Les erreurs méritent mieux que des sanctions !

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Des erreurs de management, il s’en produit souvent. C’est en acceptant cette (angoissante) vérité qu’une autre manière de les gérer peut voir le jour. Bien loin de la triade “trouvez le coupable, sanctionnez-le et que ça ne se reproduise plus”, le management de l’erreur invite les patrons et chefs d’entreprise à voir les faux pas comme des faits humains et des opportunités potentielles. Aperçu de quelques bonnes pratiques.

Le capitaine Magnus Sundstrøm, pilote de ligne de son état, est aussi, depuis 16 ans, instructeur pour les futurs pilotes de la Scandinavian Airlines, quand il ne développe pas des programmes d’entraînement pour le personnel de cabine. Il sait mieux que quiconque que l’aéronautique est un domaine où chaque erreur peut s’avérer dramatique. “Pour que l’avion devienne le moyen de transport le plus sûr au monde, il a fallu travailler intensément sur notre façon de gérer les erreurs. Et ce que j’en retiens, c’est qu’il est inutile de menacer son personnel et de sanctionner systématiquement ceux qui commettent des fautes. Des erreurs humaines, il s’en produit chaque jour. Nous avons plutôt une politique de reporting, où ce que les personnes impliquées nous racontent vaut plus que les enregistrements des conversations des cabines”, expliquait-il lors d’une conférence organisée il y a peu par la Solvay Brussels School (ULB).

Solvay, avec l’appui du Fonds InBev-Baillet Latour, vient de lancer une chaire d’étude sur un thème à la fois crucial et relativement peu défriché : le management des erreurs. Des erreurs humaines, s’entend, et à un niveau décisionnaire élevé, celui des dirigeants. Sans surprise, cette problématique traîne un long passé de pratiques derrière elle, que résume Vincent Giolito, professeur à la Solvay Business School et titulaire de cette chaire : “Dans les années 1980-1990, on a surtout développé la planification stratégique, qui consiste à apprécier le plus sûrement possible un environnement ainsi que la place que son entreprise peut y occuper. A partir de là, on dresse des scénarios. Le but de cette politique de prévision, c’est avant tout de ne pas commettre d’erreur.” Et tout est là : l’état d’esprit visant à optimiser les moyens de contrôle pour éviter la faille se heurte à l’éternelle présence des incertitudes : ce qui vaut pour un pilote de ligne aux commandes de son avion vaut aussi pour les marchés financiers, pour des hôpitaux (attentats, crise sanitaire, etc.) ou l’industrie lourde.

Tous les secteurs ne sont pas égaux face à l’incertitude : certains sont plus agiles et réagissent plus vite, d’autres ressentent ses effets avec des mois de retard. “Notre objectif, dans cette chaire, c’est d’étudier non plus les systèmes et les organisations, comme cela a été fait pour certaines catastrophes telles que Tchernobyl ou Bhopal, mais bien les humains qui dirigent et doivent gérer des erreurs potentiellement stratégiques”, poursuit Vincent Giolito. De ce qui sera fait ou non d’une erreur dépend, parfois, la survie même d’une société. Les réflexes, culturels, d’entreprise ou familiaux, sont parfois de piètres conseillers. L’art de bien gérer une erreur se nourrit notamment des quatre conseils suivants :

1 Eviter de vouloir à tout prix un coupable. La bonne vieille théorie du fusible qui, une fois sauté, relancera la mécanique et apaisera aussi bien les employés que les stakeholders, s’applique volontiers aux top managers. Paul Bodart, ancien vice-président de la Bank of New York Mellon, aux Etats-Unis, en témoigne : “Au terme d’une série d’erreurs qui coûtèrent 2,5 millions de dollars à la banque, mon patron m’appelle et exige des noms. J’ai choisi d’endosser la responsabilité et je me suis dénoncé. Si je ne l’avais pas fait, la recherche des failles et des responsabilités aux échelons inférieurs se serait déroulée dans un climat nettement plus nerveux et accusateur. La gestion de portefeuilles est un business compliqué, exposé aux risques. Mon patron m’a maintenu en place et nous avons pu travailler en profondeur sur nos problèmes, liés au contrôle à la fois automatisé et humain d’activités immatérielles et difficilement prédictibles.”

2 Les meilleures équipes sont (souvent) celles qui commettent le plus d’erreurs. Dans la même veine de dédiabolisation, il convient de ne jamais isoler les fautes commises, ni de ficher quelqu’un comme “celui a fait telle ou telle connerie”. Amy Edmondson, Professeur à la Harvard Business School, l’observe pour le secteur hospitalier : “Les données de reporting montrent souvent que les meilleures équipes en termes de résultats et d’interventions sont aussi celles à qui on reproche le plus de choses. La bonne pratique, dans ce cas, c’est de développer un leadership inclusif : les responsables hiérarchiques doivent se montrer accessibles, proactifs et développer une culture d’accountability, soit la capacité de retracer et d’exprimer ce qui a été fait. Vos équipes travaillent mieux si elles savent que vous accepterez certaines de leurs erreurs avec un esprit constructif”. On peut faire un constat similaire dans la recherche médicale en laboratoire : le nombre d’essais infructueux y est très élevé, vu le caractère expérimental du travail. Mais ce sont ceux qui essayent le plus, et se trompent le plus, qui obtiennent des résultats concrets.

3 L’erreur n°1 est aussi celle qui coûte le moins cher. La détection anticipée d’une erreur est une aptitude clé du bon manager. Celui qui entendra le premier grain de sable perturber les rouages aura évidemment un gros avantage par rapport à ceux qui ont attendu la panne générale. Ceci ne veut pas dire qu’il faille instaurer du contrôle partout. Par contre, il faut savoir lire les bons indices. “Prenez le cas de Jérôme Kerviel, l’ex-trader de la Société Générale, détaille Vincent Giolito. Les indices d’erreurs existaient dès le moment où il réalisait à lui seul 60 % du chiffre d’affaires d’une équipe de 10 personnes. Il aurait pu faire 12 ou 14 %, OK. Mais pas 60. Il aurait fallu intervenir plus tôt, et au lieu de cela, il a bénéficié d’un certain laisser-faire dans la culture d’entreprise .” L’erreur initiale, le dysfonctionnement de base, est très rarement fatal. Par contre, il y a danger dans l’accumulation des problèmes qui s’alignent derrière elle. Et l’erreur en tant qu’événement, sur laquelle les médias (entre autres) auront tendance à se focaliser, n’est pas la seule chose à évaluer. Elle doit être incluse dans une évaluation des structures, des relations interpersonnelles, des manières de faire, etc.

4 Combiner la remise en question et la fermeté. “Les qualités d’une bonne gestion de l’erreur sont paradoxales, estime Paul Verdin, professeur à Solvay. Dans la phase de détection, elles sollicitent de la compréhension et une certaine humanité, notamment pour protéger la qualité du cadre de travail. Mais il faut aussi de la poigne et du leadership pour engager des décisions importantes. Parfois, elles devront être imposées, et ce n’est pas facile à cause des egos, du stress. Souvent, j’entends parler de compromis à trouver entre fermeté et compréhension. Or, il s’agit plutôt d’une tension, qui signifie que l’un et l’autre, la poigne et l’humanité, doivent être présents chez la même personne et coexistent dans la gestion efficace de l’erreur.”

OLIVIER STANDAERT

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