Les entreprises mettent les mains dans la terre

Les Huit " Impact Entrepreneurs " de Farming for Climate. De gauche à droite : Alain Moreau, Pascal Durdu, Isabelle Schoepp, Frédéric Givron, Laurent Bourgoignie, Bernard Escoyez, Christophe Adant et Virginie Decharneux. © PG

Huit ” Impact Entrepreneurs “, dont l’ex-CEO d’une grande banque Alain Moreau, ont décidé d’aider les agriculteurs belges à passer à une agriculture agroécologique, plus résiliente et plus durable. Pour cela, ils ont créé Farming for Climate, une ASBL qui propose aux entreprises de financer l’accompagnement et les investissements nécessaires à cette transition.

Les marches pour le climat initiées par les jeunes ont donné des idées à leurs parents… ” Au-delà du fait d’accompagner nos enfants, nous nous sommes demandé comment jouer un rôle actif, comment le monde des entreprises, dont nous sommes tous issus, pouvait contribuer à lutter contre le réchauffement climatique non plus dans le cadre de plans globaux à l’échelle de la planète mais localement, ici, en Belgique “, confie Bernard Escoyez, partner de Farming for Climate, consultant en transformation d’entreprises et ancien DRH Europe de Coca-Cola.

La réponse n’a pas mis longtemps à germer : développer et promouvoir l’agroécologie (lire l’encadré ci-contre). En d’autres termes, aider la nouvelle génération d’agriculteurs soucieuse d’améliorer la qualité des sols, générer moins d’émissions de gaz à effet de serre et cultiver des produits sains.

Un écosystème, trois acteurs

” Notre but est de créer une nouvelle dynamique, de développer un écosystème dans lequel nous jouons le rôle de facilitateur entre les entreprises qui veulent tendre vers la neutralité carbone et le monde agricole en transition “, explique Pascal Durdu, initiateur et fondateur de Farming for Climate et administrateur de la start-up Usitoo. Une soixantaine de fermes, essentiellement en Wallonie mais aussi quelques-unes en Flandre, représentant quelque 4.000 hectares, figurent déjà dans le ” portefeuille ” de projets de l’ASBL créée en 2019. ” Au début, nous les avons approchées par l’intermédiaire d’organisations, de fédérations ou de syndicats agricoles, précise Christophe Adant, autre associé bénévole de Farming for Climate, à côté de ses activités de consultance en gestion de projet informatique. Il nous a fallu un an pour nous faire connaître du milieu. Mais aujourd’hui, ce sont les agriculteurs qui viennent à nous. ”

Nous veillons à créer une histoire complète entre l’agriculteur et l’entreprise.

Et il reste du potentiel ! En effet, en Belgique, moins de 1% de la surface agricole totale (1,33 million d’hectares) a été convertie en agroécologie et en agriculture de conservation du sol vivant. ” Mais il existe une réelle prise de conscience, affirme Pascal Durdu. On assiste à un phénomène générationnel. Les jeunes qui reprennent une ferme éprouvent un besoin de changement. La reprise est le bon moment pour changer de paradigme, sortir du modèle conventionnel de leurs parents. Ils sont aussi conscients que la qualité du sol est prépondérante dans la valorisation d’une exploitation. La preuve, en France, une ferme agroécologique séduit trois à quatre fois plus de candidats repreneurs ! ” Preuve que le mouvement est en marche, même les coopératives agricoles se demandent si elles ne doivent pas abandonner la vente de leurs pesticides et se reconvertir dans le conseil à la transition vers l’agroécologie !

Créer un lien entre le monde agricole et les entreprises est le rôle que Farming for climate veut jouer. Mais ce n’est pas le seul. ” Nous voulons les aider dans toutes les étapes de leur reconversion, précise Bernard Escoyez. Et notamment à accéder à l’information, la documentation, les études. Qu’ils puissent prendre le temps de faire les choses. D’investir dans du nouveau matériel. De bénéficier de support technique et d’un filet de sécurité pour faire face aux coûts et aux pertes de revenus qu’engendre le processus de transformation qui dure en moyenne deux à trois ans. ” Et c’est là que les entreprises, troisième acteur de l’écosystème Farming for Climate, entrent sur le terrain.

