Paul Vacca

Netflix: le code a changé

Paul Vacca Romancier, essayiste et consultant

Au lieu d’alimenter la machine à rêves auprès des spectateurs, Netflix a apporté une réponse comptable pour les investisseurs.

La chute, même drastique, de son cours de Bourse ne signe évidemment pas la fin de Netflix. En revanche, elle semble bien augurer de la fin d’une époque: celle de son âge d’or. En effet, comme de nombreux observateurs l’ont souligné, la perte de 200.000 abonnés n’est pas forcément inquiétante en soi, surtout que 700.000 perdus sont imputables à la fermeture de la filiale russe. Un peu plus préoccupante pourrait être la prévision de perte de 2,5 millions abonnés dans les six prochains mois, si elle venait à se réaliser. Mais cela resterait somme toute mesuré au regard de son portefeuille de 221 millions abonnés dans le monde.

Ce qui semble signaler la fin d’une époque, c’est plutôt la réaction de Netflix face à cette légère érosion de ses abonnements. Là où l’on aurait pu s’attendre à ce que la plateforme minimise son impact et fasse saliver les actuels et futurs abonnés par la promotion de nouveaux programmes à venir, sur le mode du show must go on, l’entreprise n’a fait que multiplier les signes en direction des marchés. Au lieu d’alimenter la machine à rêves auprès des spectateurs, elle a apporté une réponse comptable pour les investisseurs: ouverture probable à la publicité (ce que la plateforme se refusait même d’envisager jusqu’à présent), chasse aux partages de comptes (alors qu’elle a allégrement fermé les yeux sur cette pratique qui l’arrangeait) et rationalisation des budgets de production, etc.

Par ses mesures, le géant du streaming laisse ainsi à penser que le problème est bien plus d’ordre structurel que simplement conjoncturel. Il est vrai que la guerre des contenus dans laquelle il s’est engagé a changé de nature depuis l’irruption tonitruante des autres acteurs du streaming (Disney+, HBO Max et consorts). Mais ces mesures actent surtout la fin d’un modèle.

Car dans cette guerre des contenus, la firme de Los Gatos jouait jusqu’alors clairement une partition made in Silicon Valley. Un modèle disruptif qui surfait sur la valorisation pour financer sa course aux contenus. Le modèle, c’était celui bien connu de l’ubérisation: un système qui vise l’autosuffisance avec pour seule règle de ne pas avoir de règles (pour reprendre le titre du livre de Reed Hastings) afin de déstabiliser le marché.

Mais depuis le début de l’année, la fonte de sa valorisation sonne comme un appel à la realpolitik. Netflix se rend compte que la guerre des contenus qu’il a initiée ne serait pas une guerre-éclair. ” If you can’t beat them, join them“, disent les Américains (si vous ne pouvez pas les battre, rejoignez-les). Face à cette nouvelle donne, Netflix se trouve contraint de changer de code de conduite. Non pas en pivotant mais en déplaçant son modèle à quelque 300 miles plus au sud: en passant des codes de la Silicon Valley à ceux qui ont cours à Hollywood.

La nouvelle stratégie de Netflix qui consiste à rationaliser sa production, à faire des choix au lieu d’investir tous azimuts, à construire un catalogue dans le temps et à fidéliser au lieu d’ubériser, c’est finalement l’art de la guerre qu’Hollywood pratique depuis 1910. Une guerre tout aussi féroce mais qui demande d’autres armes: moins autarcique, moins frontale, à géométrie variable suivant les projets où l’on peut être à la fois concurrent et partenaire. Bref, le nouveau défi pour la plateforme est tout autant économique que culturel.

A la fin de Chinatown, le film de Roman Polanski, chef-d’oeuvre du Nouvel Hollywood, Jake Gittes le détective franc-tireur joué par Jack Nicholson, est appelé au réalisme par son associé: “Forget it Jake. It’s Chinatown”. Une phrase qui pourrait résonner pour Reed Hastings, le maverick de Netflix: “Forget it Reed. It’s Hollywood”.

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