Le virage stratégique pour la Febiac ou quand défendre l’automobile ne suffit plus

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La fédération des importateurs de voitures a investi dans une start-up, Movie-S, qui analyse les données de conduite automobile. L’opération s’inscrit dans une nouvelle stratégie de la Febiac qui tend désormais à promouvoir la mobilité intelligente.

La nouvelle n’a guère fait de vagues, c’est pourtant une première. La Fédération belge de l’automobile et du cycle (Febiac) a pris une participation dans une start-up luxembourgeoise, Motion-S, spécialiste de l’analyse de la conduite automobile. Celle-ci a développé une plateforme pour croiser les données collectées par un smartphone avec des sources externes (météo, niveau du trafic, etc). Une somme d’un million d’euros a été injectée pour une participation de 25 % ( lire l’encadré ” Motion-S : objectif Google “). L’initiative s’inscrit dans une évolution stratégique de la Febiac qui cherche à glisser de la promotion pure et dure de la voiture vers celle de la mobilité intelligente, dans laquelle ce type de véhicule occupera toujours une place de choix, mais remodelée.

Amour et désamour

Il s’agit d’affronter à la fois l’évolution de l’automobile et les critiques qu’elle rencontre. Le dieselgate, la création des zones à basses émissions à Bruxelles et Anvers montrent que la voiture souffre d’un certain désamour. Le Belge culpabilise en paroles mais continue, en actes, à plébisciter le volant: 550.000 voitures neuves ont encoré été immatriculées l’an dernier. Le parc, composé de 5,7 millions d’unités, augmente de 50.000 modèles tous les ans. Et le Salon de l’Auto, organisé par la Febiac, attire encore un demi-million de visiteurs.

Nous cherchons à accélérer la transformation conceptuelle de notre métier vers un monde où le big data et la technologie vont réconcilier la mobilité et le bien commun. ” – Philippe Dehennin, président de la Febiac

” L’automobile reste très présente dans les déplacements, confirme Philippe Dehennin, président de la Febiac. Les transports en commun n’y sont utilisés que pour 15 % ( lire l’encadré ” Qui prend quoi ? ” plus bas). Et il y a une augmentation de la demande de mobilité. Si la part de l’auto devait certes diminuer dans les villes, elle continuerait à se développer hors des centres urbains. Sa part modale devrait donc rester globalement inchangée. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne se préoccupe pas de ses effets négatifs. Au contraire. ”

Prélèvement kilométrique, le retour

Philippe Dehennin
Philippe Dehennin© PG

Consciente que trop d’auto tue l’auto, la Febiac cherche à promouvoir une approche plus ” intelligente ” de ce type de véhicules. Elle avait commencé en 2013 en proposant son remède aux embouteillages : une taxe kilométrique pour remplacer les taxes de (mise en) circulation et une partie des accises sur les carburants. Sans succès jusqu’à présent.

” Nous parlons maintenant plutôt de prélèvement kilométrique intelligent, précise Philippe Dehennin, dont le revenu devrait être réinvesti dans l’infrastructure, notamment pour la rendre plus intelligente. Nous pensons qu’en modifiant ce prélèvement selon l’axe, le moment et l’empreinte carbone, la congestion sur les routes pourrait être réduite. L’idée n’est pas de détourner les gens de l’automobile, mais de mettre en perspective son usage, de s’ouvrir à d’autres moyens de transport. Aujourd’hui, le marché pour la Febiac, ce n’est plus 550.000 autombiles neuves par an en Belgique, mais 120 milliards de kilomètres de mobilité multimodale effectués sur nos routes. ”

On le voit, la Febiac continue donc à défendre le principe du prélèvement kilométrique. Une idée qui plaît de plus en plus en Flandre, pas en Wallonie. Et à Bruxelles ? ” Nous y percevons un intérêt grandissant, car c’est là que la congestion est la pire, et où le bénéfice d’un report modal serait le plus grand, note le président de la Febiac. Car ceux qui n’auront pas d’alternative à la voiture profiteront, eux, d’une circulation moins dense. ”

S’ouvrir à la mobilité partagée

La fédération s’est aussi ouverte au carsharing, en créant une section supplémentaire pour ses membres, #WeAreMobility. Celle-ci réunit des acteurs des nouvelles mobilités, de la voiture partagée type DriveNow à des offres de services multimodaux, et même des solutions innovantes pour le “dernier kilomètre” (livraison de marchandise). Elle s’ajoute aux sections historiques, comme celles regroupant les constructeurs et importateurs de véhicules, ou les utilitaires.

