Les logiciels de traduction remplaceront-ils l’humain?

© Getty Images/iStockphoto

Jamais les entreprises n’ont autant fait appel aux logiciels de traduction. Un danger pour les experts ” humains ” du secteur ? Pas sûr : le marché est en croissance. Et ceux qui se spécialisent et investissent dans la formation devraient toujours garder leur longueur d’avance.

La traduction, c’est désormais un jeu d’enfant. Copiez un texte anglais, collez-le sur Google Translate, relisez le résultat en français et adaptez-le à votre sauce. En quelques clics, vous voilà traducteur de l’anglais vers le français. Mais attention, les petites erreurs peuvent s’avérer lourdes de conséquences. Dans le secteur économique et financier, la devise américaine s’écrit par exemple ” USD ” et non ” dollar “, pour éviter la confusion avec le dollar australien ou jamaïcain. ” Et en anglais, le terme fair value se traduit normalement en néerlandais par reële waarde et en français par ‘juste valeur’, relate Dominique Jonkers, ancien banquier reconverti en traducteur avec sa société Jonkers and Partners. Mais si vous optez en français pour le terme de ‘valeur réelle’, votre phrase aura totalement perdu son sens. ”

Un logiciel de traduction automatique peut commettre des erreurs qu’un garçon de huit ans ne ferait pas.

Dieu sait d’ailleurs que le jargon financier évolue vite. La modification des IFRS, les normes comptables internationales, ou encore l’arrivée des règlements RGPD exigent une adaptation constante de la part du traducteur. C’est une des raisons pour lesquelles 120 membres de cette profession, venus de différents pays, se sont réunis début juillet au centre de Bruxelles. S’y tenait ” L’Université d’été de la traduction financière. “

Une occasion pour les traducteurs, qui travaillent souvent de manière solitaire, d’échanger autour du métier, de se former et d’évoquer les enjeux de demain.

10.000 mots par jour

La traduction est confrontée à un problème de taille : l’arrivée sur le marché de traducteurs automatiques comme Google Translate ou Bing Microsoft Translator. Selon une étude européenne, 2018 est la première année où plus de 50 % des agences et professionnels de la traduction dans le monde ont eu recours à la machine. Assiste-t-on dès à présent à la mort à petit feu de l’expertise humaine ? ” Jamais le traducteur automatique ne remplacera l’humain, assure Dominique Jonkers, organisateur de l’Université d’été à Bruxelles. Avant la crise, les banques inventaient chaque semaine des nouvelles offres, des noms de prêts ou de crédits. Depuis, ce sont les autorités qui créent à leur tour très régulièrement de nouveaux termes. Bref, un traducteur doit connaître le milieu et les nouveautés, la personne qui se trouve derrière un discours qu’il traduit ou encore la manière dont un organisme fonctionne. C’est vrai, la technologie est parvenue à réaliser des choses encore inimaginables hier. En contrepartie, un logiciel de traduction automatique peut commettre des erreurs qu’un garçon de huit ans ne ferait pas. ”

L’atout majeur de la machine est bien évidemment la rapidité d’exécution. Un traducteur de la Commission européenne traduit par exemple en moyenne 2.500 mots par jour, alors qu’une personne ayant recours à la traduction automatique peut parfois aller jusqu’à 10.000 dans le même laps de temps ! Mais le métier n’est pas tout à fait le même. Dans ce dernier cas, on ne parlera d’ailleurs plus de traduction, mais de post-édition, soit la relecture d’un document passé au préalable par un logiciel tel que Google Translate.

Dominique jonkers
Dominique jonkers “Un traducteur doit connaître le milieu, voire la personne derrière le discours qu’il traduit.”© pg – Fred Carton

Marché du vrac

Mais quelles sont ces entreprises qui passent par un correcteur automatique ? On parle notamment des sites internet à gros volume d’informations, surtout pour des sujets légers comme la gastronomie, les voyages ou le commerce en ligne. Ainsi, des sites comme Booking.com, TripAdvisor ou Amazon ont recours à des traducteurs dits low cost. Leur rôle est de relire des commentaires d’utilisateurs qui sont déjà passés par une machine, afin de réduire les erreurs de langage. ” C’est ce qu’on appelle le marché de la traduction en vrac, explique Christine Durban, éminente traductrice spécialisée en économie et en finance. Mais je conseillerais à ces gens-là de se remettre en question. Car ce sont ceux qui traduisent comme des machines qui sont le plus en danger face à l’automatisation du secteur .”

Une automatisation qui, pourtant, rend parfois de fiers services. ” Je suis traductrice indépendante basée en France, essentiellement pour la finance, explique Audrey Prost, participante à l’Université d’été. Je traduis de l’anglais et de l’allemand vers le français. En règle générale, un traducteur est aidé d’un logiciel, dont les plus connus sont SDL Trados ou Star Transit. Mais contrairement à ce qu’on pourrait penser, ces logiciels ne sont pas des traducteurs automatiques. Le logiciel retient des textes que nous avons traduits auparavant. Dès qu’il y a une répétition, il restitue le contenu précédent. Et si une phrase n’a jamais été vue, le traducteur l’emmagasine. ”

En Belgique, des traducteurs spécialisés en économie et finance, il devrait y en avoir seulement une dizaine.

