Les éditeurs de presse écrite dénoncent le projet de contrat de gestion de la RTBF
Les éditeurs de presse francophone belge, qui reprochent depuis des années à la RTBF une concurrence déloyale du fait de ses activités de presse écrite en ligne soutenues par des fonds publics, ont dénoncé lundi le projet de contrat de gestion 2023-2027 de l’opérateur public. Ils menacent de nouvelles actions en justice et alertent sur le risque de pertes d’emploi massives dans la presse écrite.
“Le projet de contrat de gestion confirme à la RTBF une mission extensive, y compris des services en ligne basés sur du texte. Mais la presse écrite en ligne ne peut pas être une activité connexe de l’audiovisuel, il faut que le texte soit clairement accessoire” sur les sites d’information de la RTBF, ont martelé François le Hodey, CEO du groupe IPM et président de La Presse.be, l’alliance des éditeurs de presse écrite francophone, et Bernard Marchant, CEO du groupe Rossel, lors d’une conférence de presse à Bruxelles.
Confrontés à une difficile transition de modèle économique nécessitée par la numérisation, les éditeurs de presse écrite reprochent depuis plus de dix ans à la RTBF de développer, avec l’aide de ses fonds publics, une offre gratuite de presse écrite en ligne qui est en contradiction avec son contrat de gestion actuel et avec les engagements pris par la Belgique devant la Commission européenne en 2014.
“Il faut nous laisser le temps de réussir la transition, mais on découvre un projet de contrat de gestion qui fait tout l’inverse, en ouvrant largement le spectre” à un développement plus prononcé encore de ces activités, à peine encadrées de balises qui s’avéreront “inopérantes”, selon les patrons de presse.
Ils réclament, avant toute adoption du contrat de gestion, un “bilan sérieux” du cadre juridique belge, de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et de l’Union européenne, ainsi qu’une stratégie pour “solidifier les fondements économiques du pluralisme de la presse”.
Si l’épure actuelle du contrat de gestion devait être avalisée, les éditeurs “n’auront d’autre choix” que de relancer des procédures juridiques, comme ils l’avaient fait – avec un relatif succès – entre 2011 et 2014.
“L’enjeu est d’importance, car si le message du régulateur et du politique reste de dire que la presse écrite en ligne doit être gratuite, alors on s’adaptera, soit en développant des médias de niche payants, et donc accessibles à un nombre limité de personnes, soit, si l’on veut rester généraliste, en passant à des modèles économiques de type 7sur7, 20 Minutes ou Metro”, expose Bernard Marchant.
La Presse.be a notifié à la ministre francophone des Médias, Bénédicte Linard (Ecolo), qu’en cas d’échec d’un contrat de gestion qui évite la concurrence frontale avec la RTBF, l’emploi de 50% des 600 journalistes et gros indépendants du secteur serait à risque dans les cinq ans à venir. “Nous demanderons que la FWB assume le financement du plan de réduction d’emplois qui sera inévitable“.
Lors de son audition en commission du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, l’administrateur général de la RTBF Jean-Paul Philippot avait dénoncé le “narratif” créé selon lui par les éditeurs pour faire croire que la publication gratuite d’infos écrites sur le site de la RTBF mettait à mal leur viabilité économique.
Pourtant, cette offre gratuite représente bien une concurrence déloyale et une menace pour la survie des éditeurs en pleine transition numérique, avait conclu en mai dernier une étude universitaire (UCLouvain, ULiège et Université Saint-Louis) commanditée par La Presse.be. Cette étude avait été mise en cause par la RTBF.
Les éditeurs font valoir la spécificité du marché francophone belge où, selon eux, la part de chiffre d’affaires des médias publics par rapport aux privés dépasse les 50% du total, alors qu’elle ne serait que de 24% en Flandre et varierait entre 20% et 28% dans les pays voisins.
Ils rappellent aussi que la Belgique s’était engagée en 2014 vis-à-vis de la Commission européenne à prévoir dans le mandat de service public de la RTBF une “liste précise et limitative” de services en lignes comprenant des textes, et à préciser que ces services devraient mettre l’accent sur les images et le son et faire le lien avec les programmes de radio et de télévision de la RTBF.
Ces obligations ne sont pas respectées et le contrôle est largement insuffisant, jugent les éditeurs, car même si le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA) a constaté des manquements, “aucun grief, aucune sanction” n’est intervenue. “C’est toute la chaîne hiérarchique qui démissionne par rapport à la situation d’illégalité de la RTBF: le conseil d’administration, le CSA, la ministre, le gouvernement”, tranchent MM. Marchant et le Hodey.