Marc Fauconnier, Président de l’Association of Communication Companies: “Il faudrait créer une école des marques”

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Le fondateur de l’agence de pub Famous vient d’être élu président de l’Association of Communication Companies (ACC), l’organisation qui représente plus de 130 sociétés actives dans le secteur de la communication en Belgique. Rencontre avec un homme passionné qui veut injecter davantage de business dans la créativité.

A 58 ans, Marc Fauconnier s’offre un nouveau challenge. Le fondateur de l’agence de pub Famous – devenue FamousGrey en 2016 – a en effet rangé sa casquette de CEO l’été dernier pour endosser aujourd’hui la présidence de l’Association of Communication Companies (ACC). Structure phare du secteur de la communication, cette organisation représente plus de 130 agences en Belgique et l’homme a décidé, plus que jamais, de faire entendre sa voix en ces temps chahutés pour la publicité.

TRENDS-TENDANCES. En tant que nouveau président de l’Association of Communication Companies, quels sont aujourd’hui vos principaux défis ?

MARC FAUCONNIER. Mon premier défi est de donner à cette association davantage de visibilité. Aujourd’hui, l’ACC est une machine bien huilée avec son centre d’expertise qui est très actif, ses formations et ses propres événements, mais elle manque un peu de voix dans le monde économique et sociétal. Personnellement, je ne m’étais pas porté candidat, mais j’ai accepté ce poste de président de l’ACC avec plaisir. C’est toujours un honneur lorsque vos collègues vous proposent de jouer ce rôle. En fait, j’ai arrêté mes fonctions opérationnelles chez FamousGrey il y a quelques mois et, même si je suis toujours président du conseil d’administration de l’agence, j’ai désormais un peu plus de temps et de liberté de parole pour représenter le secteur de la communication. Il est important de comprendre qu’il ne s’agit pas seulement des agences de pub, mais aussi des agences qui sont actives dans le monde de la communication au sens large, c’est-à-dire les agences de relations publiques, les organisateurs d’événements, les acteurs de la communication digitale, etc. Au total, l’ACC représente 133 agences en Belgique. Cela couvre 80% du secteur et on peut donc dire que l’association est très représentative du monde de la communication qui emploie près de 3.000 personnes sur notre territoire.

Pourquoi ne pas imaginer un nouveau type d’école où les mondes du business et de la créativité s’imbriquent davantage ?

Mais, selon vous, ce secteur manque paradoxalement de visibilité…

Oui et il faut en donner davantage à l’ACC. Nous devons insister sur notre raison d’être. Aujourd’hui, les agences de communication sont en mode défensif car le secteur est sous pression. Nous vivons dans un marché qui est fortement concurrentiel et cette concurrence se manifeste désormais de différentes manières avec des acteurs qui veulent clairement prendre notre place. Il y a bien sûr les Gafa – en particulier Google et Facebook – mais surtout, au niveau stratégique, les grandes sociétés de consultance comme Accenture ou McKinsey qui ont une réputation nettement meilleure que la nôtre par rapport à l’innovation. Mais il y a aussi les agences créatives lancées par les groupes médias, les éditeurs et certaines régies – c’est une tendance récente – qui veulent leur part du gâteau publicitaire. Et je ne parle même pas des annonceurs qui ont développé en interne leur propre agence créative. Chez Colruyt, par exemple, 80% des services créatifs sont développés en interne…

Pour des raisons d’économie ?

Oui, principalement, mais aussi pour des raisons de réactivité. Personnellement, je ne trouve pas que c’est nécessairement un atout car ces mini-agences créées chez l’annonceur n’ont aucune indépendance. Elles sont souvent l’otage de l’entreprise et elles n’ont donc pas le recul nécessaire pour apporter une vraie valeur ajoutée comme une agence extérieure peut le faire. Cela dit, c’est une tendance et nous ne devons pas trop nous plaindre par rapport à ça parce que nous sommes aujourd’hui dans une économie qui est open source. Chacun essaie de faire sa propre ” boutique ” et c’est donc à nous de créer aussi de nouvelles collaborations avec ces cellules internes lancées par de grands annonceurs.

Diriez-vous aujourd’hui que le secteur de la publicité est en danger ?

