Marché du travail: sommes-nous finis à 50 ans ?

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Selon Unia, la discrimination à l’embauche liée à l’âge serait en forte augmentation. Est-ce à dire que la situation des plus âgés se dégrade sur le marché de l’emploi et dans les entreprises ? La réponse est plus que nuancée.

Nous connaissons tous dans notre entourage des quadras ou des quinquas qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés au chômage et éprouvent des difficultés à se réinsérer. Soit ils coûtent trop cher, soit leur CV est trop bien fourni, soit ils font peur à des patrons plus jeunes en raison de leur expérience ou leur passé de chef d’équipe. Fin septembre, Unia, le nouveau nom du Centre interfédéral pour l’égalité des chances, s’est ému d’une forte augmentation de discrimination à l’embauche liée à l’âge. Sur les huit premiers mois de 2016, il a ouvert 74 dossiers, soit une hausse de 60 % par rapport à l’ensemble de l’année 2015. Parmi ces dossiers, près de six sur 10 concernaient des travailleurs âgés de plus de 45 ans. Pour rappel, en Belgique, toute discrimination basée sur un des 19 critères protégés (l’âge, le sexe, le handicap, la race, les convictions philosophiques ou religieuses, etc.) est interdite et punissable par la loi.

Relativiser

Il n’est pas facile de convaincre employeurset employés qu’être plus âgé ne signifie pas automatiquement être plus cher.

Sans renier le moins du monde le problème soulevé par Unia, force est de constater que 74 dossiers sur la totalité des demandeurs d’emploi inoccupés (98.293 à Bruxelles, 233.610 en Wallonie et 229.727 en Flandre à fin septembre, selon l’Onem), ce n’est pas mathématiquement très significatif. Chiffre qui n’est pas plus significatif si l’on prend en compte l’ensemble des 50+ qui travaillent ou cherchent un emploi (près d’1,5 million). ” Je ne suis pas étonnée par les chiffres d’Unia, explique Marie-Kristine Vanbockestal, administratrice déléguée du Forem. Mais y a-t-il plus de cas de discrimination ou plus de plaintes ? Intuitivement, j’aurais tendance à penser que la pression sur le marché de l’emploi pousse les demandeurs d’emploi à se protéger. Depuis le 1er janvier, le contrôle de la disponibilité des chômeurs est étendu à 65 ans. Il faut donc pouvoir continuer jusqu’à très tard à pouvoir justifier sa recherche. ”

” Les chiffres d’Unia vont dans le sens de ce que nous recevons comme témoignages, poursuit Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la Centrale nationale des employés (CNE). C’est beaucoup plus difficile de trouver un job une fois que l’on dépasse 45 ans. Bien sûr, on nous dit que de nombreux jobs ne trouvent pas preneur mais notre marché de l’emploi est très segmenté. Tout le monde n’est pas en mesure de répondre à ces annonces-là, souvent destinées à des personnes hautement qualifiées. ”

De bonnes statistiques

Concrètement, quelle est la réalité statistique de l’embauche des 50 ans et plus en Belgique ? Plutôt positive ces dernières années. Selon l’Onem, à fin 2015, les 50+ en situation d’emploi étaient 887.000, soit une hausse de 11 % par rapport à 2011. Cette hausse est, en outre, bien supérieure au vieillissement de la population. ” Globalement, le chômage est en baisse, confie Marie-Kristine Vanbockestal. Mais celui des 50+ baisse beaucoup plus fort. Chez nous, entre septembre 2015 et septembre 2016, la baisse est supérieure à 5 %. Elle est bien plus élevée que pour la tranche 25-40 qui, habituellement, retrouve de l’emploi plus vite. Ce chiffre est d’autant plus remarquable que les prépensions sont désormais comptées dans les chiffres du chômage. Plusieurs facteurs – parmi lesquels l’absence de grosse restructuration depuis deux ans – jouent. Evidemment, les annonces de ces derniers jours comme ING ou Caterpillar pourraient faire changer les choses. ”

La Flandre présente des chiffres similaires. Il est vrai qu’elle a pris des mesures pour activer les chômeurs dits âgés. ” Entre 2009 et 2016, l’embauche des 50+ a augmenté de 81 % au VDAB, explique Bart Buysse, directeur général de la FEB. D’une embauche mensuelle moyenne de 1.277 personnes en 2009, on est passé à 2.310 à la fin juin 2016. Proportionnellement, cette hausse est trois fois supérieure à celle correspondant à la tranche 20-49. Cela tend à prouver que, oui, les employeurs donnent leur chance aux 50+. Il faut aussi souligner le travail des services de médiation au niveau du suivi, de la formation, de la guidance ou de la réorientation. D’une manière générale, la tendance est positive en Belgique. Le taux d’emploi des 55+ est, sur quatre ans, en hausse dans les trois régions du pays : +6 % à Bruxelles, +3,7 % en Wallonie et +6,1 en Flandre. ”

Les raisons du blocage

Vu la volonté gouverne-mentale de reculer l’âge effectif de départ à la retraite, les seniors seront, à l’avenir, de plus en plus nombreux en entreprise.

