait de manière assez sublime, mais il a perdu son entreprise. Il faut donc avant tout éviter qu’une telle offre hostile soit lancée. Je ne sais pas s’il aurait pu y parvenir. Il ne s’est d’ailleurs jamais aussi explicitement prononcé en faveur de l’indépendance que je l’ai fait. Mais que les choses soient claires : je ne trouve pas qu’Edwin a manqué d’ambition. C’est plutôt un reproche adressé aux petites entreprises biotechnologiques. Je n’entends presque personne dire : nous allons devenir plus grands que Galapagos. Moi, je n’aurais pas hésité.

Parfois, on ne contrôle pas son succès…

On ne contrôle pas son succès ? On est CEO, on fait en sorte de contrôler son succès.

Prenez ThromboGenics, désormais Oxurion. Elle a mis un produit sur le marché, et a périclité quand les ventes n’ont pas suivi.

Oui, mais ils ont probablement manqué la commercialisation. Kempen avait prédit leur déclin assez vite après le lancement du produit. Alors, je me dis : si même Kempen a pu le deviner… Je trouve inquiétant que le lancement aux Etats-Unis ait été basé sur des postulats erronés. Manifestement, ils se sont fait conseiller par de mauvaises personnes. Ce n’est pas bon pour la confiance dans le secteur. Un management doit être réaliste sur les attentes, et clairement identifier les risques. Quand je parle du produit fantastique qu’est Toledo, ma deuxième phrase est toujours : si la toxicité ne tue pas le programme.

Quel est le secret d’une si longue carrière de CEO ?

Je ne m’inquiète pas si l’action perd 10%. Oui, cela m’ennuie, mais cela ne me stresse pas. Je me dis que c’est une bonne fenêtre d’entrée pour les investisseurs intéressés…

Est-il des choses qui vous mettent en colère ?

Oui, surtout des aspects liés à la culture. Quand on enregistre une croissance rapide, on engage également des gens qui viennent d’un autre nid. Quand ils ont passé 15 ans dans l’industrie pharmaceutique, il est moins facile de leur inculquer la culture Galapagos. Lorsque j’observe des choses qui ne me conviennent pas dans les procédures ou les réunions, je peux toujours entrer dans une colère noire. Même si c’est moins fréquent qu’avant. Je suis une personne assez émotive.

Repères

– Né le 25 octobre 1959 à Geldrop, Pays-Bas

1978-1986 : étudie la biologie moléculaire de virologie et le ” business management ”

1985 : ” business consultant ” à Djakarta, Indonésie

1985 : ” research associate ” pour Biogen, Cambridge, Massachusetts

1987 : ” manager business development ” pour Mogen International NV, Leyde

1990 : directeur régional de la Netherlands Foreign Investment Agency, Los Angeles

1994 : ” managing director molecular ” de Probes Europe BV, Leyde

1998 : ” managing director genomics ” pour Introgene (rebaptisée ensuite Crucell), Leyde.

1999 : CEO de Galapagos

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