Le président de cette nouvelle section est Etienne Rigo, patron d’Octa+. L’homme incarne le mobility shift que la Febiac souhaite refléter. Il a vendu les stations-services qu’il possédait, acheté un réseau de recharge d’autos électriques (Blue Corner) et lancé un service de multimodalité, Modalizy, qui donne accès à la fois aux transports en commun, aux vélos Villo et à des recharges pour voitures électriques.

Aujourd’hui, le marché pour la Febiac, ce n’est plus 550.000 automobiles neuves par an en Belgique, mais 120 milliards de kilomètres de mobilité multimodale parcourus sur nos routes. ” – Philippe Dehennin, président de la Febiac

Cette réorientation stratégique de la Febiac suit celle des constructeurs et de l’évolution technologique du secteur vers des véhicules connectés, électriques, autonomes. Plusieurs fabricants sont d’ailleurs déjà actifs dans le mobilité partagée, tel BMW qui possède le réseau DriveNow. ” Nous cherchons à accélérer la transformation conceptuelle de notre métier de fédération vers un monde où le big data et la technologie vont réconcilier la mobilité et le bien commun ” poursuit Philippe Dehennin. Pour réaliser ce vaste programme, la Febiac n’a pas attendu 2018. L’an dernier, elle développait déjà un nouveau département, Digital 360 °, autour de la transition digitale.

Des données pour évaluer les routes

Parmi les projets mis en route figure l’exploitation des données générées par les véhicules connectés, notamment au bénéfice de la sécurité routière, en partenariat avec IBM. Il s’agit d’un véritable service de type big data. ” Une voiture est aujourd’hui un ensemble de capteurs, explique Pascal Cappelmans, qui dirige le département Digital 360 °. Les informations sur le déclenchement de l’ABS, de l’ESP, l’évolution du régime moteur, l’allumage des feux anti-brouillard ou les essuie-glaces peuvent se révéler précieuses, il y a moyen de les exploiter anonymement “. Le spécialiste estime que ces données sont plus fines que celles recueillies par les services publics à travers les capteurs installés sur le réseau routier (boucles noyées dans la chaussées, caméras), ou celles fournies par les réseaux GSM ou les fabricants de GPS.

Parmi les utilisations possibles de ces données : l’évaluation des modifications de l’infrastructure. Une analyse des données des voitures connectées circulant sur une chaussée avant et après des travaux d’aménagement permet par exemple de vérifier si les conditions de route se sont effectivement améliorées ou si un souci persiste. Ces données peuvent aussi contribuer à analyser les points dangereux du réseau et déterminer comment les réaménager. Ou contribuer à définir les emplacements optimaux des aires de parking pour le carsharing, en fonction des statistiques sur les déplacements.

La Febiac a ouvert des discussions avec les Régions, visiblement intéressées par ces données : il se dit qu’au moins l’une d’entre elles devrait bientôt signer un accord. Un service payant, car il implique des coûts de traitement. Il s’ajoutera aux services déjà commercialisés par la Febiac, comme la livraison de données sur les ventes de voitures et le parc automobile belge, et au Salon de l’Auto qui assure une bonne part du financement de la fédération.

Le virage stratégique pour la Febiac ou quand défendre l'automobile ne suffit plus

Faire parler les autos connectées

Ce service sera évidemment plus intéressant si le parc de voitures connectées s’agrandit. Aujourd’hui, toutes les automobiles neuves ne le sont pas encore systématiquement. Au contraire, un peu plus de 10 % seulement disposent d’un module de communication avec une carte SIM. Toutes sont toutefois bardées de capteurs, puisque la plupart des éléments d’un véhicule sont contrôlés électroniquement (freins, direction assistée, moteur, air conditionné, phares, essuie-glace, etc.). Un taux d’équipement qui garantit un volume de données suffisamment significatif pour en tirer des conclusions, assure Pascal Cappelmans, qui le garantit ” d’ici 2025, toutes les voitures commercialisées seront connectées “.

