Marek Hudon (ULB) : “Nous allons devoir changer en profondeur nos modèles de fonctionnement”

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La décroissance est-elle obligatoire pour sauver le climat ? Éléments de réponse avec Marek Hudon, professeur d’économie à l’ULB, alors que s’ouvre en Égypte la COP27, la conférence annuelle de l’ONU sur le climat, en présence de 120 chefs d’État et gouvernements.

Selon vous, doit-on passer obligatoirement par la décroissance pour sauver le climat ?

Le débat est à la fois simple et compliqué. Simple, car il est indéniable qu’une partie de l’activité économique est nuisible. Aujourd’hui, on est loin d’une trajectoire où la croissance économique permettrait d’arriver aux objectifs environnementaux. Ce modèle de croissance verte, c’est clairement nettement insuffisant. Il faut aussi voir comment les indicateurs sont mesurés. Derrière le PIB, des éléments ne sont pas souhaitables au niveau climatique. Les énergies fossiles, par exemple, peuvent mener à une croissance du PIB qui est problématique de ce point de vue.

Le débat est aussi dans l’attention qu’on va donner à la croissance économique par rapport à d’autres indicateurs. Si on se dit que le PIB n’est pas l’indicateur idéal pour bien mesurer dans quelle direction on veut aller, il faut le coupler à d’autres indicateurs et continuer à les suivre. C’est sans doute là on l’on pêche encore aujourd’hui. On a développé, notamment en Wallonie, un certain nombre d’indicateurs complémentaires qu’on pourrait mobiliser davantage dans le débat collectif, politique et économique. On doit se demander quelle croissance est importante plus que la croissance en tant que telle.

Cette crise énergétique va être couplée à d’autres crises et nous allons devoir changer en profondeur nos modèles de fonctionnement.

Le terme décroissance semble tabou ou, du moins, connoté négativement dans les milieux économistes ? Est-ce le cas ?

La décroissance et la sobriété sont des termes qui renvoient à des émotions qui peuvent être négatives, cela explique cette connotation négative chez certains. Ils dérangent plus que des termes plus positifs comme l’innovation sociale qui sont sans doute moins anxiogènes mais peuvent aussi être quelques fois l’arbre qui cache la forêt. L’intérêt principal de ces termes réside, selon moi, dans le fait qu’ils sensibilisent sur l’inadéquation de nos modèles économiques avec les limites planétaires. Cette crise énergétique va être couplée à d’autres crises, pensons à la raréfaction des ressources naturelles. Nous allons devoir changer en profondeur nos modèles de fonctionnement.

Comment atteindre l’objectif ambitieux de limiter la hausse de la température globale en dessous de 2 °C par rapport à l’ère préindustrielle ?

Globalement, j’ai l’impression que pour réaliser sérieusement les objectifs climatiques, il va falloir sortir de certaines innovations, abandonner certains services et produits, tels que l’économie linéaire ou les énergies fossiles. C’est le concept d’ “ex-novation” développée par l’équipe de mon collègue Tom Bauler (ULB). Cela a du sens de se dire qu’on va devoir aller vers de nouveaux modèles d’entrepreneuriat de l’innovation, mais qu’on devra aussi diminuer et sortir d’autres mécanismes. Il n’y a pas une seule réponse à cette question.

Entre les critiques sur la lenteur des discussions et l’inaction des pouvoirs publics, l’intérêt des conférences annuelles de l’ONU sur le climat (COP) est pointé du doigt. Certains activistes évoquant des “machines à greenwashing”. Pour vous, la COP27 est-elle encore défendable ?

Oui, elle est encore nécessaire. Il est essentiel d’être présent dans ces rencontres. C’est l’un des principaux lieux où il est encore possible d’avoir des discussions multilatérales sur l’enjeu climatique. Mais, on peut aussi facilement se sentir désabusé quand ce genre de sommet est suivi de mesures peu concrètes. Cela mène à un sentiment plus négatif sur l’impact concret de la COP27. On n’a pourtant pas d’autres choix que de passer par ces discussions multilatérales. Ces grands moments sont nécessaires pour trouver des solutions. La difficulté sera la mise en pratique. On a l’impression qu’on arrive aux limites d’un système qui doit être réformé ou couplé à des mécanismes de sanctions. C’est compliqué sinon, ce serait déjà fait. La manière dont cela se passe est insuffisante. On peut être déçu du nombre de nouveaux plans sur la table et des manques de moyens financiers pour les réaliser.

Un forum interuniversitaire (Université libre de Bruxelles, UCLouvain, ULiège, Université Saint-Louis-Bruxelles et UMONS) de rencontres entre scientifiques et citoyens s’installe pour 9 soirées (du 6 au 20 novembre) sur la place Schuman, à Bruxelles. Le 10 novembre, le thème sera l’économie, avec Marek Hudon (ULB), S.Mertens et P.Ozer (ULiège), M.Nyssens (UCLouvain). Plus d’infos.

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