Sans aller jusqu’à parler de discrimination, il existe évidemment des raisons objectives à la relative difficulté des 50+ à se réinsérer dans le monde du travail. Selon la revue économique de la Banque Nationale de Belgique de juin 2014, ils présentent deux caractéristiques majeures : la durée restante de leur carrière est courte et leur capital humain est lié à leur poste de travail ou à leur employeur. Quant à leur productivité soi-disant déclinante, elle reste à démontrer. Il en résulte deux effets majeurs. D’abord, celui dit de ” fin de partie “. Vu la carrière restante, le retour sur investissement est plus faible pour une entreprise que si elle engage un jeune. L’autre effet s’appelle ” les droits acquis “. En fait, il y a inadéquation entre le salaire espéré et celui proposé. Cet effet est aussi amplifié par le fait que dans certains cas, le calcul de la pension est lié au salaire des dernières années…

” Je ne suis pas du tout d’accord avec l’aspect ‘fin de partie’, confie Guy Callebaut, senior VP human ressources chez Sodexo Benelux. Quand j’engage quelqu’un de 55 ans, j’embauche quelqu’un de très motivé qui veut encore travailler. Il a les compétences, du vécu. Je ne me dis pas que je n’ai que quelques années de retour sur investissement mais au contraire, que je suis sûr d’obtenir toutes ces années. En outre, une telle personne va peut-être nous aider, notamment à former les jeunes. Par contre, il est vrai que sur l’aspect droits acquis ou ce que l’on appelle le passif social, il arrive que nous ne parvenions pas à nous mettre d’accord. ”

” En 2013, Sarah Vansteenkiste de la KU Leuven (Steunpunt Werk) a étudié la réinsertion des 50+ dans le marché du travail, poursuit Bart Buysse. On y apprend trois choses importantes. Les seniors cherchent moins intensément et, oui, ils se montrent moins flexibles dans leur recherche, notamment au niveau de leurs prétentions salariales. Dans un marché où la récompense de l’ancienneté est la norme, il n’est pas facile de convaincre employeurs comme employés qu’être plus âgé ne signifie pas automatiquement être plus cher. Enfin, troisième constat, la réinsertion est rendue plus compliquée par le fait qu’ils ont souvent moins de chance d’être invités à une interview d’embauche. Pourquoi ? La peur du passif social – coût de licenciement, outplacement, demande de salaire plus élevé, etc. – en est une des explications. Dire que c’est de la discrimination est tout bonnement excessif et nie clairement la complexité de notre marché du travail. ”

Et en entreprise ?

L’autre aspect du marché de l’emploi des 50 + tient évidemment aussi à leur situation dans le monde de l’entreprise. Souvent, en raison de leur coût, ils sont les premiers à partir en cas de licenciement collectif. Mais vu la volonté gouvernementale de reculer l’âge effectif de départ à la retraite, les seniors seront, à l’avenir, de plus en plus nombreux en entreprise. Il importe donc de prendre des mesures pour faciliter cette fin de carrière. Tel est le but de la CCT 104, conclue par les partenaires sociaux au sein du Conseil national du travail (CNT). Afin qu’en 2020, le taux de participation des travailleurs âgés de 55 à 65 ans arrive à 50 %, elle impose aux entreprises de plus de 20 personnes de disposer d’un plan de maintien de l’emploi pour les 45 ans et plus. Cette CCT a déjà permis de belles avancées dans certaines entreprises (lire les encadrés). ” C’est une évolution très positive, conclut Bart Buysse. Nous sommes en train de l’évaluer au sein du CNT. L’idée est de disséminer les best practices des uns et des autres en termes de développement des compétences, de mentoring ou parrainage, d’adaptation du temps ou de l’environnement de travail, de la formation, des mutations internes, etc. ” Alors fini à 50 ans comme l’ont écrit certains ? A voir les expériences des uns et des autres, il vaut mieux raison et modération garder.

Par Xavier Beghin.

