Mode et chaussures : l’invasion numérique

L’allemand Zalando et le britannique Marks & Spencer s’attaquent au marché belge sur Internet. L’offre en chaussures et en articles de confection est en train d’exploser en ligne. Au détriment des e-commerçants belges ? Pas forcément.

Inutile d’affronter les parkings bondés et les files interminables aux caisses pour profiter des soldes. Cet hiver, les soldes en ligne n’ont jamais été aussi abondants. Les offres ont été dopées par la véritable ruée de grands acteurs internationaux de l’e-commerce dans la mode et la chaussure en particulier.

L’arrivée la plus spectaculaire est celle de Zalando. Cette start-up allemande, basée à Berlin, a ouvert en avril dernier un site belge, bilingue acceptant même les paiements Bancontact/MisterCash. Elle s’est fait connaître à grands renforts de publicité, y compris des spots télévisés. “C’est dingue ce qu’ils dépensent, sans doute des millions d’euros” observe, estomaqué, un acteur du marché de la mode en Belgique.

Cet automne, Marks & Spencer est revenu, quant à lui, sur notre territoire via un e-shop belge et moyennant une importante campagne de pub en ligne. Zalando et M&S avaient été précédés chez nous par des acteurs français comme Spartoo et Sarenza.

La Belgique pourrait rattraper son retard

Cette déferlante bouscule le marché belge de la mode, et celui de l’e-commerce jusqu’ici plutôt boudé par les grands acteurs internationaux. Amazon est présent chez nous, notamment à travers son site français, et livre gratuitement, mais n’a pas mis sur pied de site belge bilingue. Certains services et produits disponibles en France ne le sont d’ailleurs pas en Belgique, comme la tablette Kindle Fire.

“L’arrivée de ces e-commerçants internationaux devrait avoir un effet stimulant sur l’e-commerce en Belgique”, estime Carine Moitier, COO de Bivolino, un site vendant des chemises sur mesures, et administratrice de BeCommerce, l’association des entreprises de vente à distance (en ligne ou non). Notre pays ne se situe en effet pas dans le peloton de tête en matière d’achats sur Internet. Selon Euromonitor International, les achats par habitant s’élevaient en 2011 à 239 dollars en Belgique contre 398 en France ou 723 au Royaume-Uni. “Ce retard était dû à un problème d’offre faible. Il est en voie d’être résolu, avec la multiplication des vendeurs” poursuit Carine Moitier. Be Commerce évalue le marché belge du commerce en ligne à 1,52 milliard d’euros en 2012, avec une hausse de presque 12 %.

Presque 50 % des ventes de Cameleon sur le Net

“Depuis l’arrivée de Zalando en Belgique, nous avons ressenti une forte augmentation de la fréquentation de notre webshop”, observe Barbara Torfs, marketing manager de la chaîne de 66 magasins de chaussures Torfs, basée à Saint-Nicolas, qui a lancé un magasin en ligne en 2012.

L’un des exemples les plus nets de l’appétit croissant de nos compatriotes pour les achats sur le Web est Cameleon, spécialiste des ventes privées de marques, qui possède trois magasins (Woluwe-Saint-Lambert, Ixelles, Genval). “L’an dernier, près de la moitié de nos ventes se réalisaient en ligne”, indique Augustin Wigny, CEO de Cameleon. Famous Clothes, la société qui gère les magasins Cameleon et ses activités en ligne, réalisait en 2011 un chiffre d’affaires de 43,5 millions d’euros. L’e-commerce connaît chez Cameleon une croissance de plus de 80 % l’an. Les ventes web y sont organisées à travers deux sites : Snapstore.be, qui effectue des ventes “flash”, et Famousbox.be, un magasin plus classique d’articles de mode. Le premier assure la plus grande partie des ventes. La vitesse à laquelle les articles partent est surprenante. “Une offre sur des chaussures, par exemple, peut partir en quelques heures, avec des milliers de pièces vendues.” Les amatrices de bottes Ugg en savent quelque chose… Internet permet à Cameleon d’élargir sa zone de chalandise. Un magasin ne couvre guère qu’un rayon de 30 km à la ronde. Avec Snapstore.be et Famousbox.be, l’enseigne couvre tout le pays. Et au-delà, car la société possède aussi un site aux Pays-Bas, Shopvip.com.

Le modèle Zappos maintes fois copié

Le succès de la vente de chaussures peut paraître surprenant sur Internet, car ce type d’article implique en principe un essayage. Mais la vente sur le Web présente plusieurs avantages. Les prix peuvent être très attractifs et, surtout, le choix dépasse tout ce qu’une vaste boutique peut offrir. “Cela se vend aisément sur le Web, les gens connaissent les marques et leur taille, explique Augustin Wigny. Puis, ils peuvent renvoyer l’article s’il ne convient pas. Pour les chaussures, le taux de retour est inférieur à la moyenne, laquelle se situe entre 10 % et 12 %.” D’après Morgan Stanley, les chaussures et les vêtements sont en effet les marchandises que les consommateurs sont les plus susceptibles d’acheter sur le Net, après les livres et l’électronique grand public.

Ce marché a été initié par une entreprise américain, Zappos. Celle-ci a popularisé la vente de chaussures en ligne en proposant aux clients de renvoyer gratuitement la marchandise et de se faire rembourser. En Europe, plusieurs acteurs ont suivi le même modèle : Sarenza et Spartoo, deux services français nés à quelques mois d’écart, en 2005 et 2006. Mais la machine la plus impressionnante est le site allemand Zalando, né en 2008, financé par des spécialistes des “coups” financiers, les trois frères Samwer. Tout a commencé en 1999 par le lancement d’un site d’enchères allemand, Alando. Lequel a été revendu 100 jours après sa création à e-Bay pour 38 millions d’euros. Ces venture capitalists ont ensuite créé Rocket Internet, un fonds berlinois qui est le premier actionnaire de Zalando, avec 44 % des parts. L’entreprise, qui n’a pas de projet d’introduction en Bourse, attire pas mal d’investisseurs. J.P. Morgan Asset Management s’est ainsi offert en août dernier 1,3 % de Zalando. Cette dernière connaît une croissance importante. Elle a réalisé 510 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2011, chiffre qui aurait doublé en 2012.

