Les festivals, sous tension, peinent à trouver du personnel

CASSE-TÊTE - A la pénurie de main-d'oeuvre s'ajoute une pénurie de matériel due à l'embouteillage des événements culturels. © GETTY IMAGES
Frederic Brebant Journaliste Trends-Tendances  

Effet pervers de la crise sanitaire: le secteur événementiel est aujourd’hui frappé par une double pénurie de main-d’oeuvre et de matériel. Inquiets, les organisateurs de festivals sont les premiers concernés.

C’est un drôle de sourire qui s’esquisse sur le visage des organisateurs de festivals. Après deux éditions sacrifiées sur l’autel du coronavirus, les patrons des Ardentes, Rock Werchter, Couleur Café et autres Francofolies de Spa se réjouissent de retrouver enfin les festivaliers sur leurs plaines. Mais derrière cette joie sincère pointe une inquiétude quant à la maîtrise parfaite des forces en présence. Et là, le sourire se crispe.

En coulisse, le matériel et surtout la main-d’oeuvre font en effet défaut pour assurer le bon déroulement des festivités imminentes. C’est le paradoxe de cette fin de crise sanitaire: contraints à l’immobilisme durant deux années, de nombreux techniciens et intermittents du spectacle se sont tournés vers d’autres métiers pour assurer leur survie. Aujourd’hui, les équipes sont déforcées alors que les événements se multiplient.

“Dans notre secteur, il y a désormais une pénurie de main-d’oeuvre, déplore Pierre-Alain Breeveld, directeur de la société de services techniques Step in Live et président de la Fédération de la culture indépendante. L’interruption forcée des activités artistiques a poussé des personnes précarisées à chercher du travail dans la grande distribution et aussi dans l’e-commerce qui a explosé durant le covid. Aujourd’hui, ces travailleurs ont un emploi plus stable et ils n’ont pas forcément l’envie de revenir.”

L’effet domino

Selon les acteurs de la sphère culturelle, au moins 30% des effectifs dédiés au montage des scènes et au support technique (son, lumière, régie, etc.) auraient ainsi “disparu” avec la pandémie. Ce manque de main-d’oeuvre se fait d’autant plus ressentir aujourd’hui que tous les stages des étudiants inscrits dans des écoles spécialisées comme l’IAD, l’Insas ou l’Inraci ont été annulés durant la crise sanitaire. Même constat pour les stagiaires issus de l’IFAPME, l’institut wallon de formation en alternance: “Avec le covid, il y a eu un effet domino dans la formation des jeunes et leur intégration progressive dans l’entreprise, regrette Vincent Tempels, CEO de la société Arto spécialisée dans le support technique aux arts de la scène et de l’événementiel. Ces étudiants manquent aujourd’hui de bases pratiques et ils ne peuvent pas répondre à la pénurie de main-d’oeuvre qui touche le secteur à un moment critique, puisqu’il y a aussi un embouteillage dans les spectacles et les festivals .”

Après deux ans de disette, le secteur culturel retrouve en effet des couleurs à un rythme effréné. Les concerts qui ont dû être annulés avec la pandémie se bousculent à l’agenda estival alors que cette période est traditionnellement plus calme en raison des festivals. “Les salles tournent aujourd’hui à plein régime, explique Denis Gérardy, directeur du Cirque Royal à Bruxelles. Avant la crise sanitaire, nous proposions en moyenne 150 dates par an. Mais tout s’est arrêté pendant presque deux ans et, avec la reprise de nos activités, la cadence s’est fortement accélérée car il y a du retard à rattraper. Pour 2022, nous avons déjà 220 dates à l’agenda.”