La diversité à l’honneur chez Sodexo

Guy Callebaut,
Guy Callebaut, “senior VP human ressources” Benelux © PG© PG

En Belgique, Sodexo emploie près de 4.000 personnes pour proposer des services qui vont bien au-delà de la simple restauration collective ainsi que les rewards & benefits (chèques-repas, chèques-cadeaux, etc.). Depuis 2007, la société travaille activement au bien-être des 55 ans et plus. Depuis 2012, elle y a ajouté les 45+. Signe marquant de cette politique : aujourd’hui, la moitié des collaborateurs de l’entreprise ont plus de 45 ans et 16 % plus de 55 ans. Ce travail sur la discrimination se traduit aussi à l’embauche. Entre septembre 2015 et septembre 2016, 269 personnes ont été engagées chez Sodexo. Quatre-vingt-sept d’entre elles (32%) ont plus de 45 ans, 13 (5%) dépassent les 55. Il faut aussi ajouter les possibilités de mobilité interne qui, pour un tiers, ont profité aux tranches d’âges plus élevées. “Cela fait plus de 30 ans que je travaille chez Sodexo, explique Guy Callebaut, senior VP human ressources Benelux, et cela fait 30 ans que je m’occupe de diversité. L’entreprise a pour stratégie d’être le reflet exact de notre société. Chaque employé doit se sentir bien et respecté quelles que soient son origine, son sexe, ses croyances, son âge, etc. Travailler sur la diversité nous permet d’améliorer le taux d’engagement de nos collaborateurs. En outre, cette diversité nous permet de nous rapprocher de nos clients. Ils se reconnaissent en nous et dans nos valeurs. Il faut aussi préciser que cette approche orientée vers les plus âgés est intégrée dans toutes nos politiques RH : talent management, recrutement, formation, intégration, mentoring, etc.”

Cette politique de diversité en direction des plus âgés a valu, en 2012, à Sodexo de recevoir l’Active Ageing Award remis, entre autres, par la FEB. En fait, cette stratégie se base sur une approche individuelle. ” Chaque année, poursuit Guy Callebaut, les nouveaux 55+ sont invités à un entretien de carrière afin de bien connaître leurs envies. Depuis peu, nous avons étendu ces entretiens aux personnes de 45 ans et de 50 ans. Evidemment, entre ces âges ou avant 45 ans, chacun est libre, chez nous, de solliciter un entretien de carrière. Nous sommes à un moment très particulier où nous avons la chance d’avoir quatre générations qui travaillent ensemble. Cette richesse nous a amenés à créer une formation appelée iGen. Elle ouvre les yeux et montre des situations frappantes que l’on vit tous les jours mais qu’on ne voit pas forcément. Elle aide grandement au vivre ensemble.”

Un menu spécial chez Worldline

Laurette Vandenplas, DRH Worldline.
Laurette Vandenplas, DRH Worldline.© PG

L’arrivée de la CCT 104 a eu des effets positifs chez Wordline, le leader mondial des services transactionnels de paiement électronique. Comme chez Sodexo, les 45+ y constituent la moitié du personnel employé. A l’initiative des syndicats, la société, basée à Evere, a organisé une table ronde et a mis sur pied des mesures spécifiques pour les 50+.

“La diversité a toujours été importante chez nous, explique Laurette Vandenplas, directrice des ressources humaines. Nous avions déjà des mesures particulières pour les seniors mais nous avons saisi l’occasion pour les améliorer et les formaliser. C’est un accord interne plus qu’une véritable CCT 104. En fait, il s’agit d’une sorte de menu mis en place en 2015. Chaque personne âgée d’au moins 50 ans peut choisir trois options chaque année. Plusieurs catégories existent. La flexibilité : il peut travailler à la maison trois jours par semaine au lieu de deux. L’équilibre vie privée-vie professionnelle : 10 fois par an, il peut partir deux heures plus tôt. Le partage des connaissances et le contenu du travail : il peut consacrer 5 % de son temps à une activité qui sort de sa fonction habituelle. Dans ce cadre-là, l’an prochain, nous offrirons la possibilité à un senior de remplir une fonction de mentor. Autre catégorie, les formations : nous avons créé des formations spécifiques ou nous leur octroyons un jour de formation supplémentaire. Enfin, le médical et les préventions : des programmes spéciaux existent comme un check-up annuel par exemple. J’ajouterai que certaines options ont un caractère plus permanent. Chez nous, de nombreuses fonctions nécessitent d’être en stand-by la nuit. Arrivé à un certain âge, on peut comprendre que cela devienne lourd. Dans la mesure du possible et du fonctionnement des services, nous essayons d’accéder aux demandes de quitter les services de nuit.”

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