Multipharma: “Nous sommes bien plus que de simples fournisseurs de pilules”

GEERT REYNIERS, CEO "La numérisation est de nature à renforcer la complémentarité de première ligne." © CHRISTOPHE KETELS

Entre fourniture de services et accroissement d’échelle, l’équilibre n’est pas facile à trouver. Depuis la modernisation de ses installations logistiques, Multipharma se profile davantage en acteur de première ligne. Grâce à la crise du covid, notamment.

A la mi-juin, Multipharma a lancé sa nouvelle application smartphone. Sans fanfare ni trompette car pour la chaîne coopérative, internet n’est pas le canal dominant de demain. “C’est tout sauf une manoeuvre d’e-commerce, lance le CEO, Geert Reyniers. Notre appli se veut une vitrine numérique offrant les mêmes services que nos pharmacies. La nouvelle application permet d’envoyer des prescriptions et de chatter avec le pharmacien de son choix. Tous les produits disponibles en ligne sont au même prix qu’en pharmacie car nous voulons nous profiler non pas en discounteur mais en prestataires de soins proprement dit.”

Début 2021, Geert Reyniers (57 ans) a pris la relève de Francis Colaris à la tête de la plus grande coopérative de pharmacies du pays, jusque là dirigée de main de maître par Fabienne Bryskere. Qui dit changement de direction, dit recentrage des priorités. Fabienne Bryskere avait privilégié la modernisation de l’appareil logistique. Le nouveau CEO, lui, met un point d’honneur à revaloriser le rôle du pharmacien, maillon essentiel de première ligne. “624 de nos 1.800 collaborateurs sont pharmaciens, argumente Geert Reyniers, également pharmacien de formation. Je ne cesse de le répéter: nous sommes bien plus que de simples fournisseurs de pilules. Notre mission principale consiste à conseiller et à assurer des soins pharmaceutiques.”

Marché en mutation

Ce recentrage n’est pas le fruit du hasard. Le secteur des pharmacies est en mutation. Le marché belge compte quatre grandes catégories: les indépendants, les groupes coopératifs comme Multipharma, les chaînes au caractère commercial plus marqué comme Lloyds et MediMarket et, depuis quelques années, les pharmacies en ligne du genre Farmaline et Newpharma.

La grandeur d’échelle devient essentielle. Quant au nombre de pharmacies, il baisse. Sur les 5.500 licences décernées dans le cadre de la loi sur l’établissement des officines, seules 4.675 pharmacies sont actives. “Le nombre d’officines diminue mais chacune d’elles a tendance à grossir”, constate Geert Reyniers, une tendance qui s’observe chez Multipharma également. La coopérative reprend chaque année un certain nombre de pharmacies et réorganise son réseau. Multipharma compte actuellement 246 pharmacies et deux centres de Préparation de médication individuelle (PMI). Ce service, qui consiste à déconditionner les médicaments pour les regrouper en un seul conditionnement fermé pour administration individuelle s’adresse principalement aux patients des résidences de soins. Mais c’est aussi un service gratuit pour les 670.718 coopérants. Multipharma fournit ces conditionnements personnalisés à près de 25.000 patients de centres de soins et d’institutions. S’ajoute en outre l’activité de grossiste, centralisée au site de distribution de Leeuw-Saint-Pierre qui héberge un stock de 12.500 références et dispatche quotidiennement 100.000 sachets vers 295 pharmacies.

Par ailleurs, les pharmaciens voient leur marge de vente légalement plafonnée diminuer du fait de la tendance aux grands conditionnements. Cette pression sur la rentabilité favorise l’accroissement d’échelle et entraîne un glissement des revenus. Les marges en pourcentage sont remplacées par un mix de pourcentages sur le prix des médicaments et les honoraires pour certains services. Exemple: le rôle du pharmacien de famille qui consigne les changements de traitement dans le dossier des patients. Dans certains cas, le suivi des patients diabétiques et asthmatiques fait déjà l’objet d’honoraires de pharmacien.

