Les six enjeux auxquels sera confronté le prochain patron de l’aéroport de Charleroi

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Près de 8 millions de passagers à gérer, un client principal féroce (Ryanair), une rentabilité limitée, un actionnaire privé récalcitrant et un poste pas forcément assuré : le prochain patron de l’aéroport de Charleroi va être confronté à six enjeux de taille.

Nul ne sait encore qui succédera à Jean-Jacques Cloquet. Le conseil d’administration de Brussels South Charleroi Airport (BSCA) s’y attelle. Un chasseur de têtes devrait être désigné. Mais il est clair que la fonction sera complexe et lourde. S’il a obtenu de bon résultats en termes de croissance du nombre de passagers et sur le plan social, Jean-Jacques Cloquet a été confronté à des blocages et des impasses qui seront, à partir de janvier, ceux de son successeur. Sans parler de changements structurels à venir… En fait, le futur patron de BSCA va devoir relever six grands défis.

1. Une fonction rabotée

Hasard ennuyeux : la Région wallonne vient juste de raboter la fonction que quitte Jean-Jacques Cloquet. Le décret gouvernance appliqué l’été dernier, né de la crise Publifin, touche toutes les entités à majorité publique. Il a pour effet de rétrograder les dirigeants des aéroports de Charleroi et Liège. Ils ne sont plus administrateurs délégués, mais directeurs généraux. Et ne viennent au conseil d’administration que s’ils y sont invités. ” Je ne vois pas comment on peut diriger un aéroport sans même avoir une voix au conseil d’administration, s’énerve un cadre du secteur. Surtout avec un conseil d’administration aussi politisé. ” Plus de 70 % du capital sont en effet toujours entre les mains d’entités publiques (Sowaer, Sambrinvest, Igretec). Par ailleurs, la rémunération annuelle a été plafonnée à 245.000 euros (hors indexation). Un salaire qui peut décourager certains candidats.

Les six enjeux auxquels sera confronté le prochain patron de l'aéroport de Charleroi

2. Une double casquette contraignante

La gestion d’un aéroport est prenante et fort stressante. C’est, du reste, la raison invoquée par Jean-Jacques Cloquet pour justifier son départ, alors qu’il est très attaché au poste. ” C’est une grande famille ” dit-il aujourd’hui en parlant de l’entreprise. Une très grande famille en effet car, contrairement aux habitudes, l’aéroport de Charleroi assure lui-même la principale fonction de service aux compagnies aériennes, le handling, à savoir la gestion des comptoirs passagers) et du flux des bagages. Les aéroports évitent généralement de devoir assurer eux-mêmes ce service qu’ils sous-traitent (par exemple à Swissport et Aviapartner pour Zaventem), tout comme d’autres tâches opérationnelles (parking, restaurants, commerces, sécurité, etc.). Ils préfèrent se concentrer sur la recherche de nouveaux clients et le développement de l’infrastructure.

Cette intégration a des avantages. ” Elle permet d’être plus réactif pour les compagnies, argue Jean-Jacques Cloquet, on l’a montré avec Air Belgium. ” Et lorsque la gestion sociale est bonne, cela évite des troubles comme en a connu l’aéroport de Bruxelles, où la grève de l’opérateur Swissport a plusieurs fois perturbé les vols. Reste que ce choix d’assurer le handling alourdit le travail du manager de l’aéroport. Il est par exemple déjà arrivé que Jean-Jacques Cloquet lui-même prête main-forte aux handlers pour faire transiter des bagages…

Aujourd’hui, ce personnel de handling représente la majorité du personnel de l’aéroport de Charleroi, au moins 500 personnes sur un total de 700. L’effectif total est ainsi proche de celui de Brussels Airport, qui attire pourtant trois fois plus de passagers. L’aéroport de Bergame (Italie), dont Ryanair est un client dominant, compte, lui, 498 salariés, mais pour 12 millions de passagers.

