Les pop-up stores peuvent-ils redynamiser nos centres-villes ?
Alors qu’un projet de décret vise à favoriser l’émergence de magasins éphémères dans les centres-villes wallons en instaurant un bail commercial de courte durée, l’Inspection économique s’intéresse de près à ces nouveaux commerces et à leur impact sur le marché. Alors, les pop-up, sauveurs ou fossoyeurs du petit commerce indépendant ?
Le phénomène a fait son apparition il y a quelques années déjà. Mais il devrait bientôt subir un sacré coup de fouet. En modifiant le Code civil pour y instaurer un bail commercial de courte durée ( lire l’encadré plus bas), un projet de décret wallon entend en effet ” favoriser l’émergence de magasins éphémères dans les centres-villes ” et ” permettre aux (jeunes) entrepreneurs d’essayer de nouveaux concepts de magasins sans engagement à long terme “. Le gouvernement voit ainsi dans les pop-up stores un levier – parmi d’autres – de redynamisation des centres-villes confrontés à une augmentation constante du nombre de cellules commerciales vides.
Ces magasins ” éclairs ” suscitent toutefois pas mal de questions. Dans un document que nous avons pu consulter, l’Inspection économique explique qu’elle organisera cette année ” une enquête générale relative aux pop-up stores dans le but d’examiner dans quelle mesure ce secteur influence le marché, la concurrence ainsi que les conséquences pour la protection du consommateur “. Elle se rendra sur le terrain pour ” contrôler si les obligations légales déjà d’application sont respectées ” mais également pour ” aider les différents pouvoirs locaux et régionaux à légiférer en la matière “.
Alors, les pop-up stores peuvent-ils vraiment redynamiser les centres urbains ? A quelles conditions ? Faut-il encadrer cette activité ? Nous avons mené l’enquête.
Un risque de concurrence déloyale
La solution du magasin éphémère peut être intéressante pour les jeunes entrepreneurs souhaitant lancer un produit. ” Cela leur permet d’avoir plus facilement accès au marché, assure Guénaël Devillet, directeur du Service d’étude en géographie économique fondamentale et appliquée (Segefa) à l’ULg. Un bail de courte durée permet de s’engager avec beaucoup moins de charges. Par ailleurs, il est intéressant de cibler la période la plus porteuse de l’année. Le seul côté négatif pour le commerçant, c’est qu’il doit partir à l’issue du bail de courte durée, même si son concept fonctionne bien. ”
Cet expert met toutefois en garde contre le risque de concurrence déloyale vis-à-vis du commerce existant. ” Si le secteur des pop-up stores est laissé à la libre concurrence, une concurrence directe peut s’instaurer avec les commerces en place et qui vivotaient, prévient-il. Il faut donc encadrer ce type de commerces pour jouer la complémentarité et pas la concurrence. Si ces magasins éphémères proposent une autre offre, cela devient intéressant pour l’ensemble du centre-ville car les magasins éphémères ont un ‘effet communication’ qui permet de faire de la publicité au centre-ville et de booster son attractivité. ”
Limiter les pop-up à certaines zones ?
Hélène Ancion, elle, n’y croit pas trop. Chargée de mission en aménagement du territoire au sein de la Fédération Inter-Environnement Wallonie, celle qui a pas mal travaillé sur les dynamiques commerciales en centre-ville se pose la question de savoir si c’est vraiment de ce type d’activité dont ont besoin les communautés urbaines. ” Cela ne permet absolument pas de redynamiser les villes, dit-elle. Car ce sont des activités éphémères. Trois mois plus tard, les clients ne retrouveront plus ce qu’ils ont acheté. Cela pose évidemment la question de la garantie sur les objets vendus dans ces magasins. ” Notre interlocutrice relève par ailleurs la concurrence que ces points de vente ” éclairs ” exercent sur les commerçants déjà installés. “Ce genre de commerce limite la capacité des autres à faire commerce, n’hésite-t-elle pas à affirmer. Beaucoup de magasins de ce type vendent des articles de table, de l’électroménager, etc. Ils se trouvent en concurrence directe avec les petits magasins de centre-ville.”
Gwénaël Devillet maintient : “Le fait de pouvoir créer un pop-up store est un avantage. Mais il est logique que le secteur soit réglementé afin d’éviter toute concurrence déloyale. Les pop-up, OK, mais à condition qu’ils apportent un intérêt à la collectivité. Les pouvoirs publics ont ici une fonction de péréquation. On pourrait par exemple imaginer l’instauration d’une différenciation zonale qui autorise les pop-up stores dans une zone limitée.” Hélène Ancion propose pour sa part la mise en place par les pouvoirs publics de cellules jouant le rôle d’incubateurs de commerces. ” Ce serait idéal pour les commerçants qui souhaitent se lancer, dit-elle. L’avantage, c’est qu’elles seraient perpétuellement occupées, ce qui n’est pas le cas des cellules accueillant des magasins éphémères. ”
“S’installer avec moins de contraintes”
Devant les craintes concernant la multiplication des pop-up stores, Nicolas Martin, Premier échevin (PS) en charge du développement économique à la Ville de Mons, veut relativiser. ” Les magasins éphémères ne sont qu’un moyen parmi d’autres de redynamiser les centres-villes, et absolument pas le moyen essentiel et prioritaire, assure celui qui avait déposé l’année dernière une proposition de décret similaire au projet dont il est question aujourd’hui. L’objectif de ce projet de décret est plutôt de limiter les risques des porteurs de projet et de permettre à tout commerçant de s’installer avec moins de contraintes plutôt que de favoriser la multiplication des pop-up stores. Le but est de permettre de tester la viabilité d’un concept avant de passer à un investissement durable et un bail commercial classique. ”
Ils sont en tout cas nombreux, tant commerçants que propriétaires, à attendre l’arrivée du bail commercial de courte durée. Pour un propriétaire, le fait de louer son bien en vue d’une occupation éphémère comporte plusieurs avantages. Cela permet de faire rentrer rapidement un loyer tout en disposant de son bien. Par ailleurs, l’enseigne va souvent rénover en partie la cellule, ce qui apporte une plus-value au local. ” Le côté négatif, c’est qu’après la durée du bail, le propriétaire n’a plus de garantie “, souligne Guénaël Devillet.