L’investissement dans Motion-S, négocié par l’administrateur délégué de la Febiac, Luc Bontemps, s’inscrit dans cette approche big data. Cette prise de participation permet non seulement d’aider la start-up à se développer à l’étranger (Etats-Unis, Inde), mais ouvre la discussion pour un accord de partenariat, puisque la plateforme que développe Motion-S pourrait fortement enrichir les données des autos connectées.

Motion-S : objectif Google

Guido von Scheffer, CEO et cofondateur de MoTion-S
Guido von Scheffer, CEO et cofondateur de MoTion-S”Utiliser des données contextuelles permettent de mieux les évaluer.”© PG

Motion-S est une spin-off de l’Université de Luxembourg fondée en 2014, spécialisée dans le big data. Sa spécialité est de croiser les données provenant d’une application de smartphone utilisée par l’automobiliste et des données externes, comme la météo ou l’état de la route, pour obtenir un profil fiable du conducteur. Ce qui permet aux assureurs de proposer des tarifs plus attractifs aux plus prudents. Motion-S, qui emploie 12 personnes, a développé une plateforme software pour analyser cette masse d’informations.

Cette intégration de données extérieures est une nouveauté. Plusieurs assureurs ont déjà utilisé des applications de smartphone pour mesurer le profil de conduite en échange de tarifs plus avantageux. ” Mais cette approche uniquement basée sur le téléphone s’est révélée insuffisante, indique Guido von Scheffer, le CEO et confondateur de la start-up. Le smartphone mesure, certes, les accélérations, les coups de frein, la position GPS, mais ça ne suffit pas. Parfois, il faut accélérer fort pour entrer en toute sécurité sur une autoroute, donner un coup de frein pour un piéton… Ces mouvements peuvent passer pour une conduite agressive. Utiliser des données contextuelles permettent de mieux les évaluer. ”

Motion-S a également déjà travaillé avec des assureurs. Elle a notamment développé des applications comme Game of Road, avec la Bâloise, qui permet aux automobilistes d’analyser leur conduite. Parmi les sources hors smartphone, elle utilise les données collectées par Here, une société de cartographie GPS appartenant à des constructeurs automobiles, dont les statistiques d’accidents tirées de 600.000 constats de police en Europe. Objectif : localiser les zones accidentogènes.” Here dispose de 50 informations par section de route, notamment la limitation de la vitesse, le type de revêtement, les passages pour piétons, le niveau de trafic aux heures de pointe, etc. ” explique Guido von Scheffer.

Proposer le trajet le plus sûr

Comme la Febiac, le CEO confirme que cette approche n’est qu’un début, et que l’éventail des sources de données va fatalement s’agrandir. ” Le futur proche, c’est l’usage des données produites par la voiture, anonymisées, explique-t-il. La mise en route des essuie-glaces pourrait par exemple indiquer avec précision où et quand il a plu. Les données météo dont nous pouvons disposer actuellement sont moins précises. ”

Mais la mesure du profil de conduite n’est qu’une application de la plateforme de Motion-S. ” Nous pourrions aussi proposer, dans les systèmes de navigation, le calcul du trajet le plus sûr, et plus seulement le plus court ou le plus rapide ” poursuit Guido von Scheffer. Ou aider les entreprises de carsharing à mieux analyser l’usage des véhicules, “pour optimiser l’offre en l’adaptant aux besoins des clients”. A cette fin, Motion-S négocie avec trois grands acteurs de ce marché. ” Il y a un fossé énorme entre ce que font Amazon ou Google pour adapter leurs services à la clientèle grâce à l’usage des données, et l’industrie automobile “, conclut Guido von Scheffer, qui se voit bien contribuer à combler l’écart.

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