3. Un client pesant, Ryanair

C’est la force et la faiblesse de l’aéroport de Charleroi : Ryanair. La compagnie irlandaise est à la base de la croissance de BSCA, mais a créé une dépendance que tous les efforts de diversification n’ont guère modifiée. En 2017, Ryanair pesait encore 78 % du trafic. Cette réalité est certes moins aiguë qu’il y a 10 ans (85,8 % en 2008) mais rend l’aéroport sensible aux crises qu’elle peut connaître, notamment les grèves récentes. Et l’arrivée du long courrier Air Belgium, en juin dernier, ne devrait pas changer cet état de fait. Cette compagnie prévoyait 500.000 passagers par an en vitesse de croisière, soit un bon 6 % du trafic actuel. Mais on sait qu’elle est pour l’instant loin d’arriver à cet objectif. Pour rappel, elle vient d’annoncer la suspension, pour l’hiver, de son unique ligne régulière Charleroi-Hong Kong.

Plusieurs obstacles rendent difficile l’arrivée d’une compagnie importante à Charleroi. Avec ses coûts bas, Ryanair fait peur aux concurrents, et peu de compagnies ont envie de l’affronter d’aussi près. Et aux heures de pointe, l’infrastructure atteint aussi ses limites en matière de capacité. Tout le contraire des heures creuses, que le gestionnaire verrait bien remplies par du long courrier. L’aéroport devrait pouvoir attirer plus de vols lointains après avoir allongé sa piste de 2.550 à 3.200 mètres, en 2021. De quoi accepter des avions de grande taille à pleine charge.

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4. Une rentabilité trop faible

L’aéroport de Charleroi connaît une croissance continue. Mais pour agrandir l’aérogare et d’autres structures d’accueil, il faut dégager une marge brute suffisante. Hélas, celle-ci est devenue trop faible. L’aéroport, pour attirer des compagnies low cost comme Ryanair, a en effet fixé des tarifs de redevance très bas : 2,4 euros (50 % de réduction au dessus de 200.000 passagers). Contre 28 euros à Brussels Airport, 8,4 euros à Liege Airport, et plus de 10 euros à Anvers et Ostende.

Comparaison frappante : l’aéroport de Bergame, qui a une dépendance identique à Ryanair (plus de 80 % du total des passagers), facture un montant deux fois plus élevé : 5,51 euros par adulte pour des vols européens. La compagnie irlandaise n’a en pas pour autant déserté l’aéroport, qui reste très compétitif. Cela a permis à Bergame de dégager un Ebitda (bénéfice avant taxes, amortissements et intérêts) de 24 % du chiffre d’affaires (32,7 millions d’euros sur 135,4 millions d’euros), contre à peine 12 % pour BSCA (8,3 millions pour un CA de 69,7 millions d’euros). Bergame peut dès lors investir davantage dans l’aérogare, qui est un énorme centre commercial. Quant à son bénéfice net, il est de 10 % du chiffre d’affaires (même niveau que Brussels Airport), alors que celui de Charleroi n’arrive qu’à 1,5 %.

Il faut savoir que le taux de rentabilité du chiffre d’affaires attendu d’un aéroport, pour des investisseurs privés, se situe en général entre 6 % et 10 % de marge. Charleroi atteignait largement ce niveau jusqu’à ce que la Commission européenne ne l’enjoigne, en 2014, à payer une redevance plus importante pour l’utilisation d’infrastructures qui, pour l’essentiel, ne lui appartiennent pas (pistes, bâtiments, parkings, terrains). Son propriétaire ? La Région wallonne à travers la Sowaer (Société wallonne des aéroports), qui perçoit une location. Ce montant versé avait été jugé trop faible par la Commission, qui estimait qu’il faisait office de subside indirect. Depuis 2014, BSCA paie donc 12 millions de plus par an à la Sowaer. Pour améliorer la rentabilité, il faudrait donc augmenter les recettes. Augmenter la redevance aéroportuaire est une solution mais l’aéroport de Charleroi n’a jusqu’ici pas osé, de peur de voir Ryanair réduire son trafic. ” C’est pourtant une nécessité, estime un expert du management aéroportuaire international. Il faudrait le faire en budgétant un risque de perte de trafic de Ryanair. Au bout du compte, cela donnerait un business model plus sain pour l’aéroport. ” Passer à 4 ou 5 euros n’aurait en effet pas un impact énorme sur les tickets, et on ne voit pas Ryanair trouver aisément un aéroport proche de Charleroi usant d’un tarif comparable. Mais il faudrait un manager prêt à entamer ce bras de fer et un conseil d’administration qui le soutienne.

