Les billets à 10 euros, c’est fini: “Le modèle low cost de Ryanair évolue en raison de son succès”

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Olivier Mouton
Olivier Mouton Chef news

La compagnie aérienne intègre des contraintes de coûts, mais tire aussi les leçons de sa réussite post-Covid, analyse le chercheur Bruno Bauraind (Gresea). Quittera-t-elle Charleroi, comme son patron en fait la menace? C’est peu probable.

Bruno Bauraind est chercheur au Groupe de Recherche pour une Stratégie économique alternative (Gresea), il travaille également à une thèse de doctorat consacré au modèle social de Ryanair. Il évoque pour Trends Tendances la décision de la compagnie de renoncer aux billets à 10 euros, mais aussi ses menaces de quitter l’aéroport de Charleroi, après les grèves du début de l’été.

Cette annonce de mettre un terme aux billets à 10 euros est-elle l’expression de la fin d’un modèle low cost?

La première chose à prendre en considération, c’est que le modèle low cost, depuis la libéralisation du ciel européen dans les années 1990, a toujours eu pour but essentiel de diminuer les coûts pour mettre, c’est vrai, des billets peu chers sur le marché. Mais ces billets à bas prix ne sont pas le seul objectif du modèle low cost. En faisant les comparatifs, on se rend tout de même compte qu’à certaines périodes, le low cost est moins cher que Brussels Airlines.

Les billets à bas prix constituent, en réalité, un effet d’appel?

C’est la stratégie de la concurrence pour aller à l’encontre des compagnies traditionnelles et anciennes compagnies nationales avec, en effet, des billets qui sont pratiquement gratuits à certains moments. Mais il faut les chercher et quand on a fini de payer les bagages en soute et services divers, le billet fini parfois par coûter plus cher. Mais il est vrai que si l’on ne prend pas toutes les options, on obtient des prix très bas et, historiquement, cela a fait le succès de Ryanair.

Un autre facteur explique ce revirement: les contraintes sur le secteur aérien comme l’augmentation du prix du kérosène ou la fin attendue de l’exemption des taxes sur le kérosène, avec une intervention inéluctable de la Commission européenne.

La troisième dimension du problème, c’est que Ryanair est une entreprise qui évolue. Elle a connu une croissance dingue depuis qu’elle a adopté le modèle low cost en 1991. A l’époque, Ryanair, c’était deux avions qui faisait le lien entre les aéroports de Londres et Dublin. Aujourd’hui, c’est plus de 80 bases en Europe, c’est la plus grande compagnie européenne en terme de passagers transportés, c’est même une grande compagnie au niveau mondial. Le modèle low cost ne peut désormais plus ressembler à ce qu’il était au début.

C’est un modèle qui évolue, de façon contrainte, mais aussi par choix, en raison de son succès?

Oui, en raison de son succès. Sur certaines lignes, il y a pratiquement un monopole de Ryanair, désormais. Plus ils ouvrent des lignes, plus ils ont cette capacité.

Si on a le monopole, on peut augmenter les coûts…

Voilà. Par ailleurs, il ne faut pas négliger le fait que les salaires ont dû augmenter dans certains pays après les grèves de 2017-18. Autrement dit, le low cost de Ryanair n’est plus aussi “pur” qu’avant. Il y a une volonté pour la direction de maintenir les marges, d’autant que des investissements doivent être opérés.

C’est d’autant plus possible que la concurrence est exsangue. Toutes les compagnies ont énormément souffert du Covid et la seule qui s’est sortie de la pandémie avec des fonds propres quasiment intacts, c’est Ryanair.

Comment est-ce possible? En raison de ce modèle social low cost?

En effet, la première raison, de sont des salaires très bas, des conditions de travail extrêmement dégradées par rapport à de nombreuses autres compagnies aériennes. Ce l’est aussi parce que, historiquement, c’est une compagnie qui a reçu énormément de soutien public, même si on ne peut pas parler de subsides. En s’installant majoritairement dans des petits aéroports secondaires, avec la promesse de les développer comme c’est le cas à Charleroi, Ryanair a reçu de la part des autorités publiques, comme la Wallonie, des conditions d’implantation qui sont incroyables.

Ce ne sont pas des subsides, mais des non coûts…

Oui, il y a, par exemple, très peu des taxes aéroportuaires à Charleroi sur Ryanair. La Commission européenne avait jugé dans un premier temps qu’il s’agissait d’aides d’Etat, suite à quoi il y a eu des procédures judiciaires à n’en plus finir. Cette politique de soutien structurelle a permis à la compagnie de constituer des fonds propres importants. Même si c’est aussi le succès d’une stratégie low cost qui a rempli les avions, bien évidemment.

