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Lettre au patron des patrons

“Il faut arrêter de pointer du doigt les employeurs. Ça ne va pas ! Ce n’est pas au sein de l’entreprise que l’actuel problème se situe, c’est une fois que les gens en sortent” (1).

M. Timmermans,

C’est ce que vous déclariez dans Le Soir du mardi 13 octobre. Et nous avons un problème. C’est que le gouvernement vous écoute. De toutes les mesures annoncées ce vendredi, celles qui touchent les entreprises sont les plus floues. Le télétravail est “la règle” mais n’est pas obligatoire. Et là où il n’y a pas de télétravail, on fait quoi? On se repose sur les protocoles non contraignants qui existent dans les entreprises?

M. Timmermans, selon vous, c’est le laxisme des travailleurs à la maison qui est la cause de la propagation du virus. Mais vous n’avez aucune idée de ce qui se passe réellement dans les entreprises. La raison est simple : vous n’écoutez que des patrons. Vous ne fréquentez pas les travailleurs, vous n’êtes pas sur le terrain avec eux, et vous n’avez aucune idée de ce que c’est que de devoir travailler dans une entreprise, avec des collègues, dans une situation de covid.

Laissez-moi vous donner trois exemples, rien que de la semaine écoulée.

  • · Dans une grande entreprise de gardiennage privé, un coordinateur (c’est donc un travailleur qui court de poste en poste et encadre des équipes) a été testé positif au covid. Aucune communication n’avait été faite vers les travailleurs (même pas ceux avec qui il avait été en contact direct pendant les jours précédant son test). Sans les syndicats, aucune information n’aurait été diffusée. Aucune mise en quarantaine n’aurait été exigée. Aucun testing n’aurait été réalisé. La raison est simple : si des travailleurs manquent à l’appel, il y a “trous” sur le chantier, et le client de la société de gardiennage n’est pas content. Mais l’organisation syndicale part du principe qu’on ne joue pas avec la santé des travailleurs, n’en déplaise au patron et au client.
  • · Dans une autre entreprise de gardiennage, un travailleur (employé) partage son bureau de 8m2 avec sa collègue. La collègue est testée positif. Et le travailleur n’est pas écarté. Ni testé. Ce travailleur croise quotidiennement les agents qui eux-mêmes sont en contact avec le public. Est-ce normal ?
  • · Dans une entreprise de l’industrie alimentaire, deux travailleurs sont déclarés “positifs” vendredi passé. Le lundi, trois autres travailleurs — en contact avec les deux précédents — sont testés positifs. Les distances physiques avaient été respectées dans l’entreprise… jusqu’au moment où la direction avait exigé d’augmenter la cadence de production. Cela rendait les travailleurs moins attentifs aux mesures de sécurité et augmentait les risques de propagation du virus. Les délégués syndicaux étaient intervenus pour refuser l’augmentation de la cadence pour garantir la sécurité des travailleurs. Finalement, le conseiller en prévention avait certifié qu’il n’y avait aucun risque pour la santé. On voit le résultat.

M. Timmermans, vos propos visent à protéger les patrons et à mettre la faute sur les travailleurs. C’est votre boulot. Et le gouvernement vous emboite le pas. Mais la responsabilité de la contamination que vous et le gouvernement rejetez sur les travailleurs ne repose sur aucune étude. Comme le rappellent Vanessa De Greef et François Perl dans Le Soir du 14 octobre (2), “il est essentiel de pouvoir disposer d’une mesure de la quantification du risque. Il n’est pas normal qu’après plus de six mois d’épidémie, il soit toujours aussi difficile d’avoir un relevé systématique des cas de contaminations en milieu professionnel” et ce, d’autant que “le milieu professionnel n’est pas un lieu considéré comme un rassemblement et les règles qui ont été adoptées depuis la propagation du virus ne sont pas aussi contraignantes que celles prises pour réguler les espaces publics et même privés”.

Croyez-moi, bon nombre de travailleurs souhaitent éviter un reconfinement, au moins autant que vous (mais pour d’autres raisons, souvent liées au fait qu’ils n’ont pas assez d’argent, ou que leur logement est trop petit, ou qu’ils n’ont pas de jardin, ou que l’ambiance à la maison ne permet pas de travailler).

Mais il serait vraiment temps

  • · d’avoir des protocoles sanitaires contraignants sous peine de sanctions financières
  • · d’obliger les employeur à compléter le salaire des travailleurs en quarantaine ou en maladie de façon non seulement à faire respecter les mesures de sécurité dans l’entreprise, mais aussi d’éviter que des travailleurs malades ne se présentent au travail parce qu’ils ne peuvent pas se permettre d’être en quarantaine.
  • · de prévoir le testing de tous les travailleurs ayant été en contact rapproché avec un travailleur contaminé, avec une demande de testing organisée par l’entreprise.

Comme trop souvent, les directions d’entreprises ne bougent que lorsqu’on les tient aux bourses.

Et leur tenir les bourses, c’est désormais une question de santé publique.

Syndicalement,

Nic Görtz

CSC Alimentation et Services

(1) Cloot, Amandine, “Pieter Timmermans (FEB): “Reconfiner? Ce sera la crise des faillites””, Le Soir, 13 octobre 2020 — https://plus.lesoir.be/331128/article/2020-10-12/pieter-timmermans-feb-reconfiner-ce-sera-la-crise-des-faillites

(2) De Greef, Vanessa, Perl, François, “Les contaminations en milieu professionnel: angle mort de la lutte contre la Covid-19?”, Le Soir, 14 octobre 2020 — https://plus.lesoir.be/331433/article/2020-10-14/les-contaminations-en-milieu-professionnel-angle-mort-de-la-lutte-contre-la

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