De nombreux pharmaciens misent en outre sur l’élargissement de l’offre aux produits de parapharmacie pour compenser les marges réduites dans le segment des médicaments sur prescription. “Multipharma est plutôt atypique à cet égard, remarque Geert Reyniers. Environ 60% de notre chiffre d’affaires est toujours généré par les médicaments prescrits et 20% par les médicaments en vente libre. La proportion de produits cosmétiques et de parapharmacie reste donc assez modeste. Vu la concurrence acharnée des pharmacies en ligne, nous ne privilégions pas ce segment. Ce n’est pas le coeur de notre métier, tout simplement. Nous sommes des prestataires de soins. En revanche, nos officines proposent des cosmétiques très spécialisés, par exemple une gamme de produits solaires pour personnes à la peau hypersensible. Ou encore des aliments pour bébé. Certaines marques sont disponibles en supermarché mais vous trouverez chez nous un assortiment de produits destinés aux bébés souffrant d’allergies et d’intolérances.”

L’impact du covid

D’après les chiffres annuels de Multipharma pour 2021, la chaîne semble avoir tourné la page covid. De 460,6 millions en 2020, le chiffre d’affaires est passé à 472,8 millions l’an dernier. Les bénéfices ont eux aussi grimpé de 11 millions, une hausse que Geert Reyniers s’empresse de relativiser. “L’impact du confinement s’est encore fait sentir l’an dernier, précise-t-il. Mais cette année, tout devrait rentrer dans l’ordre.” Petite précision de Multipharma lors de la publication de ses chiffres annuels: ses résultats opérationnels ont pu être améliorés grâce à la bonne gestion des dépenses et à l’automatisation poussée au dépôt de Leeuw-Saint-Pierre notamment. “La marge dépend aussi essentiellement de nos achats, ajoute Geert Reyniers. Notre dépôt fournit un peu moins de 10% de l’ensemble des médicaments en Belgique. Nous bénéficions donc d’une certaine marge de négociation auprès de nos fournisseurs.”

La pandémie a donné l’occasion aux pharmaciens de jouer un rôle important de première ligne, une carte que Geert Reyniers n’hésite pas à jouer. L’an dernier, la chaîne a effectué 95.000 tests antigéniques, vendu 600.000 autotests et participé à la préparation des vaccins. Cette année, les pharmaciens ont même collaboré à la campagne de vaccination. Le projet Pharma-on-Tour, une initiative de la Région bruxelloise, offrait aux citoyens la possibilité de se faire vacciner en pharmacie. La vaccination elle-même était initialement effectuée par un médecin. Mais depuis quelques mois, les pharmaciens ayant suivi une formation spécifique peuvent eux aussi vacciner. Depuis, ce service est proposé dans une dizaine d’officines Multipharma.

Au départ, cette initiative a provoqué pas mal de grincements de dents de la part des syndicats de médecins. Geert Reyniers relativise: “Dans la pratique, il n’y a pas de problèmes. Nous sommes véritablement complémentaires. En fait, nous soulageons la charge de travail des généralistes débordés. Nous visons aussi un autre groupe cible. Nous vaccinons parfois dans nos officines des personnes qui se font vacciner pour la première fois de leur vie. L’accessibilité de ce genre de service – pas de consultation payante en pharmacie – est primordiale.”

Pour la plupart des Belges, le pharmacien est de toute façon déjà un acteur de première ligne, selon une enquête menée par Test-Achats en octobre 2021. Deux personnes interrogées sur trois y estimaient que le pharmacien devait avoir accès à l’ensemble du dossier médical du patient. “La numérisation est de nature à renforcer la complémentarité de première ligne, observe Geert Reyniers. Le pharmacien de demain est un consultant santé qui fourni des médicaments mais prodigue aussi des conseils pour améliorer l’adhésion au traitement et optimise le dossier pharmaceutique. Qui peut ensuite être partagé en ligne avec d’autres prestataires de soins…”

246 pharmacies

font partie du réseau de Multipharma.

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