Manque de matériel

Contraints d’absorber les nombreux reports de concerts annulés ces deux dernières années, les salles proposent aujourd’hui une offre de spectacles qui est anormalement élevée, au moment précis où les festivals d’été s’organisent. Au casse-tête de la pénurie de main-d’oeuvre s’ajoute dès lors une pénurie de matériel dans cet embouteillage d’événements culturels. Scènes, échafaudages, régies, haut-parleurs, projecteurs… Le matériel technique vient à manquer, tout comme d’autres infrastructures plus inattendues. “Il devient difficile de trouver des équipes de montage et il faut parfois aller les chercher en Allemagne ou en Angleterre, confie Charles Gardier, organisateur des Francofolies de Spa. Certains produits spécifiques sont aussi devenus des denrées rares, par exemple les containers dont on se sert pour installer des loges ou des bureaux de régie durant le festival. Cela occasionne forcément des surcoûts pour en trouver.”

“On manque aussi de barrières, de plaques de roulage et même de cabines de toilettes mobiles, renchérit Fabrice Lamproye, co-directeur des Ardentes. Comme mes collègues, je vis des tensions et des frayeurs par rapport à la fourniture de matériel et de main-d’oeuvre, mais je ne dirais pas que les festivals sont menacés pour autant. Nous devons simplement faire preuve de créativité pour trouver des solutions alternatives, même si celles-ci sont, au final, plus coûteuses.”

Des prix en hausse

C’est effectivement le constat dressé par tous les acteurs du secteur: avec la pénurie de main-d’oeuvre et de matériel, les prix des fournisseurs ont grimpé, selon l’implacable loi de l’offre et de la demande. “Nos tarifs ont augmenté de 25 à 30%, mais nous n’avons pas d’autre choix, se justifie Vincent Tempels, CEO de la société Arto. Il y a l’index, le prix du diesel qui a explosé – nous avons une grosse consommation de camions pour le transport du matériel – et le prix des freelances qui a lui aussi augmenté en raison du manque de main-d’oeuvre. Mais le vrai problème est que certains festivals n’auront tout simplement pas le matériel technique demandé. Les fabricants sont en rupture de stock à cause du manque de pièces en électronique et nous n’arriverons donc pas à satisfaire tout le monde.”

Pour l’organisateur de festivals, l’exercice d’équilibriste consiste désormais à être certain d’être livré à temps et à absorber les coûts supplémentaires sans trop les répercuter sur le prix des billets, histoire de ne pas refroidir le public. “Le pouvoir d’achat des festivaliers a également été impacté ces derniers mois et on ne peut donc pas exagérer sur le prix des tickets, explique Denis Gérardy, directeur du Cirque Royal et organisateur du festival Les Solidarités. Il y a eu aussi, pendant deux ans, un changement de mode de consommation des loisirs en été, sans parler de la guerre en Ukraine qui a une influence réelle sur la vente des tickets. Il y a un climat de peur qui s’est installé et qui fait que les gens réservent au tout dernier moment.”

Risque d’épuisement

Dans ce contexte de crise multiple, l’édition 2022 des festivals d’été risque donc d’être fortement perturbée. En coulisse, chacun s’active pour que tout se déroule de façon constructive, mais les principaux acteurs restent toutefois dubitatifs. “A l’heure actuelle, on ne peut pas garantir que les organisateurs d’événements prévus fin août auront des équipes en suffisance, conclut Pierre-Alain Breeveld, directeur de Step in Live. La pénurie de main-d’oeuvre et ce phénomène d’embouteillage au niveau des dates font que je dois aujourd’hui refuser des demandes. Mais c’est surtout le risque d’épuisement des équipes qui me fait peur. Le rythme est déjà insoutenable aujourd’hui et le burn-out menace à présent les collaborateurs.”

En guise de solution, le président de la Fédération de la culture indépendante invite le gouvernement à “prendre ses responsabilités” ( sic) vis-à-vis d’un secteur qu’il a jadis qualifié de “non essentiel”. Comment? En mettant rapidement des demandeurs d’emploi au travail via un système de “bourses de formation” pour qu’ils soient vite opérationnels sur le terrain événementiel.

30%

DES EFFECTIFS dédiés au montage des scènes et au support technique auraient “disparu” avec la pandémie.

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