“Eviter les dérives ne sera pas simple”
” Aujourd’hui, les deux parties signent la plupart du temps une convention de mise à disposition à titre précaire, explique Jean-Luc Calonger, président de l’Association du management de centre-ville. Et c’est l’insécurité juridique qui domine. Tout d’abord pour le propriétaire. Ce type de convention peut très rapidement être transformé en bail commercial classique si un juge décide de la requalifier. Voyant que son affaire fonctionne bien, il suffit que le commerçant aille trouver un juge et le propriétaire ne peut rien faire. ” Mais l’incertitude se trouve aussi du côté du porteur de projet. ” Tant que tout va bien, ça va, assure le responsable. Mais si le commerçant fait des modifications dans la cellule, le propriétaire peut tout à fait lui demander de tout remettre en état, voire de payer des indemnités. Le bail de courte durée va permettre d’encadrer beaucoup mieux l’occupation de l’espace. ”
Si le projet de décret relatif au bail commercial de courte durée apporte une sécurité juridique qui peut rassurer les propriétaires et les porteurs de projets, il n’encadre pas spécifiquement le développement des magasins éphémères. ” C’est la porte ouverte aux pop-up stores, affirme Jean-Luc Calonger. Reste maintenant à encadrer cette activité. C’est un travail qui doit être effectué par les structures de gestion des centres-villes mais qui va se heurter à la logique de la libre concurrence. Eviter les dérives ne sera pas simple. “
Le projet de décret wallon relatif au bail commercial de courte durée prévoit plusieurs règles spécifiques. Il y a tout d’abord la durée du bail, égale ou inférieure à un an. La sous-location et la cession de bail sont, quant à elles, interdites, sauf si les parties expriment expressément leur accord. Les reconductions sont par ailleurs admises aux mêmes conditions que le bail initial et pour autant que la durée totale de location n’excède pas un an. Si, à la fin de la durée convenue, le preneur reste dans les lieux et les occupe pour une durée supérieure à un an sans opposition écrite du bailleur, le bail est réputé avoir été conclu pour une durée de neuf ans. Au niveau du loyer, celui-ci comprend les impôts, taxes redevances et charges auxquels l’immeuble est assujetti. Le preneur peut enfin mettre fin au bail à tout moment à condition qu’il respecte un préavis d’un mois, celui-ci prenant cours le premier jour du mois qui suit la notification.
Par rapport à la proposition de décret déposée l’année dernière par Nicolas Martin (PS), échevin en charge du développement économique à la Ville de Mons, on constate quelques différences. La sous-location totale ou partielle était autorisée et les reconductions étaient permises sans que la durée totale ne puisse dépasser deux ans. Enfin, le texte déposé par le socialiste prévoyait une garantie locative pouvant être limitée à un mois de loyer. Un point qui n’a pas été retenu dans le projet gouvernemental.
Depuis un an, le site web urbanretail.be, exclusivement dédié aux magasins éphémères en Wallonie, permet de mettre en relation les porteurs de projets et les propriétaires d’espaces commerciaux situés dans les centres-villes wallons. Porté par l’Association du management de centre-ville, le projet a été entièrement financé par la Région wallonne. ” Au niveau de l’ANCV, nous avions fait le constat de la multiplication des cellules commerciales vides en centre-ville, explique Jean-Luc Calonger, son président. Les propriétaires, eux, n’étaient pas contre plus de souplesse. Nous en avons parlé dans le cadre du plan Wallonie Commerce et nous avons lancé la plateforme gratuite. ”
Concrètement, les propriétaires qui le désirent peuvent y poster les espaces commerciaux qu’ils souhaitent louer pour une période courte. Les entrepreneurs, eux, peuvent venir exposer leurs projets. Il leur suffit d’envoyer un mail aux propriétaires qui les intéressent et ces derniers ont deux jours pour accepter. ” A ce jour, il nous est impossible de savoir combien de deals ont été noués via la plateforme. Nous constatons simplement la concrétisation des magasins sur le terrain. Nous sommes toutefois en train de créer un système qui ferait que nous soyons avertis par les propriétaires lorsqu’ils acceptent un projet. ” D’après notre interlocuteur, 300 biens seraient aujourd’hui disponibles via la plateforme. ” Il y a les propriétaires qui acceptent de louer via une convention de mise à disposition à titre précaire, et puis la grande majorité qui attend d’avoir accès au bail de courte durée avant poster publiquement leur annonce. “
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