La tornade Zalando

L’agressivité commerciale de Zalando dépasse largement celle des autres acteurs de la mode en Belgique. Certains soupçonnent la société, avare en chiffres, de chercher à croître à tout prix pour se revendre ensuite à un tarif alléchant. Il est vrai qu’Amazon a racheté Zappos aux Etats-Unis et a cherché ensuite à s’offrir un équivalent en Europe, en proposant aux français Spartoo et Sarenza de les racheter il y a trois ans. Les deux avaient refusé. Amazon a fini par lancer sa boutique de mode avec une marque spécifique, Javari, d’abord au Royaume-Uni, ensuite en France (couvre aussi le marché belge).

Mais rien de comparable à Zalando, qui couvre 14 pays et va s’implanter dans neuf autres en avril prochain. Javari se limite, comme Spartoo et Sarenza, aux chaussures et aux sacs, tandis que Zalando étend ses offres aux vêtements, aux cosmétiques, au linge de maison. Elle a suivi les traces d’Amazon en ouvrant, fin 2012, un énorme centre logistique à Erfurt, dans l’ex-Allemagne de l’Est, qui couvrira à terme 120.000 m². Et vient de poser la première pierre d’un autre centre à Mönchengladbach, près de la frontière belge, qui comptera 75.000 m² de stockage. Zalando se montre désormais la plus belge possible, en adhérant à l’association BeCommerce et affichant son label, un standard de qualité certifié par Veritas. Mais il n’y a pas de société en Belgique. Tout est géré depuis le siège de Berlin, où quelques Belges travaillent parmi le millier d’employés de la société.

Mais la machine allemande n’est pas la seule sur le terrain. Les français Spartoo et Sarenza occupent aussi une position forte. Le premier annonce 750 marques et plus de 30.000 modèles, le second, 642 marques. Le premier a levé en octobre dernier 25 millions d’euros de capital, dont une partie est venue d’une société belge, la Sofina (famille Boël). Au total, Spartoo a attiré 45 millions d’euros de capital depuis sa naissance.

Que reste-t-il aux Belges ?

Les machines internationales peuvent-elles mettre en difficulté les commerçants belges ? “Cela risque d’être très chaud sur le marché de la chaussure” estime Carine Moitier. Une véritable présence locale reste un atout. “Pour une partie des acheteurs, le fait de pouvoir ramener les marchandises à un magasin physique, de parler à quelqu’un, est rassurant”, estime Augustin Wigny, de Cameleon. Une chaîne de magasins peut aussi tirer parti d’un bon webshop. “Nos clients peuvent par exemple nous demander de mettre à leur disposition telle ou telle chaussure dans une taille précise, dans un magasin de leur choix. Internet permet ainsi d’élargir le choix” indique Barbara Torfs (magasins Torfs). Mais la cohabitation n’est pas si simple, car il est risqué de pratiquer des tarifs différents en ligne et dans les magasins. Les pure players comme Zalando ou Spartoo n’ont pas ce souci et peuvent rivaliser dans les promotions.

Puis la concurrence s’avère différente selon les segments. Cameleon est pour l’heure tranquille dans son business de déstockage de produits de marque. Son homologue et concurrent français, vente-privée.com, attaque mollement le marché belge. “Nous avons 150.000 membres en Belgique”, assure Laurent Sorbier, responsable du marketing international de ce site à grand succès, qui atteignait l’an dernier 1,3 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Nous n’avons pas de site proprement belge, bilingue, avec les moyens de paiement adaptés aux habitudes nationales. Pour ouvrir un service spécifique à la Belgique, on devrait s’organiser pour acheter des produits de mode en Belgique, ce qui n’est pas encore le cas.” Excès de modestie pour ne pas inquiéter la concurrence ? Vente-privée.com annonce tout de même son intention de lancer en 2013 un site en néerlandais pour mieux servir le marché.

Les commerçants belges pourraient aussi profiter de la situation spécifique de la Belgique. “Si vous couvrez le marché belge, et que vous travaillez en français et en néerlandais, vous pouvez aisément couvrir la France et les Pays-Bas”, relève Thomas Vande Casteele, managing director de Bagazoo, un webshop vendant des bagages. Il y a aussi moyen de jouer la niche pointue et de s’insérer dans les services d’autres locomotives du commerce. C’est le cas de Bivolino, un site pionnier dans le commerce électronique en Belgique, qui vend des chemises sur mesure et a conclu des accords avec des distributeurs pour vendre ses produits sur leurs sites de commerce électronique. Bivolino fournit ainsi l’espagnol El Corte Inglés, le néerlandais de Bijenkorf ou le britannique Debenhams.

Ceux qui pourraient souffrir, à moyen terme, sont les spécialistes de l’immobilier commercial. L’adoption d’un modèle mixte, Internet/magasins, pourrait mener à une réduction des points de vente, lesquels se concentreraient sur les centres commerciaux les plus importants. “Les points de vente se concentreront sur les emplacements triple A. Les zones commerciales secondaires, comme par exemple la rue des Tongres à Bruxelles, pourraient en souffrir”, commente un spécialiste du commerce.

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