Les films d’animation, un secteur en plein boom

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Quel est le point commun entre “Ernest et Célestine” nommé aux Oscars, “Loulou – L’incroyable secret” sélectionné aux César et “Minuscule” fraîchement sorti sur nos écrans ? Ces 3 films d’animation renferment une sacrée dose de talent belge. Gros plan sur un secteur en plein développement.

Grand-messe annuelle du film d’animation en Belgique, le festival Anima ouvre officiellement ses portes ce 28 février à l’espace Flagey à Bruxelles. Au programme : une quinzaine de longs métrages inédits et pas moins de 143 courts métrages venus de plus de 30 pays pour une audience généralement estimée à 35.000 spectateurs. Si l’excitation se déguste évidemment dans les salles obscures, nul doute que, le jour de l’inauguration, une grande partie du public aura également les yeux tournés vers les Césars 2014 organisés ce soir et où se classe une coproduction franco-belge, Loulou – L’incroyable secret, dans la catégorie du Meilleur film d’animation. Mais c’est surtout deux jours plus tard, du côté de Los Angeles, que la tension sera à son comble avec les résultats de la cérémonie des Oscars. Egalement nommé dans la catégorie du Meilleur film d’animation, mais cette fois à Hollywood, la coproduction franco-belgo-luxembourgeoise Ernest et Célestine pourrait bien rafler la précieuse statuette dorée.

Réalisé par le Français Benjamin Renner et le tandem belge Vincent Patar et Stéphane Aubier (déjà connus pour leur fameux Panique au Village avec Cowboy et Indien), le raffiné Ernest et Célestine est l’outsider des Oscars 2014 face au blockbuster Frozen des studios Disney. Mais quel que soit l’issue du résultat, l’aventure est déjà gagnante pour les deux réalisateurs belges et pour les quatre producteurs du film qui ont investi 9 millions d’euros dans l’aventure. “Le simple fait d’avoir une nomination aux Oscars ouvre déjà des portes, commente Stephan Roelants, patron belge de la société luxembourgeoise Melusine Productions qui a financé 18 % du budget. Car c’est un label qui permet d’entrer plus facilement dans un cercle de négociations internationales et qui accélère forcément le business.”

Dans la cour des grands

Fort de ses 1,2 million de spectateurs déjà comptabilisés en France et en Belgique et d’une distribution effective dans plus de 30 pays, Ernest et Célestine bénéficiera non seulement de nouvelles retombées internationales si jamais l’Oscar du meilleur film d’animation lui revient, mais boostera aussi la renommée de tout le secteur belge. “Ce serait une juste récompense pour toute l’animation en Belgique et cela donnerait un joli coup de projecteur sur une activité qui est moins glamour que le cinéma classique, enchaîne Serge de Poucques, président d’anim.be, l’association professionnelle des producteurs et studios d’animation belges, et cofondateur de la maison de production Nexus Factory. Parce que, d’un point de vue international, la Belgique joue déjà dans la cour des grands avec un professionnalisme et une qualité de travail très appréciés à l’étranger, mais qui ne sont pas forcément reconnus chez nous.”

Avec 21 membres sur la trentaine de producteurs et studios dédiés à l’animation en Belgique, l’association anim.be représente la grande majorité du secteur et quelque 1.000 personnes actives sur notre territoire (lire l’encadré sur les chiffres du secteur en-bas). Parmi eux, figurent de toutes petites structures mais aussi les deux plus gros studios du marché belge installés à Bruxelles, à savoir Walking the Dog (Les Triplettes de Belleville, Un Monstre à Paris, etc. ) et nWave, le leader du secteur avec 130 employés dans ses bureaux. Fondé par le réalisateur Ben Stassen, ce studio de Forest compte notamment à son actif Fly me to the Moon, le premier film d’animation belge en images de synthèse et premier film au monde à avoir été exclusivement conçu pour une projection en relief, et Le Voyage extraordinaire de Samy qui reste à ce jour le film belge le plus vu dans le monde.

Un marché en plein boom

Côté wallon, c’est DreamWall qui tient le haut de l’affiche, porté par son quatuor d’actionnaires que sont les Editions Dupuis, la RTBF, Wallimage Entreprise et Sambrinvest. Situé à Marcinelle, ce studio d’animation et de graphisme créé en 2007 s’est taillé une jolie réputation en réalisant des séries de dessins animés pour la télévision comme Le Petit Spirou et Garfield (de nouveaux épisodes de Boule et Bill sont en préparation), mais aussi des longs métrages tels que Loulou – L’incroyable secret aujourd’hui nommé aux Césars. Avec un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros en 2013 (plus de 4 millions prévus en 2014), DreamWall emploie 15 personnes à temps plein et une vingtaine d’autres par an en CDD, selon les projets en cours. Au programme ambitieux de cette année 2014 : le film Red Turtle du Néerlandais Michael Dudok de Wit (couronné de l’Oscar du meilleur court métrage d’animation en 2000) et surtout le blockbuster Astérix – Le domaine des dieux qui sortira à l’automne prochain (lire l’encadré “Astérix, une fois”).

