Mariage Thalys-Eurostar: une fusion lente
Il faudra encore attendre une bonne année avant de voir apparaître le groupe fusionné entre Eurostar et Thalys. L’opération est nettement plus complexe que l’union, par exemple, de deux compagnies aériennes.
Les voyageurs du service low cost Izy, qui relie en train Bruxelles et Paris, goûtent sans le savoir, en primeur, la fusion prochaine de Thalys et d’Eurostar. Izy, marque de Thalys, a récupéré une rame de plus de 700 sièges qu’Eurostar n’utilise plus. La marque Izy est bien présente sur l’extérieur du train mais les sièges et la décoration sont ceux d’un Eurostar, ancienne manière.
Un des objectifs du rapprochement annoncé en septembre dernier est effectivement de mieux utiliser les rames des deux transporteurs. Eurostar dispose des rames les plus grandes, avec 900 sièges (contre 377 places pour une rame Thalys, 754 en couplant deux rames) dont certaines pourraient, aux heures de grande affluence, se retrouver sur Bruxelles- Paris. ” Cela fait partie des choses qui pourraient se faire “, indique Bernard Gosselin, directeur général de Thalys.
Un projet retardé à cause du Brexit
Le projet est l’un des derniers lancés par Guillaume Pépy, CEO sortant de la SNCF, avant de passer la main à son successeur, Jean-Pierre Farandou, fin octobre. La SNCF est l’actionnaire majoritaire des deux entreprises, Eurostar International, basée à Londres, et THI Factory (Thalys), à Bruxelles(1). Elle a discuté du projet avec les autres actionnaires depuis des années avant que le vote du Brexit n’intervienne, brouillant ainsi les discussions autour de la question de la valorisation d’Eurostar.
Le dossier revient sur la table au moment où la croissance est revenue pour les deux transporteurs, avec une rentabilité très décente.
Néanmoins, la fusion s’annonce lente. Il ne faut pas s’attendre à une nouvelle structure avant 2021. Le projet n’a pas encore été notifié à la Commission européenne et ne le sera qu’à l’été prochain. Ce rapprochement est de nature à modifier la concurrence sur les lignes concernées, déjà quasi inexistante bien que le marché du passager international soit ouvert depuis 2010. La Deutsch Bahn (chemins de fer allemands) a renoncé à desservir Londres. Le seul qui ait déposé – récemment – une demande d’accès au réseau est l’allemand Flixmobility (Flixbus) qui envisage un Bruxelles-Paris sur des lignes classiques, en plus de 2h30.
Le point délicat : la Commission européenne
” Trois choses doivent encore être tranchées : la marque, commune ou pas, l’emplacement du siège et la forme juridique “, précise Bernard Gosselin. La fusion en tant que telle n’est pas formellement décidée. La première étape consiste à convaincre la Commission européenne de ne pas bloquer ou limiter le projet. C’est sans doute la raison du nom de l’opération, ” Green Speed “. Il est présenté comme un moyen de freiner les émissions de CO2 en favorisant la transition du transport par air ou par route vers le rail. ” C’est une phase très délicate pour le projet de rapprochement “, indique un connaisseur du dossier.
Parmi les travaux de préparation au projet de rapprochement, les équipes des deux opérateurs analysent la capacité potentielle qui pourrait être libérée en mettant en commun la gestion des 55 rames des deux transporteurs, soit près de 44.000 sièges. L’objectif avancé était de quasiment doubler le trafic, pour arriver à 30 millions de passagers d’ici 2030, au moins sur les cinq pays couverts par les deux transporteurs (France, Belgique, Grande-Bretagne, Pays-Bas et Allemagne).
Mieux gérer les rames
En gérant mieux les rames de manière intégrée, il y aurait sans doute moyen d’ouvrir de nouvelles lignes, de mieux adapter l’offre selon la saison. Un rapprochement permettrait d’améliorer encore la performance. A terme, il ne serait plus nécessaire d’avoir plusieurs systèmes informatiques, deux marques et même des uniformes différents.
