Les statistiques des faillites frémissent, va-t-on vers le bain de sang annoncé par certains ?
L’Office national de sécurité sociale (ONSS) recommence à citer des entreprises en faillite, brisant le moratoire mis en place par le gouvernement depuis mars 2020.
Les différentes mesures de soutien prises par les autorités depuis mars 2020 ont mis pendant des mois les entreprises sous cocon. Une partie de ces mesures consistaient en des reports de charges. Echéances de crédits, TVA ou charges sociales ont été reportées à plus tard.
L’économie a repris depuis des mois et la croissance du PNB est importante. La majorité des entreprises a repris ses paiements, y compris des dettes reportées pendant la crise. Mais toutes nos entreprises ne s’en sortent pour autant pas indemne.
Commençons par tuer un petit mythe. 2019 n’était la toute bonne année d’avant crise que certains pensent. La situation économique était déjà en phase de ralentissement, ce qui se retrouve dans les bilans des entreprises. A titre d’exemple, la solvabilité était globalement déjà en train de se dégrader.
67.134 entreprises avaient clôturé leur année avec une solvabilité négative ou nulle, soit 14,5% (une entreprise sur 7 !) de la population des entreprises qui publient des bilans. La proportion était la même en 2018. Par contre, c’était plutôt une entreprise sur 8 en 2017 et avant.
Les délais de paiement s’étaient par contre fortement dégradés. Au 4e trimestre 2018, 80% des factures étaient payées dans les délais. Ce n’était plus que 62% fin 2019. Les retards de plus de 90 jours étaient montés à 8% contre 5% fin 2018.
Quand la crise sanitaire est arrivée, la situation était donc déjà plus délicate qu’on ne le pense généralement.
Mettre l’économie sous narcose a donc aussi une aubaine pour certaines entreprises. Les moratoires sur les faillites aussi. Il y en avait eu un peu plus de 11.200 en 2019. Il n’y en aura que 7.500 en 2020, alors qu’il en a été prononcé 2.825durant les 3 premiers mois de l’année. A ce jour, en novembre 2021, on en est à 5.650.
Le retour à des chiffres normaux est très lent. Mais on constate en effet une reprise des jugements : 726 en septembre et 712 en octobre. On est cependant encore loin des 1.124 et 998 des mêmes mois de 2019, mais c’est plus que les 525 de moyenne sur les 6 premiers mois de l’année.
57% des jugements le sont sur assignation, contre 30% en début d’année. Le moratoire est donc effectivement terminé.
Ajoutons à cela que les dissolutions judiciaires ont également repris. Elles dépassent déjà les 5.000 à ce jour.
On va donc bien vers un retour à la normale.
Que peut-on attendre dans les mois qui viennent ?
On l’a vu, il y a beaucoup d’entreprises qui ont une solvabilité dégradée (même s’il y a aujourd’hui plus d’entreprises avec une solvabilité supérieure à 25% qu’avant la crise, mais ça, c’est une autre histoire) et les comportements de paiement sont vraiment dégradés. Sur les 3 premiers trimestres de l’année, à peine 30% du montant des factures est payé dans les délais convenus et les factures en grande souffrance (plus de 90 jours de retard) représentent 16% des montants dus.
Prévoyant ce phénomène dès le début de la crise, beaucoup ont dès lors prédit un bain de sang.
Rien n’est cependant certain. On peut certainement attendre un rattrapage des défaillances. Ce qu’on n’a pas eu en 2020 et 2021, on devrait l’avoir en 2022. En faisant un compte rapide, on pourrait donc bien avoir entre 20.000 et 25.000 faillites l’année prochaine. Mais cela ne devrait pas atteindre les chiffres fous annoncés par certains, qui parlaient de 50.000.
Les raisons qui nous amènent à penser cela sont principalement les suivantes :
- La reprise est forte. Elle est freinée par des problèmes d’emploi et d’approvisionnement et allonge les délais de livraison. La demande n’est donc pas satisfaite à court terme, ce qui peut faire durer (un peu artificiellement) la reprise.
- Les taux d’intérêts restent bas et l’argent n’est pas rare. Les liquidités sont donc abordables, ce qui peut favoriser la relance du financement des cycles commerciaux des entreprises.
- L’économie a accéléré son changement. On voit, en même temps, une explosion de l’e-commerce (signe d’une mondialisation encore plus prononcée) et d’une économie à circuit court. Or, notre tissu économique est basé sur des petites entreprises (84% des entreprises belges sont l’affaire d’une personne), qui sont les plus aptes à servir cette économie de proximité.
- On voit une accélération dans la prise des mesures climatiques, ce qui va obliger la population à mobiliser son épargne à relativement court terme. Isoler son logement et changer de véhicule en sont de bons exemples.
- Plus prosaïquement, l’appareil judiciaire n’est pas en état d’absorber un flot représentant quasi 5 fois une année normale.
Pour les entreprises trop faibles, il est bien entendu trop tard. A titre individuel, c’est un drame pour les personnes concernées. Mais vu de manière globale, les faire disparaître sera favorable à la dynamique générale de reprise.
Pascal Flisch
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