Je dirais plutôt qu’il est sous pression. La rentabilité des agences est en baisse et on sent que la source commence à se tarir. Aujourd’hui, les relations entre les marques et les consommateurs sont perturbées par le digital. Les annonceurs cherchent de nouvelles réponses et donc des partenaires pour rétablir le lien avec leurs clients. On voit, par exemple, que Google et Facebook commencent à perturber le marché financier, comme Airbnb a d’ailleurs perturbé le secteur du tourisme avec les conséquences que l’on sait pour Thomas Cook. Donc, nos clients comme les banques, les agences de voyages et les acteurs d’autres secteurs cherchent aujourd’hui des partenaires pour se défendre et pour se frayer un chemin dans cette jungle des nouvelles technologies. Malheureusement, nous ne sommes plus les seuls candidats pour accompagner nos annonceurs dans ce trajet de changement. Je viens d’évoquer nos nouveaux concurrents qui veulent désormais leur part du gâteau et c’est à nous, aujourd’hui, de réagir pour continuer à apporter notre valeur ajoutée.

Justement, quelles sont vos armes pour réagir ?

Notre point de différenciation, c’est la créativité. Les toutes grandes idées de communication viennent encore des agences de pub. J’ai rarement vu des grandes idées publicitaires naître directement chez l’annonceur. Donc, je crois que nous avons toujours le grand atout du talent créatif dans notre secteur, mais aujourd’hui, cela ne suffit plus. Il faut que cette créativité soit plus business minded. Le monde de la communication s’est contenté un peu trop de la ” créativité gadget “, c’est-à-dire la créativité pour gagner un prix dans des festivals, mais qui apporte peu en termes de valeur économique. Mon grand challenge, en tant que nouveau président de l’ACC, sera d’injecter davantage de réflexes économiques dans notre secteur. Bien sûr, le retour sur investissement demandé par l’annonceur sera toujours basé sur notre créativité, mais il faut que cette créativité soit plus efficiente au niveau du business.

Marc Fauconnier, Président de l'Association of Communication Companies:
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Le big data et l’exploitation de ces données peuvent-ils vous aider à atteindre cet objectif d’efficacité ?

Je crois effectivement que le lien entre la data et la créativité représente aujourd’hui un énorme défi pour les agences de communication. Ces données devraient nous inspirer beaucoup plus, non seulement pour créer, mais aussi pour mieux toucher nos cibles. Mais encore une fois, le vrai défi pour notre créativité, c’est de devenir plus ” business ” qu’aujourd’hui. Je pense d’ailleurs que les agences de communication devraient travailler davantage avec le monde économique et avec des écoles de commerce comme Solvay ou Vlerick. Il faudrait d’ailleurs créer une école des marques. Cela n’existe pas encore en Belgique…

J’ai moi-même installé un “adblocker” sur mon propre ordinateur.

Une école qui serait donc dédiée aux marques ?

Une école où l’on étudierait le rôle économique, créatif et sociétal des marques, mais où l’on verrait aussi comment les agences de communication peuvent démontrer leur propre valeur économique et sociétale dans la création. Car, aujourd’hui, le constat est le suivant : d’un côté, on a des écoles de commerce où la dimension créative est quasi inexistante et, de l’autre, des écoles de communication où l’aspect business est très peu présent. Pourquoi ne pas imaginer dès lors un nouveau type d’école où les mondes du business et de la créativité s’imbriquent davantage ? Une école des marques, justement, pourrait être une espèce de plateforme où ces deux mondes se rencontrent. Elle pourrait s’appeler la Brand Academy powered by ACC and Solvay ( rires) !

Mais n’avez-vous toutefois pas le sentiment que la publicité est aujourd’hui moins aimée qu’avant ? On sent qu’il y a tout un mouvement qui invite les gens à consommer ” mieux “, voire à consommer moins, et dans lequel la publicité n’est pas toujours la bienvenue…

Ce n’est pas faux, mais il y a aussi tout un mouvement des marques et des agences pour se montrer plus écologiques, plus durables et plus responsables. Dans notre secteur, l’engagement par rapport à des objectifs sociétaux est parfois énorme et le grand public n’en est pas toujours informé. C’est pour ça que je voudrais, à mon niveau, faire un rapport annuel de tous les efforts que font les agences membres de l’ACC en matière de durabilité pour leurs clients. Mais ce n’est pas tout. Notre créativité doit aussi aider les marques à créer de nouveaux produits ou de nouveaux services qui s’inscrivent dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises. Au dernier Festival de la Publicité à Cannes, un des grands prix a par exemple été attribué à Ikea pour une campagne menée avec McCann. L’agence a imaginé et créé toute une série d’accessoires pour faciliter l’utilisation de certains meubles par des personnes handicapées. Il s’agit de petites pièces qui s’ajoutent aux meubles existants. C’est de la créativité pure, mais qui se révèle réellement utile.