Une solution clé sur porte à l’impact local et immédiat

” Nous avons approché une trentaine d’entreprises de manière proactive, souligne Alain Moreau, ex-CEO d’une grande banque devenu Impact Entrepreneur. Une seule nous a éconduits. Au départ, nous éveillons leur curiosité en leur expliquant comment, en soutenant les agriculteurs belges en reconversion agroécologique, elles pourront compenser leur empreinte carbone. Mais très vite, nous leur exposons l’ensemble des autres avantages de notre écosystème. Comment elles peuvent devenir un acteur actif du changement car elles ignorent souvent comment s’y prendre. Nous leur proposons une solution clé sur porte à l’impact local et immédiat. ”

Une solution dans laquelle elles peuvent en outre impliquer leurs employés et leurs clients afin de créer du lien au travers, par exemple, de team buildings ou de visites dans l’exploitation soutenue. ” La première question que les sociétés nous posent lorsqu’elles veulent intégrer un projet est d’ailleurs ‘Quand pourrons-nous passer chez l’agriculteur ? ‘ s’amuse Christophe Adant. Le besoin de proximité avec la cause soutenue s’exprime de façon prégnante. ” Tout comme la nécessité, de plus en plus, de défendre la préservation de la biodiversité. ” C’est un sujet top of mind pour beaucoup d’entreprises, confirme Pascal Durdu. L’agroécologie y contribue énormément, ce qui les convainc d’autant plus de rejoindre Farming for Climate. ”

Exemple de terres issues de deux parcelles wallonnes contiguës en labour et en
Exemple de terres issues de deux parcelles wallonnes contiguës en labour et en ” agroécologie ” via semis direct sous couvert vivant.© PG

Concrètement, les entreprises sélectionnent les projets qu’elles veulent soutenir. ” On discute avec elles des critères importants à leur yeux : la localisation géogra- phique de la ferme, son lien avec la chaîne de valeur de l’entreprise, le type de production, explique Virginie Decharneux, autre maillon fort de l’organisation et directrice de projet chez Euroclear. Nous veillons à créer une histoire complète entre l’agriculteur et l’entreprise. ” Bien évidemment, le fermier a lui aussi son mot à dire et est libre de ne pas s’associer à un mécène dont le secteur ou le produit ne correspond pas à ses valeurs. ” Il y a une vigilance des trois maillons de l’écosystème, ajoute Bernard Escoyez. Il n’est pas imaginable non plus pour Farming for Climate de collaborer avec des sociétés non éthiques et à l’engagement feint. ”

D’ici 2030, l’objectif est de faire subventionner la migration de 1.000 hectares par mois en agroécologie par les entreprises.

Quant à l’aide qu’apportent les entreprises aux agriculteurs (ou parfois à l’ASBL), elle peut être pécuniaire ou sous forme de services. PwC, par exemple, s’est engagée bénévolement à contrôler que les montants alloués soient bien affectés aux fins convenues. Gingerly, spécialiste en communication à impact positif, permet à Farming for Climate d’accompagner chacun de leurs partenaires à communiquer d’une manière adaptée et pertinente auprès de leurs équipes internes et de leurs clients. La Deutsche Bank est la première qui investira de l’argent, elle sélectionne pour l’instant les projets agroécologiques qu’elle souhaite mettre en avant et soutenir. ” Lorsque nous avons rencontré Farming for Climate, mes collègues et moi avons immédiatement été séduits par le projet, déclare Olivier Delfosse, CEO de Deutsche Bank Belgique. Il répond en effet à deux de nos objectifs en matière de durabilité : apporter notre pierre à l’édifice pour une transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement et proposer à nos clients des solutions d’investissement durable qui génèrent des résultats concrets, visibles et locaux en matière environnementale. Nous sommes très fiers de pouvoir permettre à nos clients, par le biais de notre support à Farming for Climate, de participer activement à la transition écologique de leur région. ”

Quid du montant minimal ou maximal de la contribution financière des entreprises ? ” Le financement est lié à l’empreinte carbone de la société, insiste Bernard Escoyez. La compensation est une métrique pour éviter l’aspect greenwashing, par exemple, qu’une grosse entreprise finance un petit projet. C’est une méthodologie qui a du sens. ” Un hectare en transition agroécologique a un impact positif d’environ 3 tonnes éq. CO2/an (1 tonne d’évitement et 2 tonnes séquestrées). Deutsche Bank financera les projets de transition de cinq fermes réparties sur tout le territoire belge.

Un coup de pouce des pouvoirs publics ?