La voie privilégiée actuellement pour augmenter les recettes touche donc aux activités non directement aéroportuaires (commerces, horeca, etc.). Mais elle est très limitée car les moyens d’investissement pour augmenter les surfaces commerciales sont freinés par un excédent brut d’exploitation (Ebitda) trop modeste. Dernière initiative retenue récemment : installer des commerces dans les locaux utilisés par l’administration de l’aéroport, qui a quitté l’aérogare.

Notons qu’un plan de développement va être mis en place à partir de l’an prochain pour estimer quelles extensions construire d’ici 2030. Mais il ne va pas régler la question de la rentabilité, juste déterminer à quel rythme il faudrait idéalement agrandir aérogare et parkings.

5. Un actionnaire privé récalcitrant

L’aéroport de Charleroi souffre d’un actionnariat privé malvenu. La situation est absurde. Voici une décennie, le gouvernement wallon a voulu attirer un professionnel des aéroports pour dynamiser Brussels South, trouver de nouveaux clients. Plusieurs candidats se sont présentés, dont le chinois HNA qui promettait un terminal long-courrier à 40 millions d’euros et des vols vers la Chine (déjà), et l’italien Save, qui gère les aéroports de Venise et de Trévise. C’est ce dernier qui l’a emporté, en association avec le Holding Communal pour une part minoritaire. Ensemble, ils possèdent 27,64 % de BSCA depuis 2009.

Mais l’apport de Save n’a pas été très visible. Disons qu’il y a eu un malentendu : le groupe italien espérait manifestement prendre les rênes de l’aéroport, ce qui ne fut pas le cas. Il s’est alors contenté d’encaisser les dividendes, abondants les premières années, et quasi taris après la décision de la Commission européenne. L’actionnaire privé a alors freiné des quatre fers sur une extension de l’aéroport de 80 millions d’euros, qui visait à faire face à la saturation aux heures de pointes. Il a fallu se contenter d’un mini aérogare à 15 millions d’euros, le T2, pas bien pratique, isolé du hall principal. Save serait prêt à partir, mais il faut trouver un actionnaire privé de rechange, prêt à une rentabilité modérée.

Autre solution : modifier le business model global de l’aéroport afin d’en faire une infrastructure à 100 % publique, qui accepterait une rentabilité symbolique. Mais ce n’est visiblement pas l’objectif du gouvernement wallon.

6. Le passage au régime de la licence

Dernier dossier à affronter pour le futur manager : le passage d’un régime de concession à un régime de licence. Pour l’heure, BSCA et Liege Airport assurent la gestion des aéroports de Charleroi et de Liège sur la base d’une concession limitée à 2041. Cela pose des soucis à Liège car il est impossible d’obtenir un crédit hypothécaire sur cette base. Plus difficile, dès lors, d’attirer des entreprises. Il faudrait donc que le gestionnaire dispose de droits réels, une emphytéose par exemple.

La situation est similaire à Charleroi, où BSCA commence à financer elle-même des infrastructure sur des terrains sur lesquels elle ne dispose pas de droits réels (parkings, aérogare T2).

Le ministre en charge des aéroports wallons, Jean-Luc Crucke, a lancé cette réforme avec l’objectif de passer à un régime de licence avant les élections régionales de mai 2019. Mais cela signifie qu’il y aura appel d’offres. Les candidats devront proposer des plans de développement. En théorie, une offre concurrente pourrait l’emporter face à BSCA (ou Liege Airport), qui perdrait donc la gestion de l’aéroport. Que deviendrait alors son nouveau directeur général ? Ne faut-il pas plutôt nommer un manager ad interim en attendant que cette question soit réglée ?

“Travailleur et ambitieux”

“Le départ de Jean-Jacques Cloquet n’était pas prévu”, rappelle Jean-Luc Crucke, ministre en charge des aéroports wallons. Le profil de son successeur devrait donc ” lui être assez semblable : travailleur, ambitieux, avec le sens du contact de la réalité du terrain. Mais c’est au conseil d’administration de BSCA de prendre sa décision”. L’élu MR affirme ne pas vouloir s’en mêler, se limitant à pousser le projet de décret qui met en place le dispositif de licence pour les aéroports.

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