Vous voulez dire que les marques doivent jouer un nouveau rôle, moins commercial, plus sociétal ?

C’est clair. Nous vivons dans une société où les valeurs comme la vérité, la confiance ou encore la vie privée sont sous pression et où les gens cherchent de nouveaux points de repère. Si la politique n’a pas toujours les réponses, alors c’est peut-être aux marques de se positionner comme vecteurs de changement. Car elles ne sont pas que des machines à faire de l’argent, elles sont aussi des organisations responsables qui veulent participer au changement sociétal. Les marques ont parfois un certain capital sympathie et elles peuvent donc jouer ce rôle. Elles ont les moyens de changer le monde car elles peuvent avoir un impact énorme sur le comportement des consommateurs. Il suffit de voir ce que font certaines d’entre elles au niveau des emballages et de l’abandon du plastique.

Mais encore faut-il que les consommateurs se laissent faire. Au niveau digital, les ” adblockers ” – ces logiciels bloqueurs de publicités – ne cessent de se multiplier…

Effectivement. A ce propos, je pense d’ailleurs que la digitalisation et le marketing online ont été contre-productifs puisque les moyens technologiques pour éviter la pub sont aujourd’hui très importants. J’ai moi-même installé un adblocker sur mon propre ordinateur.

C’est vrai ? C’est un comble, ça !

C’est vrai ! Je l’ai fait parce que la qualité de la communication digitale, aujourd’hui, est vraiment nulle. Moi, j’adore les marques, j’adore la pub et j’adore la communication, mais franchement, je n’aime pas la façon dont je suis traité en tant que consommateur sur le Net. J’ai des centres d’intérêt qui sont très variés et je ne veux pas être traité comme une cible. D’ailleurs, je n’aime pas ce mot. Ça me limite en tant qu’être humain. C’est du déterminisme et je n’aime pas cette hyper-segmentation. Moi, je veux conserver ma curiosité d’être humain, cette envie de découvrir les choses en dehors des algorithmes de recommandation à la Netflix.

N’est-ce pas paradoxal pour un publicitaire ?

Peut-être, mais je crois que cette tendance à la micro-segmentation sera rejetée par les consommateurs d’ici deux ou trois ans parce qu’ils ne vont plus accepter d’être traités comme des cibles. D’une part, c’est peu émotionnel et, d’autre part, c’est très restrictif par rapport à une personne et à ses intérêts.

Vous croyez donc toujours en l’avenir des médias traditionnels qui sont par définition ” grand public ” comme la télévision, la radio et la presse écrite ?

Oui. Attention, j’assume le fait que ces médias ont perdu aujourd’hui l’importance qu’ils avaient dans le passé. C’est un constat et il faut l’assumer. Mais en même temps, les médias traditionnels ont toujours une énorme valeur à l’heure actuelle. La télévision en est un bon exemple. Savez-vous qu’aux Etats-Unis, le Super Bowl ( la finale du championnat de football américain, Ndlr) génère à lui seul 12% des investissements publicitaires en télé dans ce pays ? Simplement parce que c’est un événement qui se passe en direct, que tout le monde regarde et qui s’accompagne de publicités très créatives. S’il y a un avenir pour les médias traditionnels, c’est bien dans cette qualité créative des publicités qui, par rapport au digital, est nettement supérieure.

Profil

– Né le 15 février 1961.

– Diplômé en sciences sociales de la VUB.

– En 1997, il fonde l’agence LG&F Advertising qu’il dirige pendant 10 ans.

– En 2008, il fonde l’agence Famous qui sera intégrée, huit ans plus tard, au groupe de communication américain Grey et sera rebaptisée FamousGrey.

– En juillet dernier, il cède les commandes de FamousGrey au tandem Francis Lippens et Peter Ampe et devient président exécutif de l’agence.

– Sa nouvelle fonction de président de l’ Association of Communication Companies (ACC) débute ce 2 janvier pour une durée de trois ans.

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