Septante pour cent des contributions des entreprises sont octroyées directement ou indirectement aux agriculteurs : 50% pour financer ses investissements et contrebalancer ses réductions temporaires de rendement, 20% pour les services de consultance qui l’aideront à peaufiner sa stratégie de conversion. Et les 30% restants ? ” Ils sont utilisés par Farming for Climate pour communiquer sur les projets, leur apporter de la visibilité, que ce soit pour l’agriculteur ou les entreprises, en aucun cas pour la propre communication de l’ASBL, nuance Alain Moreau. Les 10% restants seront attribués à des universités, des chercheurs et à la valorisation et au recensement des données sur l’agroécologie.

Il existe en effet beaucoup d’informations sur l’agroécologie mais celles-ci souffrent d’un manque de centralisation et d’organisation. Farming for Climate souhaite contribue à ce travail afin d’en faire bénéficier les agriculteurs, qu’ils puissent connaître ce qui se fait dans le monde en termes de transition, les réussites, les échecs. Un travail auquel pourrait aussi prendre part les pouvoirs publics… ” Ils pourraient en effet nous aider à financer cela, ou à mettre à notre disposition les organismes capables d’effectuer ce type de travail, espère Pascal Durdu. Nous avons entamé les contacts avec le cabinet de Willy Borsus, le ministre wallon de l’Agriculture. ” Avec l’espoir, aussi, d’établir, à l’échelle belge, l’équivalent du Label bas-carbone français (lire l’encadré ci-contre).

Les ambitions de Farming for Climate ne s’arrêtent pas là. En 2021, l’ASBL espère faire financer 1.000 à 2.000 ha de terres agroécologiques par des entreprises. Et d’ici 2030, l’objectif stratégique est de faire subventionner la migration de 1.000 hectares par mois ! Une nécessité si la Belgique, deuxième pays au monde au taux le plus faible d’autosuffisance alimentaire (plus de 50 % de notre alimentation est importée), souhaite prendre la voie de la résilience alimentaire, revaloriser ses productions locales et ses terres et jouer un vrai rôle environnemental, social et économique.

Les fondements de l’agroécologie

Les émissions mondiales de gaz à effet de serre sont dues pour 25% aux pratiques agricoles et d’élevage. Nos sols se sont appauvris. La biodiversité se meurt. Vingt pour cent des champs perdent, à cause de l’érosion, plus de 10 tonnes de terre par hectare et par an ! L’agroécologique peut y remédier. L’agroécologie s’appuie sur les écosystèmes. Elle utilise la nature comme facteur de production en maintenant ses capacités de renouvellement. Ainsi, alors que l’agriculture traditionnelle émet 1 tonne éq. CO2/ha/an, l’agriculture agroécologique, elle, capte 2 tonnes éq. CO2/ha/an. On peut donc dire que cette dernière a un impact positif de 3 tonnes/ha/an sur les émissions de carbone.

Concrètement, les pratiques agroécologiques sont inspirées des systèmes forestiers : elles stimulent l’activité biologique et restaurent le travail naturel des sols par le recyclage des matières organiques, entre autres. En agroécologie, le labour est réduit, la rotation des cultures favorisée, l’habitat des insectes restauré, la couverture des sols assurée, les pesticides fortement réduits, voire éliminés, la qualité de l’eau préservée, la production durable mise en avant… C’est une approche holistique dont la finalité ultime est de réduire les émissions de CO2, restaurer la biodiversité et assurer notre résilience alimentaire afin de garantir la survie de l’homme.

Les entreprises mettent les mains dans la terre

” Nous voulons construire l’équivalent belge du label bas-carbone français ”

Le label bas-carbone lancé par le gouvernement d’Emmanuel Macron en 2019 permet de certifier des projets de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et de séquestration carbone dans divers secteurs, dont l’agriculture, et de les valoriser économiquement. Farming for Climate ambitionne de créer un équivalent à l’échelle de la Belgique.

” Un site web recense toutes ces initiatives qui appliquent les méthodologies de transition validées par l’Etat, explique Pascal Durdu, fondateur de Farming for Climate. Les entreprises et les collectivités qui souhaitent compenser leurs émissions de CO2 peuvent y accéder et ainsi choisir de financer tel ou tel agriculteur en phase de transition écologique et s’impliquer dans la lutte contre le changement climatique à travers des projets qui ont un impact global sur l’environnement et la société. ” Une vitrine et un cadre de certification que l’ASBL belge aimerait voir sortir de terre chez nous si elle parvient à convaincre nos pouvoirs publics. Le message est passé…

Moins de 1 %

de la surface agricole belge est convertie en agroécologie.

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