La synergie aurait toutefois ses limites. Dans l’aérien, un Boeing 737 ou un Airbus A320 peuvent voler vers n’importe quel aéroport en Europe (et au-delà). Les trains, eux, n’ont pas cette souplesse. Une rame Eurostar récente (catégorie e320), de 900 places, peut rouler aux Pays-Bas, en France, en Grande-Bretagne… mais pas en Allemagne. Les anciens trains Eurostar (e300 dans la version rénovée), eux, ne peuvent circuler aux Pays-Bas. ” Et aucun train Thalys ne peut aller dans le tunnel sous la Manche “, ajoute Bernard Gosselin. Ces incompatibilités sont dues aux signalisations (les dispositifs qui gèrent la sécurité des trains) et aux tensions électriques différentes selon les portions de réseau, des éléments qui ne se standardisent que très lentement.
Un boulet et un avantage
A court terme, renouveler les flottes n’est pas à l’ordre du jour car Eurostar dispose déjà d’une flotte neuve ou rénovée. Thalys a engagé une rénovation profonde de ses rames qui coûtera, au total, près de 250 millions d’euros. Elle avait fait le choix de ne pas renouveler anticipativement son matériel, construit par Alstom entre 1995 et 1997, mais de lui donner une nouvelle jeunesse. Le premier train réaménagé devrait arriver au printemps. ” Les trains peuvent rouler 30 à 40 ans, avec une rénovation profonde à mi-vie “, indique le patron de Thalys.
Cette complexité est à la fois un boulet, pour Eurostar et Thalys, et un atout car la concurrence potentielle sur la grande vitesse est confrontée aux mêmes lourdeurs. En outre, contrairement à l’aérien, il n’y a pas de matériel de seconde main disponible. Pour se lancer rapidement, il faut commander du neuf, en petites séries, pour une mise en service, au mieux, cinq ou six ans plus tard.
Qu’est-ce que cela change pour le client ? Outre une offre un peu élargie, l’argument mis sur la table est la création d’un plan de fidélité unique. Une évolution low cost est peu probable car la grande vitesse est handicapée par le coût élevé de l’infrastructure (plus de 40% du prix du ticket moyen pour Eurostar). Il ne peut vraiment se faire que sur les lignes classiques comme Izy, un service Thalys, sur Bruxelles-Paris.
Sur les classes, la question reste ouverte. ” Il est clair que le service Business Premier d’Eurostar est plus haut de gamme que notre Premium, reconnaît Bernard Gosselin. Nous étudions s’il n’y a pas lieu de suivre ce type d’offre. ” Eurostar déroule en effet le tapis rouge, avec du champagne, des plats du chef Raymond Blanc et un salon lounge plus classieux que celui de Thalys. Le tarif est aussi plus élevé, la Business Premier peut grimper jusque 331 euros sur un Bruxelles-Londres aller simple, soit plus du double du tarif maximum pour un Bruxelles-Paris en Premium. Il n’est pas sûr qu’un meilleur service, donc plus cher, soit vraiment demandé sur le trajet Bruxelles-Paris qui prend 1h22, alors que le voyage en Eurostar vers Londres prend plus de deux heures, en plus du fait que le voyageur doit se présenter plus tôt pour les contrôles de frontière. ” Nous sondons la clientèle “, ajoute Bernard Gosselin.
Une clientèle différente
Les équipes de Thalys et d’Eurostar échangent les infos pour imaginer la bonne approche qui pourrait être adoptée sur le futur réseau global. Les clientèles sont différentes. Thalys est majoritairement emprunté par des voyageurs business, tandis qu’Eurostar est surtout un utilisé pour le loisir (30% de clientèle business).
Des économies pourraient être dégagées au niveau de la gestion centrale des sociétés respectives, ce qui doit créer quelques craintes dans le personnel des sièges. Bernard Gosselin indique qu’il y aura sans doute des changements de fonctions, mais le but est la croissance, ” et pas la réduction des effectifs “.
(1) THI Factory (Thalys) appartient à 60% à la SNCF et à 40% à la SNCB. Eurostar International Limited appartient à 55% à la SNCF, à 30% à la Caisse de dépôt et placement du Québec, à 10% à Hermes (groupe Connexxion, Pays-Bas) et à 5% à la SNCB.
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