” Le volume de mots à traduire a considérablement augmenté ces dernières années, poursuit Aurélie Lemarteleur, traductrice française basée depuis 10 ans à Bruxelles. L’avantage de la technologie, c’est qu’un gestionnaire de projet peut consacrer un plus petit budget pour des textes qu’il n’est pas nécessaire de comprendre dans le détail. En contrepartie, il peut consacrer un budget plus important à la traduction premium. ” Car un traducteur n’est pas l’autre. S’il existe, outre le métier de post-édition, des opérateurs ” généralistes “, le secteur ac- cueille aussi des traducteurs possédant davantage de plus-value, car maîtrisant des savoirs très techniques. On parle ici de l’économie, de la finance, du droit, de la médecine, de l’ingénierie, de la sécurité ou de la défense. ” Ces domaines-là sont relativement épargnés par la traduction automatique, souligne Christine Durban. D’abord parce qu’il faut une expertise. Ensuite parce qu’il est compliqué voire interdit d’utiliser un traducteur automatique pour certains contenus. Un texte passé par Google Translate devient la propriété de Google. Or un traducteur signe en général une clause de confidentialité avec son client pour des sujets sensibles (annonce de rachats, entrées en Bourse, changement dans le conseil d’administration, etc.). ”

Les logiciels de traduction remplaceront-ils l'humain?
© belgaimage

43 milliards en 2017

Cette profession peut donc se révéler nettement moins précaire que certains l’avancent. ” Un traducteur facture généralement au mot, parfois à la ligne ou encore à l’heure, détaille Christine Durban. Cela peut passer de 7 centimes le mot pour de la post-édition à 70 centimes le mot pour des traductions premium. C’est donc un rapport de un à 10. J’ai déjà facturé des travaux urgents et importants à plus de 200 euros l’heure. ” D’autant que ces spécialistes sont recherchés. En Belgique, malgré notre réputation en matière de connaissance des langues, ils se comptent presque sur les doigts d’une main. ” Chez nous, des traducteurs spécialisés en économie et finance, il devrait y en avoir une cinquantaine, voire même seulement une dizaine, estime Dominique Jonkers. Nous cherchons régulièrement les perles rares. Et encore, nous parlons ici de traducteurs travaillant vers le français. Inutile de vous dire que ceux vers le chinois ou le russe sont encore plus recherchés ! ”

Malgré la concurrence de la machine, le marché de la traduction n’est donc pas aussi morose qu’il n’y paraît. En 2017, le secteur de la traduction professionnelle pesait un chiffre d’affaires de 43 milliards de dollars. Et la croissance est estimée à près de 6 % par an, dont plus de la moitié générée par des entreprises européennes. Certes, l’étude ne dit pas si la croissance est portée sur l’ordinateur ou l’humain. Mais selon les spécialistes, tout porte à croire que ce dernier a encore une bonne longueur d’avance.

Par Géry Brusselmans.

“La traduction automatique atteint sa limite”

Guillaume Deneufbourg
Guillaume Deneufbourg© pg

Guillaume Deneufbourg est président de la Chambre belge des traducteurs et interprètes. L’homme en appelle à une nouvelle structuration du métier.

TRENDS-TENDANCES. Le marché belge de la traduction se porte-t-il bien ?

Guillaume Deneufbourg. Il y a du boulot pour tout le monde et les entreprises sont à la re- cherche de bons traducteurs, à savoir des personnes avec une bonne formation et qui continuent à se former durant leur carrière. Les entreprises qui ont pour uni- que argument le prix se dirigeront vers de la main-d’oeuvre à bas coût. Comme ceux qui sont juste bilingues et font des traduc tions pour arrondir leurs fins de mois.

L’arrivée sur le marché de ces traducteurs non formés ne risque-t-elle pas d’entraîner une précarisation du secteur ?

De plus en plus de traductions se font effectivement via ce qu’on appelle la post-édition. Il s’agit de relire un texte qui a été passé dans un traducteur automatique afin de corriger de grosses erreurs. L’autre gros danger, c’est quand des traducteurs se disent premium mais cassent les prix en utilisant des traducteurs automatiques. Le métier perd ainsi en crédibilité, d’où la nécessité de renforcer l’encadrement du secteur. Il n’y a aujourd’hui pas d’accès à la profession. La Chambre belge des traducteurs et interprètes compte 500 traducteurs et interprètes inscrits, mais il est difficile de connaître le nombre exact de traducteurs actifs sur le territoire.

Ne craignez-vous pas que d’ici quelques années, l’expertise des logiciels de traduction automatique ne finisse tout de même par dépasser celle des humains ?

Non, je pense que nous avons atteint un plafond, que l’ordinateur est arrivé au bout des possibilités d’interprétation. La traduction automatique se base en effet sur les textes disponibles sur Internet, sur le mode to feed the robot, une expression qui rappelle que c’est le texte qui nourrit la machine. Suivant ce raisonnement, plus il y aura des traductions automatiques présentes sur Internet, plus la qualité de la langue s’y dégradera. Du coup, les moteurs de recherche piocheront dans des textes qui se révéleront de moins en moins bons.

DeepL, la concurrence européenne de Google Translate

Vu la croissance constante du nombre de documents à traduire, nombreuses sont les entreprises à investir le terrain de la traduction automatique. Parmi les acteurs les plus connus, citons le plus grand, Google Translate, et l’outsider, Bing Translator, de Microsoft. Mais un nouveau concurrent à prétention mondiale vient de débarquer sur le marché : DeepL. Construite sur les bases du célèbre site en ligne Linguee, DeepL est une entreprise de Cologne portée par des linguistes et des informaticiens. Lancé en août dernier, son programme ne propose certes actuellement ” que ” sept langues mais, d’après les experts, les premiers tests sont très concluants. En comparaison avec Google Translate, DeepL proposerait ainsi beaucoup plus de nuances et de relief. Avec sa puissance, il aurait par ailleurs la capacité de traduire 1 million de mots en moins d’une seconde. Suffisant pour contrecarrer Google Translate ? L’outil américain propose aujourd’hui pas moins de 103 langues et avance le chiffre de 100 milliards de mots traduits par jour, investissant plus que jamais dans le champ de l’intelligence artificielle…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content