“Après un véritable creux dans les années 1980, la Belgique a fini par renouer avec la très bonne réputation qu’elle avait acquise dans les années 1960 et 1970 avec les studios Belvision qui ont produit plusieurs Astérix et Tintin au cinéma, constate Philippe Moins, codirecteur du Festival Anima, qui contribue fortement à la culture belge de l’animation. Grâce aux nouvelles technologies beaucoup plus accessibles mais surtout aux talents de nos animateurs, la Belgique peut désormais revendiquer la place de n°2 européen dans ce secteur, juste derrière la France, tant d’un point de vue qualitatif que d’un point de vue économique.” Un avis que partage également Philippe Reynaert, directeur de Wallimage, le fonds régional wallon d’investissement dans l’audiovisuel, qui soutient fortement le secteur de l’animation. “En 10 ans, nous avons investi 8 millions d’euros dans 37 films et séries d’animation coproduits en Wallonie, pour des retombées économiques trois fois supérieures aux montants débloqués, détaille l’homme aux célèbres lunettes blanches. Ce marché est en plein boom et il est même aujourd’hui créateur d’emplois.”

“La sphère du cinéma d’animation est intéressante à plus d’un titre, enchaîne le ministre wallon de l’Economie Jean-Claude Marcourt. C’est un secteur structurant pour l’économie de la Région par l’importance qu’il représente tant du point de vue artistique que financier, mais aussi par son potentiel de création d’emplois. Aujourd’hui, c’est un secteur à haute valeur ajoutée qui croît de manière exponentielle. En Wallonie, le cinéma d’animation représente 15 % de la production audiovisuelle, mais il génère 25 % de son chiffre d’affaires”.

Un tout grand “Miniscule”

Dopé par les différentes aides régionales mais aussi par le mécanisme fédéral du tax shelter qui a fortement contribué à sa renaissance, le secteur de l’animation séduit de plus en plus de producteurs français désireux de recourir au talent des Belges. “On en arrive même à refuser des projets, déplore Léon Pérahia, directeur général de Dupuis Audiovisuel et administrateur du studio DreamWall, mais ces sollicitations sont évidemment réjouissantes.”

Preuve en est avec le flambant neuf Minuscule – La Vallée des Fourmis Perdues, à l’affiche depuis ce 26 février chez nous et qui est une coproduction entre les Français de Futurikon et de 2d3D Animations et les Belges de Entre Chien et Loup et des studios Nozon. Fort d’un budget de plus de 10 millions d’euros, ce film d’animation a vu l’essentiel de sa modélisation et de ses effets spéciaux réalisés en Belgique, soit du travail pour une petite trentaine de personnes chez Nozon pendant un an. Déjà sorti en France le mois passé, le film a séduit près d’un million de spectateurs et s’apprête à être distribué dans plus de 40 pays. Sans compter de probables nominations aux Césars et Oscars, cuvée 2015, qui mettront encore un peu plus de lumière sur le savoir-faire belge.

FRÉDÉRIC BRÉBANT

Les chiffres de l’animation belge

Selon Serge de Poucques, président d’anim.be, l’association professionnelle des producteurs et studios d’animation belges, environ 30 millions d’euros seraient dépensés chaque année dans des productions réalisées en Belgique. Près de 700 personnes seraient réellement actives dans l’animation belge, mais si l’on prend en compte les métiers “périphériques” (création de voix, bruitages, musique, montage son, etc.), on peut affirmer que le secteur emploie quelque 1.000 personnes à temps plein.

Sur ces 30 millions investis chaque année dans l’animation en Belgique, “on peut estimer qu’un peu plus de la moitié du financement provient du tax shelter, le tiers de coproducteurs étrangers (majoritairement français) et le solde des différentes aides régionales”, dixit Serge de Poucques.

“Le budget moyen d’un film d’animation de 80 minutes se situe entre 7 et 8 millions d’euros et il mobilise généralement une petite quarantaine de personnes pendant deux ans, du dessin au mix final, ajoute Léon Pérahia, directeur général de Dupuis Audiovisuel. L’investissement est donc considérable et sans coproducteurs étrangers, les films ne se feraient pas. Voilà pourquoi il n’y a jamais de long métrage d’animation 100 % belge en termes de production.”

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