Les employés mis en compétition sont bien moins efficaces

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Si mettre ses salariés en compétition peut les rendre plus productifs, cela peut aussi avoir l’effet inverse. C’est ce que démontre une étude américaine publiée récemment.

Steven Blader et Andrea Prat, chercheurs respectivement à la New York University et à la Columbia University, ont passé plusieurs années à étudier minutieusement les effets des pratiques de management sur l’efficacité des employés. De ce long travail est ressorti un rapport, intitulé “The Contingent Effect of Management Practices”. Ce dernier révèle que mettre en compétition les salariés entre eux n’est pas toujours aussi stimulant qu’on pourrait le penser.

Des écrans de contrôle pour évaluer ses performances

C’est au sein d’une grande entreprise de transport américaine que les deux chercheurs sont partis enquêter. L’originalité de cette firme vient du fait qu’elle est en plein processus de changement de pratique managériale. Depuis 2011, elle tente en effet de convertir ses salariés aux joies du travail du ‘lean management’. Cette pratique, inspirée du modèle des usines japonaises Toyota, vise à mettre l’accent sur l’équipe de travail et la responsabilisation des employés. Un modèle bien loin de celui plus individualiste et compétitif qui régnait jusqu’alors en maître dans l’entreprise en question. La firme disposant d’un très grand nombre de sites, tous n’étaient pas, au moment de l’enquête, convertis au “lean management” et aucun n’avait achevé la transformation vers ce modèle.

L’entreprise de transports avait eu l’idée, avant l’enquête, d’installer dans ses camions un petit écran électronique, permettant pour les chauffeurs de visualiser leurs propres performances de conduite. Steven Blader et Andrea Prat se sont demandés ce qu’il adviendrait si l’on ajoutait à cela un classement entre les différents employés, visible donc, en permanence. Surtout, ils ont cherché à savoir si l’impact de cette introduction serait différent sur les sites toujours gouvernés par l’individualisme et ceux en conversion vers un modèle de management plus axé sur collectif.

La solidarité rend les classements contre-productifs

Dans le premier cas, l’établissement d’un classement semble booster les performances des chauffeurs. Ils auraient amélioré le rendement du carburant de 4,5%, en auraient gaspillé 1,8% de moins, et auraient réduit leur temps de marche au ralenti de 1,1%. Du côté des chauffeurs déjà familiers avec le ‘lean management’, en revanche, les résultats ne sont pas glorieux. “On enregistre une baisse substantielle de la performance de ces chauffeurs“, indique le rapport. L’efficacité du carburant serait réduite de 10,7%, 4,4% de plus serait gaspillé, et enfin, on noterait une augmentation du temps de marche au ralenti de 2,5%. D’après les chercheurs, ces résultats édifiants, indépendants de toute incitation de la part des employeurs, montrent “comment le succès d’une pratique de management dépend de la nature de la relation de long-terme entre l’entreprise et ses employés“.

Comme “des firmes similaires peuvent être gouvernées par des contrats relationnels très différents“, ajoutent Steven Blader et Andrea Prat, les résultats obtenus à l’issue de leur enquête montreraient l’importance du fait d’être informés sur comment les employés voient leur relation avec la firme.

Pour expliquer les chiffres obtenus, le rapport s’appuie sur des interviews réalisées directement auprès des salariés. Ceux qui ont déjà été introduits au ‘lean management’ “mentionnent constamment une amélioration du point de vue de la cohésion, la camaraderie et le respect” entre eux. Plutôt que de chercher à maximiser leur satisfaction personnelle, cela pousse les employés à considérer aussi la satisfaction des membres de leur équipe. Certains n’hésiteraient pas, comme l’ont montré les économistes Bénabou et Tirole dans leurs travaux, à saper leurs propres performances pour ne pas blesser leurs collègues. “Intuitivement, cela mène au pronostic que l’introduction du lean réduira l’efficacité de toute pratique de management qui compte sur la compétition plutôt que sur la collaboration entre les travailleurs“, explique le rapport. Un effet d’autant plus présent lorsque les classements effectués deviennent nominatifs et non plus anonymes…

Perrine Signoret

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