Il y a une forme d’entente tacite entre le secteur public et cette compagnie, quitte à faire fi de considérations sociales, sous la pression?

Ryanair reste un modèle social extrêmement brutal, par rapport au personnel de cabine, principalement. Pour prendre un exemple, après 14 ans d’ancienneté, une cheffe de cabine chez Ryanair en Belgique gagne 2000 euros brut – et il y a eu des avancées importantes chez nous avec la signature d’une convention collective. En 2016-17, une hôtesse était payée à l’heure de vol et parfois 800 euros par mois. Dans les pays de l’Est, en Espagne ou au Portugal, il n’y a toujours pas de convention collective signée à l’heure où nous parlons et les employés signent des contrats avec des agences de placement.

Les pilotes gagnent mieux leur vie, mais avant le Covid, ils ont accepté une baisse de 10 à 20% de leurs salaires, dans le cadre de chantage à l’emploi.

C’est cela qui fait de cette compagnie un vainqueur de la crise Covid?

Il y a de cela. Mais il faut aussi savoir que c’est une firme qui ne distribue pas beaucoup de dividendes – et je n’ai toujours pas compris pourquoi. Pourtant, elle est financiarisée comme les autres avec des fonds d’investissements anglo-saxons dans l’actionnariat. Il y a donc une réflexion sur le projet industriel, la stabilité… Il faut dire que Michael O’Leary est en même temps PDG et un des principaux actionnaires, ce qui peut expliquer cette volonté de stabilité et cette volonté de garnir les fonds propres plutôt que de verser des dividendes.

C’est un modèle étonnant ! En Belgique, par exemple, il n’y a jamais eu un manager digne de ce nom. C’est quasiment de l’autogestion. Les hôtesses ont une application qui s’appelle e-crew par laquelle elles reçoivent leurs données de vol. On est frugal jusque dans le management ! Celui qui négocie avec les syndicats est toujours un employé de Dublin qui ne connaît pas les spécificités sociales belges.

C’est ce modèle qui tend à devenir la norme dans le secteur?

La libéralisation du ciel européen a induit cette concurrence sur les prix et Ryanair a été la première compagnie à le faire. Dans ce genre de secteur, à partir du moment où vous êtes le premier à innover, vous prenez le marché.

Les voyageurs sont-ils complices de ce modèle?

Le modèle low cost n’a pas permis à tout le monde d’avoir accès à l’avion, mais il a tout de même augmenter la part de la population qui a accès à ce genre de voyage.

Personnellement, je pense que si l’on doit s’en remettre au consommateur pour faire évoluer les pratiques, on n’y arrivera jamais. La pulsion de consommation sera toujours là. Ce qui va en effet faire changer les choses, c’est la hausse des prix, malheureusement, et la régulation européenne qui va venir.

Les mouvements sociaux ont également changé l’entreprise, mais le Covid a changé le rapport de force en interne. Dans certains pays, Ryanair travaillent désormais avec des faux indépendants. C’est une lutte continue qui évolue en fonction du contexte.

Au début de l’été, le patron de Ryanair a menacé de quitter Charleroi en raison des grèves à répétition. Est-il en position de force pour le faire?

En 2001, quand on a choisi de concentrer le redéploiement économique sur les aéroports avec les passagers à Charleroi et le fret à Liège, on le fait sur base d’un modèle avec une extrême dépendance à un acteur, Ryanair pour les passages, Fedex TNT pour le fret. Ce sont des contrats par lesquels les autorités publiques ont pratiquement les menottes au poignet par rapport à l’acteur privé. Il y a donc, évidemment, un risque de chantage à la délocalisation. Si on part, ce sont autant d’emplois qui sautent, directs ou indirects. Si Ryanair part, je ne dis pas que d’autres compagnies prendraient sa place, mais cela prendrait du temps. Ce serait une catastrophe économique.

Le rapport de forces est-il défavorable?

Oui, les travailleurs se plaignent d’ailleurs des très faibles interventions politiques dans le dossier sur le plan social. Il y a un nombre considérable de plaintes à l’inspection sociale, à Charleroi, mais elles restent sans suite.

Cela dit, une étude a montré en 2019 que la profitabilité des bases de Ryanair en Europe et Charleroi était la deuxième. Je ne pense pas que la compagnie quitterait cet aéroport du jour au lendemain. Même si l’on peut craindre une restructuration et peut un départ partiel vers Bruxelles.

Mais ils utilisent cela pour mettre la pression sur le politique.

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